Un ou Zéro : Révolution numérique ou crime contre l' humanité ? (1)
Quand on se retourne sur nos vingt dernières années et qu’on réfléchit aux changements que nous avons vécus, le premier qui nous vient à l’esprit est évidemment lié à l’irruption de l’ Internet dans notre vie quotidienne. Son existence nous est devenue tellement familière et à ce point indispensable que nous n’imaginons même plus comment « c’était avant », surtout si justement nous n’avons guère plus de 20 ou 30 ans. Evidemment pour les plus anciens ou les moins curieux, c’est une véritable césure qui s’est installée entre ceux qui maîtrisent les outils numériques et ceux qui n’y parviennent pas ou même qui les rejettent purement et simplement. Avec des tas de bonnes raisons certes, mais surtout avec une conséquence, leur exclusion sociale.
Régulièrement des politiques en mal d’idées et souvent incapables eux-mêmes d’utiliser d’autres outils que leur smartphone pour y « twitter » à la cantonade et encore, nous promettent de tout faire pour réduire une fracture qui se réduira de toute façon d’elle-même du simple fait du renouvellement des générations. La certitude d’un triomphe. Il suffit de voir ce qu’un enfant qui ne sait pas lire est capable de faire avec une tablette ou une souris. Sans même parler du comportement compulsif de bien des ados et qui s’étend d’ailleurs à toutes les générations. Inutile de tenter d’y échapper.
Ce qui est beaucoup plus préoccupant, c’est l’effet de cette numérisation massive sur nos besoins matériels et les conséquences que celà implique sur la répartition internationale du travail et donc le chômage structurel qui en découle. Alors qu’auparavant nous devions disposer, pour prendre un exemple simple, de papier pour faire des livres, de meubles pour les stocker, de librairies pour les vendre, de relieurs pour les entretenir etc…il ne nous est plus nécessaire aujourd’hui que de disposer d’outils fabriqués en Asie pour accéder à une information majoritairement stockée aux Etats-Unis. La part de nos revenus que nous consacrons à l’immatériel progresse constamment et devient un élément important de l’égalité sociale, comme un droit fondamental au même titre que la santé ou l’alimentation. Mais nous n’avons encore rien vu, hélas.
Car si la capacité de création de valeur d’une économie numérisée est indiscutable et constitue aussi une réponse à la raréfaction des ressources naturelles grâce à la virtualisation de notre monde réel, elle est également extraordinairement destructrice d’emplois. Cette économie là nous propose des services de plus en plus efficaces auxquels il devient de plus en plus difficile de résister et qui se parent de toutes les vertus d’une société avancée, réseaux dits sociaux, systèmes dits collaboratifs, économie dite de partage, mais dont les effets à terme risquent d’être absolument terrifiants. D’autant qu’ils déplacent des flux financiers énormes bien loin des lieux de consommation de l’information numérique.
Prenons un exemple simple, la conduite automatisée des véhicules. Techniquement déjà au point et parfaitement fonctionnelle. Certains Etats américains et récemment la Grande Bretagne, viennent d’en autoriser l’expérimentation sur la voie publique. Nul doute que celà fonctionnera. Mais ne faudrait-il pas décider tout de suite que ce progrès auquel il est inutile de s’opposer ne peut être socialement utile que s’il s’accompagne de mesures simples, comme l’obligation de maintenir un conducteur qualifié dans la machine, quel que soit son niveau d’automaticité ? Combien d’emplois seront-ils menacés si nos bus, nos taxis, nos livreurs, sont remplacés par des robots non pas dans 50 ans, mais dans à peine 10 ? Pourquoi ne pas fixer dès maintenant cette règle simple et de bon sens ?
Le modèle productif qui a été le notre au 20 ème siècle est mort et enterré. Nous pouvons en voir les vestiges dans ces lugubres friches industrielles qui jalonnent nos banlieues ou les chemins de nos campagnes. Nos usines sont parties et ne reviendront plus. Tout simplement parce que les produits qu’elles fabriquaient n’existeront plus. Nous parlons de récession alors que nous sommes engagés dans un processus bien plus profond et bien plus révolutionnaire dont nous ne mesurons pas encore les effets, accrochés au rêve d’une société numérique qui nous proposerait toujours plus d’emplois qualifiés pour davantage de salariés toujours mieux formés et mieux rémunérés alors que c’est précisément le contraire qui se produit. Nos super-marchés installent de pratiques caisses en self-service qui permettent à une caissière de quadrupler sa productivité. Il n’est pas loin le temps où le simple passage sous un portique et l’appui sur une touche de son smartphone permettra un règlement automatisé et sans attente et sans caissière du tout. Tout bénéfice pour le moi-consommateur et grand malheur pour le moi-caissier dont les jours sont désormais comptés. Comme ceux des employés au rechargement des rayons que la généralisation des « drive » rendra inutilement redondants. Alors-même qu’on espérait trouver auprès de la grande distribution, une activité porteuse d’emplois même si c’était hélas, en relais du déclin de notre industrie. Pire, les grands centres commerciaux s’étiolent progressivement tant ils sont soumis à la concurrence des grands vendeurs virtuels dont la logistique de plus en plus sophistiquée l’emportera rapidement sur la corvée des courses. On continue comme ça ?
On voit bien que les atermoiements du gouvernement et des patrons quant à la « nécessaire diminution des coûts de production » cachent un débat déjà complètement dépassé, sauf pour une minorité d’industries réellement exposées à la compétition internationale et nous en comptons bien peu. Autant dire que les fameuses contreparties attendues en termes d’emplois risquent de l’être pour l’éternité. Espère-t-on sincèrement le contraire en haut lieu ? Nous ment-on par incompétence ou pour faire semblant de diriger un navire arrêté en remuant son gouvernail ? Nos élites formées à l’ ENA sont-elles réellement en mesure de comprendre les enjeux de ces mutations et d’en tirer les conséquences indispensables en des termes compréhensibles par tous ?
Pas facile de trouver des réponses cohérentes au défi inéluctable et passionnant du Mega-Data, cette accumulation monstrueuse de données, concentrée entre les mains de peu d’acteurs. La pire serait bien entendu de tenter d’en forcer le cours. Inefficace et inutile. Mais ce défi est probablement le plus grand qu’il ne nous ait jamais été donné à franchir. Certes la mécanisation avait détruit de l’emploi productif essentiellement agricole, mais elle avait aussi en modifiant radicalement le tissu économique des pays industrialisés, ouvert la consommation de masse et créé bien davantage qu’elle n’avait détruit d’emplois. C’est le cas aussi de la révolution numérique, à ceci près que la création de valeur intangible ne profite qu’à un nombre de plus en plus limité d’acteurs qui tous sont loin de chez nous et hors de notre contrôle. Car pour l’essentiel ces acteurs sont concentrés en Californie, un peu en Chine et en Inde, marginalement en Corée alors qu’ici en France nous sommes déjà complètement largués. Et que d’incroyables Docteurs Follamour y préparent un avenir que nous ne maîtriserons plus, grâce aux moyens colossaux que d’ores et déjà nous leur donnons, prisonniers que nous sommes des outils miraculeux qu’ils ne font que nous prêter et qui me permettent, cher lecteur de m’adresser à vous. Comme si je parlais au monde entier, même si la consultation des statistiques du site m’oblige à plus de modestie.
Je me propose de faire de ce sujet un fil rouge qui je l’espère alimentera votre réflexion de hamac et la mienne, sans que sur des sujets aussi complexes et aussi engageants, on puisse espérer s’en tirer avec des « yakafocons » martiaux. Car derrière les Mega-Data se profilent les incroyables progrès de l’intelligence artificielle, mais aussi la grande convergence des NBIC stimulée par les rêves les plus fous des entrepreneurs de la Silicon Valley.
(à suivre donc…)
Les chiffres d’internet : Source Blog du modérateur
Un ou Zero
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Mais ne faudrait-il pas décider tout de suite que ce progrès auquel il est inutile de s’opposer ne peut être socialement utile que s’il s’accompagne de mesures simples, comme l’obligation de maintenir un conducteur qualifié dans la machine, quel que soit son niveau d’automaticité ?
La CGT aime ça 😉 !
Bonne nouvelle. Mais elle se distinguerait davantage à proposer ce genre de mesure plutôt qu’à organiser des défilés en faveur des palestiniens de la bande de Gaza.
J’ai plutôt l’impression que si la CGT (ou autre) proposait cela, elle se ferait fissa accuser de passéisme aggravé.
Pour tout dire, quand j’ai lu cette proposition j’ai revérifié à deux fois que l’article était bien signé Oscar…
Oscar m’étonne souvent moi-même
Cette révolution du numérique a contre toute attente, à l’inverse de ce qu’elle aurait du initier, crée une augmentation très, très sensible des effectifs de toutes les collectivités sans que l’on puisse dire qu’il y ait plus de services mis à notre disposition par l’Administration. La gauche de la gauche dirait qu’il y en a toujours moins.
A croire, qu’au fur et à mesure, qu’une application informatique « devait » être mise en place par l’Administration (au sens large), il a chaque fois été crée des services pour la développer mais, en gardant toujours les strates qui auparavant faisaient le même boulot mais « manuellement ».
N’avons-nous pas des doublons de personnel partout ? Les anciens et les modernes ?
Une révolution totalement ratée par notre Administration. Les entreprises produisent toujours plus avec toujours moins de personnel. L’Administration produit pas plus avec toujours plus de personnel.
D’ici à dire, que le personnel Politique a profité de cette révolution pour justifier des embauches d’électeurs potentiels, il n’y a qu’un pas… que je franchis.
La révolution numérique n’a pas encore effleuré l’administration sauf celle des finances chez qui elle progresse à grands pas y compris de manière parfaitement inavouable…