Un ou Zéro : de l’intelligence en boite (3)

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NeuronCellIl y a encore quelques années, lorsque le sujet de « l’intelligence » des machines venait à être abordé dans une conversation entre amis, j’avais coutume de dire que les machines ne pourraient jamais être plus intelligentes que l’homme, puisque c’était l’homme qui les concevait et les programmait. Et qu’en conséquence, l’homme resterait pour les machines une sorte de Dieu qu’elles seraient incapables à la fois d’expliquer et de dépasser. Lorsque pour la première fois en 1997 un ordinateur (Deep Blue) battit Kasparov aux échecs en un homérique combat, il me fallut bien convenir que mes certitudes étaient légèrement ébranlées.

Encore me disais-je qu’il s’agissait d’échecs. C’est-à-dire d’un jeu « fermé » pour lequel la vitesse de calcul d’une super-machine (200 millions de coups à la seconde pour Deep Blue) lui permettait d’évaluer toutes les combinaisons possibles avec une profondeur de simulation inégalable par l’homme. Plus une question de force brute que de finesse de raisonnement. Mais enfin, le résultat était là pour le jeu le plus complexe et le plus stratégique qui ait été inventé par l’homme à la mesure du meilleur de son intelligence. Et la machine avait été capable de remplacer la fulgurance d’une stratégie humaine gagnante par des milliards de calculs besogneux pour l’emporter. L’idée même d’une machine plus puissante que le cerveau humain devenait crédible. Mais il restait à la programmer. L’homme-Dieu n’était donc pas mort encore pour elle, même s’il prenait peu à peu plutôt les habits d’un Gepetto.

Comment définir la puissance d’un cerveau humain ? Je ne m’y risquerai qu’en reprenant les modes d’évaluation courants sans entrer dans des débats d’experts dont les évaluations varient parfois considérablement. Mais pour fixer les idées, le nombre total de neurones contenu dans un cerveau humain est de l’ordre de  80 à 100 milliards (1011), chacun étant capable d’établir jusqu’à 10000 connexions dans son réseau de synapses. Soit une capacité de 1015 d’informations élémentaires un ou zéro, commutables à raison de 1014 fois par seconde. Nous entrons dans les échelles Péta, celle du million de gigas ou du milliard de mega, avec une de mes préférées, le petaflop qui définit la vitesse de calcul des machines les plus puissantes en millions de milliards d’opérations à la seconde. Pour le moment, le cerveau humain reste un formidable calculateur, non seulement par sa vitesse d’exécution, mais aussi par la capacité de sa mémoire que certains évaluent à 2,5 petabytes soit pour fixer les idées à 2500 petits disques durs de 1 Terra vendus 150€ à la Fnac. De quoi stocker 300 années de séries américaines visionnables en continu. Un volume considérable même si certains de nos ados nous donnent l’impression de ne contenir que 10 MP3 et 300 SMS. Etonnant non ? D’autant que cet incroyable « machine humaine » ne consomme que 20 watts. Etonnant mais pas inapprochable par la machine en silicium, sauf pour ce qui concerne l’énergie nécessaire à la mise en œuvre de ces puissance extrêmes. La dernière expérience en date, réalisée au Japon avec le super calculateur K de Fujitsu le plus puissant du monde, a connecté 1,7 milliards de cellules à 10 000 milliards de « synapses » simulés par 83000 processeurs. Au total, la capacité de calcul  de 250 000 PC consommant 50 MW environ, soit la puissance délivrée par 10 éoliennes un jour de grand vent. Le tout pour simuler en 40 mn, le travail de notre cerveau pendant une seconde. Il reste donc du chemin. Mais la Loi de Moore est là pour nous rassurer ou nous terroriser. Selon le futurologue Raymond Kurzweil, la machine devrait l’emporter sur l’homme autour des années 2030, puis en 2045 devenir 1000 fois plus puissante que les 8 milliards de cerveaux humains réunis. Absolument glaçant .

Reste à faire digérer par les Frères Peta, la quantité d’informations logicielles qui leur seront nécessaires pour mettre en œuvre un raisonnement analytique et déductif comparable au raisonnement humain ou même qui lui serait supérieur. Et là encore, les recherches sur l’intelligence artificielle vont bon train et des algorithmes de plus en plus sophistiqués voient le jour. Au point d’avoir donné l’idée à un Fonds d’investissement de Hong-Kong, Deep Knowledge Ventures, qui investit dans des sociétés Biotech spécialisées dans la lutte contre le vieillissement de nommer à son conseil d’administration un logiciel. Oui, vous avez bien lu. Le logiciel Vital développé par la startup britannique Aging Analytics aura voix au chapitre désormais et son résultat positif ou négatif comptera comme une voix, parmi celles des autres membres du « board » lorsque des décisions d’investissement ou de désinvestissement devront être prises. Effet d’annonce, marketing ? Sans doute de quoi créer le buzz, mais  aussi un pas de plus pour sortir des laboratoires les premières machines dites intelligentes.

Mais s’agissant d’intelligence artificielle qualifiée de forte c’est-à-dire capable « d’éprouver une conscience », les débats sont nombreux. Impossibles avec les machines actuelles, mais peut-être envisageables avec des machines reproduisant la complexité des réseaux neuronaux des cerveaux et une logique quantique plutôt que symbolique, si j’ai bien compris. Tout le monde s’accorde à penser aussi que ces logiciels devront posséder une fonction d’apprentissage, comme celle d’un enfant qui chute lors de sa première tentative à vélo puis apprend de son erreur et réussit ensuite. Mais les incertitudes demeurent quant à notre capacité à repousser les limites de l’ IA aussi vite que celles de la puissance des machines, même si cette dernière influe inévitablement sur les algorithmes d’ IA envisageables.

Des incertitudes cependant insuffisantes pour empêcher quelques grands scientifiques visionnaires d’alerter sur le danger potentiel qui nous guette et si le pacte Faustien que nous nous apprêtons à passer avec nos machines venait à se retourner contre nous.  Stéphane Hawking, Bill Gates ont exprimés à ce sujet  de grandes inquiétudes. D’autant que ce profile à un horizon assez court la grande convergence entre les Nanotechnologies, les Biotechnologies, l’ Intelligence Artificielle et des sciences Cognitives. Ces fameux NBIC qui ont renvoyé au rayon des vieilleries poussiéreuses les NTIC (Nouvelles Technologies de l’ Information et de la Communication) dont nous venions à peine de comprendre les bénéfices mais aussi les effets pernicieux.

(à suivre)

Un ou Zero 

  1. Un ou Zero : révolution numérique ou crime contre l’humanité ?
  2. Un ou Zero : ou les enjeux d’une mémoire éternelle que nous avons déjà perdue
  3. Un ou Zero : de l’intelligence en boîte
  4. Un ou Zero : les rêves fous de l’homme qui s’appelait Page
  5. Un ou Zero : et nous alors ?

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6 commentaires

  • Il y a déjà des robots ménagers. Pratiques, paraît-il pour éviter de passer soi-même l’aspirateur. Demain, chacun pourra t-il avoir de « nouveaux amis » utilisables à sa guise ? Passer de bons moments avec sa « nouvelle dulcinée », pas ch. et parfaitement à son goût ?
    Ce qui me paraît dangereux, c’est l’association des dangers (exemple réchauffement climatique), des enjeux éthiques liés à la science, auxquels l’humanité est confrontée et de la déliquescence profonde de la société actuelle, qui laisse faire presque n’importe quoi.

  • l’IA est presque une vieille affaire, mais maintenant elle pénètre les Conseils d’Administration…pas mal..
    On se demande bien pourquoi on n’a pas encore remplacé les Conseillers Généraux (facile!) ou régionaux…
    Quant à remplacer Oscar, ce n’est pas pour demain…

  • Tous ces articles sont excellents. Je m’interroge, en parallèle, sur l’évolution animale, notamment celle de nos animaux domestiques par exemple. Jadis, les cyclistes qui roulaient en campagne se faisaient courser par les chiens de ferme, et les automobilistes ne manquaient pas de plumer quelques poulets, et d’estourbir nombre lapins (la nuit). Ce n’est plus le cas de nos jours. Montrer une direction à un animal (chat ou chien) avec le doigt, l’animal regarde le doigt. Depuis hier, ce n’est plus le cas. Le chaton (Léo) a regardé en direction du doigt. Il a même failli croquer ma compagne assoupie dans le transat. De même, des singes ont une dextérité étonnante quant à mémoriser et replacer des données mises en désordre (mais je ne parle pas de moi, qui le fais et perds tous mes papiers). .
    Par ailleurs, nombre d’auteurs de science fiction n’ont fait que décrire la société dans laquelle nous nous engouffrons joyeusement. Sans parler de l’univers de Cormac Mac Carthy, et son roman « la route »…

    • Interessante question que celle de la mémoire transgénérationnelle qui permet semble-t-il en effet à une génération animale d’apprendre de la précédente. Sauf chez les humains bien entendu 🙂

    • «Jadis, les cyclistes qui roulaient en campagne se faisaient courser par les chiens de ferme, et les automobilistes ne manquaient pas de plumer quelques poulets, et d’estourbir nombre lapins (la nuit). Ce n’est plus le cas de nos jours»
      Petites nuances quand même; il y a de moins en moins de fermes et de moins en moins de chiens, mais surtout des exploitations agricoles qui n’ont pas besoin de chiens.
      Il y a aussi de moins en moins de cyclistes car les routes sont trop dangereuses et faire du vélo, c’est fatigant et cela ne va pas assez vite!
      Quant aux poulets, ils «courent» de moins en moins !
      Les hérissons et les chats remplacent les lapins!

  • aux robots, ne manque que les sentiments…..
    pas sur!!
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Short_Circuit