Un ou Zero: les rêves fous de l'homme qui s'appelait Page (4)

0
(0)
image

Si on était motivés par l’argent, il y a belle lurette que nous aurions vendu la société pour aller à la plage

Larry Page est étudiant à Stanford à la fin des années 90. A la recherche d’un sujet de thèse, il s’interesse à une méthode d’identification de liens contextuels dans une page disponible sur le web, sur le principe des citations. Avec son ami Serge Brin, il développe Page Rank , une algorithme mathématique qui permet de quantifier le niveau relatif de présence sur le web d’une page par rapport aux autres. Les deux compères découvrent ce faisant que leur méthodologie permet de créer un moteur de recherche beaucoup plus rapide et efficace que ceux qui étaient disponibles à cette époque. Ils créent Google Inc avec 100000 $ en 1998. Cette année là Google indexait les 10 millions de pages contenues sur le web. Autant dire presque rien.

En 2013 , le chiffre d’affaires de Google s’est élevé à 59 milliards de $. Le volume de recherches transitant par Google est passé de 9800 recherches par jour en 1998 à 6 milliards par jour en 2014. La société emploie 50000 personnes et Larry Page figure à la 17ème place des fortunes mondiales , en fait la valeur de sa participation dans Google, qui est de 37 milliards de $. Google capitalise plus de 35% des revenus publicitaires générés par le web et ses services sont gratuits pour l’utilisateur et rémunérés par la mise en avant de pages publicitaires. Une incroyable équation dont les effets cumulatifs posent la question des limites du développement de la société et de son influence sur le monde. Car les énormes moyens que la société dégage lui permettent d’identifier et d’acheter d’autres startups du web, comme Youtube, Blogger, Maps et de développer ses activités dans la collecte et l’archivage d’images , de messageries avec Gmail, dans les mobiles avec AndroÏd et jusqu’à la conduite automatique de véhicules . En pratique une sorte de synthèse entre les données cartographiques accumulées par Google et les systèmes robotiques associés à de l’IA (intelligence artificielle)

Plus rien ne semble devoir arrêter Larry Page. D’autant qu’à titre personnel et à l’unisson de bon nombre de web-entrepreneurs de la Silicon Valley, il ne se conduit pas en capitaliste ordinaire et cumulard. Il manifeste au contraire sa propre vision éthique scientiste et transhumaniste . Il investit dans Tesla, le constructeur de voitures électriques créé par Elon Musk, le fondateur de Paypal, lui-même engagé en parallèle dans SpaceX qui ne se propose rien de moins que la conquête de Mars d’ici 20 ans. A l’unisson de ses collègues créateurs à succès et des fonds d’investissement spécialisés dans lesquels ils ont investi leurs immenses fortunes acquises dans le web, ils investissent désormais dans les NBIC ( nano technologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives) avec un objectif déclaré, rallonger l’espérance de vie humaine. Alors même que la médecine ne s’intéresse qu’au traitement des maladies, eux investissent dans les moyens de rallonger la vie . Sans doute la leur d’abord, mais aussi la notre. Avec comme premier objectif, augmenter l’espérance de vie de 20 ans en 2035. Si cet effort devait s’avérer être un succès, nous nous trouverions dès aujourd’hui dans une situation inédite dans l’histoire de l’humanité, puisque chaque jour passé ne nous rapprocherait pas plus du jour de notre mort. (Je vous autorise à vous gratter la tête)

En donnant aux meilleurs spécialistes des différents domaines de compétence nécessaires à ce projet des moyens presqu’infinis , auxquels nous contribuons chaque jour davantage en piochant de l’information sur le web, les hommes de la Silicon Valley ouvrent des champs d’investigation et de « progrès » scientifiques en avançant sur un chemin étroit bordé de précipices vertigineux. C’est ainsi que des travaux de laboratoire ont déjà permis de refabriquer des neurones dans le cerveau de souris. Et d’imaginer donc de lutter de cette manière contre le vieillissement. Tout en préservant la mémoire que Google imagine interfacer, grâce à des capteurs intracraniens à des systèmes d’intelligence artificielle. L’homme qui vivra mille ans est-il déjà né ?

Force est de constater que le web a concentré pour l’essentiel dans la Silicon Valley, une poignée d’hommes qui cumulent à la fois une vision scientifique globale, d’indiscutables qualités d’entrepreneurs, un projet personnel qui n’est pas nécessairement centré sur le profit pour lui-même mais sur les investissements risqués que ces profits permettent . Le tout associé à une conscience écologique affichée, nourrie avec toutes les philosophies hédonistes californiennes que l’on peut imaginer. Cet incroyable réservoir d’intelligence qui attire les meilleurs cerveaux du monde entier qui accourent en Californie avec la certitude de pouvoir financer les projets les plus fous, est aux mains des successeurs de Steve Jobs et de Bill Gates, les Larry Page, Elon Musk, Mark Zuckerberg (Facebook) , Jeff Bezos (Amazon) et d’une multitude de fonds à risques ou de business-angels qui réinvestissent leurs gigantesques moyens une fois fortune faite. Pas moins de 60000 jeunes français y sont partis pour y tenter leur chance dans un rush qui rapelle la ruée vers l’or et dont il n’est pas sûr qu’ils reviendront.

Alors on ne peut que se poser la question des limites de cette évolution effrénée face à l’impuissance croissante des états. Devons nous laisser ces purs produits des grandes universités américaines, pâles silhouettes d’éternels étudiants, qui semblent être aujourd’hui les seuls à détenir les clés de notre avenir nous l’imposer sans nous demander notre avis et sans nécessairement respecter ni notre culture, ni nos organisations économiques et sociales ? Suffit-il à notre Président de la République d’aller passer une demi journée dans la Silicon Valley pour nous faire croire qu’il a tout compris de ce qui s’y passe véritablement puis de nous proposer la réforme régionale comme une réponse au défi de la mondialisation ? Une amende de 150000 € infligée à Google par la CNIL est-elle à la hauteur des défis que nous imposent une pieuvre aux milliards de bras dont nous ne pouvons plus nous passer et dont l’étreinte ressemble à un baiser mortel ? Avons-nous réellement le choix ?

(à suivre)

Un ou Zero 

  1. Un ou Zero : révolution numérique ou crime contre l’humanité ?
  2. Un ou Zero : ou les enjeux d’une mémoire éternelle que nous avons déjà perdue
  3. Un ou Zero : de l’intelligence en boîte
  4. Un ou Zero : les rêves fous de l’homme qui s’appelait Page
  5. Un ou Zero : et nous alors ?

Notez cet article

Cliquez sur une étoile

Note moyenne 0 / 5. Nombre de note : 0

Aucun vote jusqu'à présent ! Soyez le premier à noter cet article.

Nous sommes désolé que cet article ne vous ait pas intéressé ...

Votre avis compte !

Souhaitez vous nous partager un avis plus détaillé ?

4 commentaires

  • Fr:silicone= composés inorganiques formés d’une chaîne silicium-oxygène
    Ang:silicon = Fr:silicium

  • un commentaire (que m’a chuchoté Georges V à l’oreille) : toute cette mégalomanie ne pourrait survivre à une panne d’électricité. Les rêves les plus fous ne prennent naissance désormais que par l’argent que leur donnent les plus faibles, qui alimentent des investissements peu risqués, car étant une maigre part de l’ensemble financier accumulé, disons plutôt un planet-game, voire une réduction d’impôt (tant que la captation énergétique des éclairs ne sera pas opérationnelle), bon, allez, un hobby.
    Autre point : « il ne se conduit pas en capitaliste ordinaire et cumulard. Il manifeste au contraire sa propre vision éthique scientiste et transhumaniste ». Je doute et redoute une telle phrase. Qu’en penses-tu, Georges ?
    Dernier point : l’argent, le frichti. Un peu en dehors du sujet mais pas trop. A l’écoute des médias, à la lecture des journaux, on ne peut que lire entendre (mais jamais voir) que tel Etat, telle Fondation, va verser une aide de tant de millions à cet autre état, à cette cause, Gaza, Ebola, marchands de rêves , revendeurs de nuits blanches, à tout un tas de cas dont l’importance ne se décrit que par la somme allouée. Généralement allouée (bis) à des banques en rupture de contes pour enfants.Les radios notamment sont pleines de chiffres, de pourcentages et de propectives lâchées par de toujours éminents spécialistes. Ils doivent faire du théâtre, et entre deux interventions radiophoniques,chauffer leur voix avant de rejoindre les planches.
    Finalement, il m’est plus facile d’imaginer le comportement d’un robot abouti dans l’IA (ou l’Iowa) plongé au fond du puits de Murakami (« l’oiseau à ressort ») ou celui d’un robot nommé Meursault allongé sur une plage d’Algérie, un flingue à la main.
    .
    L’ultime chance, qui est notre art, est d’être encore capable de tourner des Pages, qui ne s’appellent pas toutes Larry… https://www.youtube.com/watch?v=vZvJA5jtSlQ.

  • Il va falloir mettre en parallèle de ces évolutions vertigineuses la question: « quelle vie voulons-nous ? » ou « que voulons-nous être? ».