Les séances cubaines d’Ana-Maria

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imageOù l’on découvre les secrets de l’intelligence de Delta one sans doute le meilleur staff du monde dans lequel Jérôme avait eu la chance d’être affecté .

Les autres séances, celles auxquelles Anna-Maria conviait, plus volontiers, ses condisciples c’était plutôt les séances dites cubaines. Des séances toutes en intensité et en brisure de rythme. Des séances courtes de trois heures où le cœur le corps, au bord du collapsus, est, à chaque seconde au bord d’exploser. Ce qui d’ailleurs ne manquait pas de se produire. Et qui était considéré comme des dommages collatéraux contrepartie inévitable de l’engagement. Comme aux armées un pourcentage de décès violent était toléré voire considéré comme une reconnaissance de l’engagement des athlètes.

De fait, dans la division internationale et internationaliste du sport les entraîneurs est-allemands avaient appris le contenu de ces séances directement à Cuba Un monde extrêmement réputé pour sa rigueur et son efficacité. Même si, de surcroît, il avait gardé toute son exubérance latine et caribéenne et bénéficiait d’ un pool génétique beaucoup plus étoffé, beaucoup mieux dispersé que celui de l’Allemagne orientale. Ce qui permettait à ses athlètes de briller, de manière plus naturelle, non sans une certaine apparente nonchalance, dans toutes les disciplines olympiques. Mais aussi dans des disciplines plus exotiques et idéologiquement plus contestables comme les multiples ramifications de la pelote basque (en particulier le front-tennis et même le très étasunien base-ball).

C’est à cette source qu’avaient été développés :
– Les exercices en intensité maximale mais surtout en constante rupture de rythme,
– L’accompagnement musical pour dicter le tempo,
– La mixité des équipes, avec un très savant aplanissement des niveaux et une confrontation des ego
– L’atmosphère puissamment sexualisée que les allemands avaient scrupuleusement noté et importé. Sans bien comprendre qu’il ne s’agissait que d’une manifestation de la culture locale et, certainement pas, d’une action délibérée.

Une action qui, au demeurant, aurait contrevenu à la promotion égalitaire de la femme socialiste dans un environnement latin et caribéen .Un environnement particulièrement machiste dont , à tout prix, il convenait de se défaire. et de se démarquer…

Dans ces séances, les anciennes comme les nouvelles, les coachs est-allemands avaient juste ajouté, surtout pour les filles, et comme en athlétisme, une vélocité irréelle. Ceci par des rythmes de pédalage inconnus ailleurs pour atténuer, sans doute, un manque de puissance foncière et développer la souplesse la justesse et la précision du pédalage Une manière optimisée de «tourner les jambes» selon l’expression technique consacrée. Une manière, au demeurant, qui, d’entrée, ne manquait d’induire avec la musique déchirée par des accords de guitare basse puis rythmée par des pulsations organiques un échauffement certain dont il était difficile de ne pas reconnaître la dimension sexuée…

Les séances alternaient, à un rythme infernal, sur tous les terrains virtuels avec, étonnamment, beaucoup de montagne dans ce pays qui les ignorait absolument..

Ces montagnes étaient abordées de deux façons.

Premièrement :

Par la montée toute en puissance, «le cul sur la selle» selon l’expression consacrée, où les athlètes étaient tenus de rester assis sur leur selle pour développer et exprimer la force de leurs reins. Quand les montées, simulées par les freins disposés sur les cadres, s’avéraient définitivement trop raides les athlètes avaient la recours de se mettre, quelques secondes, en danseuse.

Ce qui alors était imposé à l’ensemble de l’équipe à laquelle ils appartenaient et qui apparaissait comme un marqueur de faiblesse partagée. Un marquer de faiblesse dont un seul, ou une seule, était responsable. La punition de tout le groupe, et non seulement de l’équipe coupable de faiblesse, c’était alors, par anticipation sur le déroulement planifié, des séances dites des «bosses de muerte».

Des séances qui simulaient des terrains pré-montagneux tels qu’on peut les trouver au pied des Pyrénées. Notamment dans le piémont béarnais ou au pays basque français. Mais encore, de manière étonnamment mimétique, dans la chaîne de l’Escambray qui, sur l’île de Cuba, plonge, de manière vertigineuse, vers la mer argentée des Caraïbes.

Un peu comme les Pyrénées occidentales plongent vers l’Atlantique sur le versant espagnol. Des terrains terriblement exigeants où les montées, aussi raides que rapprochées, étaient grimpées alternativement, mais sans ordre prévisible, et souvent à contre-emploi, en danseuse ou en puissance. Cela sans avoir la possibilité d’adopter le bon développement sur un tempo infernal dicté par la musique et les ordres des coachs au physique puissamment virilisé et aux ordres ambigus.

Ne pas suivre le tempo c’était, définitivement, être exclu de la séance. Avec le risque, selon l’appréciation plus ou moins bienveillante des entraîneurs ou du représentant du parti d’ être exclu définitivement du team olympique. Les descentes des dites bosses étant simulées ,non par des temps de roue libres dont les rustiques engins à la disposition des athlètes ne disposaient pas, mais, au contraire, par des accélérations insensées du rythme de pédalage comme sur une bicyclette à pignon fixe.

Deuxièmement :

Sur des terrains de pleine montagne, par des très longues séances de danseuses toutes en vélocité et en rupture de rythme. Ce qui n’était pas loin d’être une sorte de torture pour les athlètes les plus puissants qui s’épuisaient dans cette gymnastique particulière prévue pour favoriser les petits gabarits aussi agiles que légers.

Enfin les séances dites «up ans down». A savoir sur des terrains de collines ou de pleine montagne sur des tempo accélérés des alternances de montée en puissance pure ou en danseuse qui brisaient la régularité qui normalement accompagne une performance supportable.

Toutes ces séances, dites de montagne, avaient pour but principal de développer la puissance des reins. En effet chez les cyclistes aux aptitudes physiques idoines, il s’agit du secret incontournable et premier de la performance. Avec, dans un second temps, l’héritage d’une morphologie très disproportionnée avec une idéale proportion des membres inférieurs (singulièrement des segments funéraux par rapport à la taille du buste). Et, dans un troisième temps, une aptitude voire un goût immodéré, poussé bien au delà du raisonnable, pour la douleur extrême. Enfin, bien sûr, cette machine humaine avec ses bielles pour actionner les pédales ne pouvait idéalement fonctionner qu’avec un moteur cardiovasculaire d’exception ; soit un rythme cardiaque naturellement lent au repos et un volume de l’air optimal mesuré par le VO2 max. dans les poumons enfermés dans une cage thoracique au volume exceptionnel. Le tout fonctionnant grâce à des muscles ventilateurs exceptionnellement performants qui saillaient avec un effet tout à fait particulier sous les maillots des champions et, dans une moindre mesure,sous ceux des championnes.

Cette force des reins, particulièrement dans les regards des filles, n’était pas sans nourrir un imaginaire très précisément connoté et proprement sexuel. Surtout quand cette force était associée à des avant-bras aux muscles fins sur des bras forcément frêles et délicats. De fait, s’il en avait été autrement, la musculature, en brûlant trop d’oxygène, aurait nui à la performance dans des proportions incompatibles avec cette discipline sportive.

De manière réciproque les regards des garçons n’étaient pas sans être attirés par les jambes et les postérieurs des filles qui se dandinaient dans les longues séances de danseuse. Des séances de danseuse qui creusaient profondément leurs reins. Chacune ayant sa méthode pour, dressées sur les pédales, relever gracieusement les épaules comme pour s’offrir au vent, ou, au contraire, de manière moins esthétique, les projeter vers l’avant. Les regards des garçons étaient également attirés par la capacité irréelle des filles à tourner les jambes à une vitesse supersonique sur des développements très faibles. Ce qui avait pour conséquence, plus amusante que troublante, de les faire rebondir sur leurs selles comme des balles de tennis capturées par la raquette aux fins de maîtriser leurs rebonds. Dans les circonstances de l’espèce la balle étant matérialisée par leurs fesses des filles forcément un peu plus rebondies que celles des garçons.

Mais pour tous ces athlètes, filles ou garçons, à la culture sportive excessivement affirmée, ce qui pouvait beaucoup les troubler, en dehors des flashs proprement sexués que les plus fins savaient parfaitement sublimer, c’était les visages creusés par l’effort. Des visages magnifiés dépossédés d’inutiles boursouflures les yeux concentrés comme si,sur leurs bicyclettes immobiles, il convenait de surveiller la route et leurs adversaires. Ou, peut-être, sans doute, sûrement de ne pas trop laisser transparaître les ondes de plaisir ou de douleur qui traversaient leur corps à mesure que leur rythme cardiaque, calé sur la musique, qui s’emballait au risque de périr de jouissance ou de douleur mêlées. Dans la décroissance du rythme cardiaque leurs visages exprimait également, dans un étonnant parallélisme des formes, la plénitude procurée par l’effort qui très loin, comme par miracle, chassaient tous les soucis quotidiens et brûlaient toutes les toxines physiques ou mentales accumulées dans leur chair et dans leurs cerveau

Tous vérifiaient ainsi ce que tous les sportifs savent d’expérience à savoir que l’effort rend magnifiquement beau d’autant plus que cet effort est long et raisonnablement violent.

D’autant, en ce qui concerne leur discipline, que la position sur le vélo est parfaite, « posée sur le vélo» selon l’exacte expression : le dos plat ou à peine arrondi, les fesses au dessus du guidon, les jambes bien parallèles comme des bielles de locomotives, les chevilles parfaitement souples aux fins, à chaque milliseconde, de rester parfaitement perpendiculaire à l’axe du pédalier. Ceci pour imprimer le maximum d’efficacité au pédalage sans perdre un soupçon de puissance.

Enfin, de manière plus subtile encore, une manière d’être plus ou moins avancée sur le bec de selle suivant le type d’effort et de pédalage les abdominaux rentrés les épaules carrées au dessus du guidon et surtout les avant-bras posée sur le guidon avec une idéal relâchement des poignets pour équilibrer toutes les tensions du corps. Ou, à l’inverse, une tension maximalisée de mains qui agrippent la potence du guidon comme si tout le corps ,particulièrement dans les montées était tiré par les bras et ainsi rendu disponible pour libérer, au maximum, toutes les forces des jambes appliquées désespérément à écraser les pédales.

Dans tous ces exercices Anna-maria Rilke von Stauffenberg, dans ce monde sportif un peu brut de décoffrage, flottait comme une sorte de déesse nordique qui ne laissait jamais entrevoir des sentiments ou des sensations équivoques. Des sensations qui, pourtant, sourdait des corps de ses camarades voire des regards des coachs dont nul n’était autorisé ,néanmoins, à penser qu’elle ne les ressentait pas.

Le dernier block d’entraînement, après l’emballement des précédents, correspondait à un long retour de calme de 30 minutes. Après les 3 heures d’effort paroxystique et avant la séance d’étirements. Il s’effectuait sur une musique légère champêtre, presque liquide, encore qu’avec un tempo encore soutenu.

A ce moment là Anna-maria et ses copines du «clan des polonaises» qui, toutes, avaient pratiqué la danse classique s’adonnaient, en dehors des ordres du coach, à des pratiques d’assouplissement et surtout de décontraction musculaire. En contrepoint à un travail foncier d’expirations. Pour cela les filles reprenaient, instinctivement, toute une gestuelle acquise aux longs de leurs années de danse. Particulièrement au niveau des épaules et des bras qui, de manière infiniment gracieuse, pour décontracter le dos, venaient se plier au creux des aisselles comme dans une peinture de Degas. D’autant que les polonaises arborait un maillot avec les trois bandes addidas comme tous les autres athlètes mais d’un rouge somptueux, lumineux, profond presque miraculeux. En lieu et place des couleurs inqualifiables des autres athlètes.

En dessous de ce beau maillot rouge elles portaient des cuissards noirs, d’un noir improbable, lustré, absolu, insurpassable, avec lequel le rouge des maillots offrait un contraste tout à fait merveilleux en prolongeant les trois bandes qui, idéalement, courraient le long de leurs bras et soulignaient leurs poitrines menues.

Certaines des filles ouvraient, au fur et à mesures, leurs beaux maillots rouges sur leur juste au corps de danse noirs ou de couleurs perlées. Des maillots qu’elles gardaient comme une protection réelle ou symbolique pour absorber l’excès de sueur et de douleur. Sans doute, aussi, pour se raccrocher à leur culture de danseuse à laquelle, toutes, restaient profondément attachées. Dans cette équipage avec la musique douce et chantante qui baignait la salle d’entraînement avec la fluidité retrouvée des corps l’atmosphère, semblable à celle d’un corps de ballet, devenait plus que troublante embuée par la calme retrouvé et le relâchement des corps. Même aux yeux des athlètes plus frustes qui constituait le team olympique.

Les filles étendaient leurs bras en poussant, le plus fortement possible, une main contre l’autre en retournant leurs doigts que beaucoup, et spécialement Anne-Maria, avaient longs et fins. En même temps, tout en pédalant avec une légèreté retrouvée sur une rythme encore soutenu, elles se redressaient progressivement sur leur selle et tiraient avec insistance leurs épaules vers l’arrière et vers l’extérieur. Cette gestuelle creusait fortement leur dos en faisant saillir leurs omoplates d’autant qu’à la fin de l’étirement leurs mains venaient se loger au plus creux de leurs reins comme une hermine qui rentre au nid. Si bien que leur dos devenait totalement concave dans tous les plans de l’espace à l’inverse des contraintes qu’elles avaient endurées.

Les filles, à l’exemple d’Anna-maria, laissaient retomber leur nuque, alternativement d’avant en arrière, puis sur les côtés. Les très beaux cheveux d’Anna-Maria qu’elle se permettait de laisser retomber en boucles la nimbait d’une lumière diffuse. D’autant, qu’avec la sueur qui coulait abondamment de son front, ils se collaient partiellement au creux le plus intime de sa nuque si bien que seules les extrémités de ses cheveux se détachaient totalement. Avec un phénomène étrange à savoir que sa blondeur, naturellement vénitienne, se transformait en un blond beaucoup plus prononcé, strié de bandes plus foncées, à l’exemple de la blondeur dorée des filles et des garçons de Scandinavie.

Enfin, tous et toutes, descendaient de leurs machines pour attaquer de longues et savantes séances d’étirement. Des séances qui ,depuis les années 80, faisaient partie intégrante et essentielle du processus de récupération, dans le vélo, comme dans tous les sports où les muscles sont abondamment sollicités. Ces séances d’étirement donnaient souvent lieu, au delà de la récupération musculaire, à des remarques triviales mais qui restaient néanmoins bon enfant dans cet environnement sportif. Les spasmes plus proprement sexués restaient l’apanage des tensions extrêmes des effort précédents.

Ensuite, dans une culture proprement germanique, filles et garçons, comme dans à l’occasion des bains glacés au plus profond des lacs de Mazurie se retrouvaient dans les douches sans être obligatoirement séparés. De fait on entrait là dans le seul registre de l’hygiène et des corps asexués à force d’être fonctionnarisés.

A la sortie des douches, sans aucunement avoir teinté ses cheveux, Anna-maria apparaissait avec une chevelure presque rousse très savamment organisée. Tout à fait différente de son l’aspect très strict sous lequel elle apparaissait à la banque. Dans cette apparence elle se confondait totalement avec, sa sœur jumelle Kristeen Rilke von Stauffenberg, dont jusqu’alors, personne, hormis ses copines de l’équipe polonaise ne soupçonnait l’existence. Et même ses copines de l’équipe olympique de Pologne ne ne se souvenaient pas précisément de les avoir vues ensemble.

Cela était d’autant plus frappant que, sous l’intensité des efforts répétés, Anna-maria qui était une athlète musclée venue de la natation avait perdu plusieurs kilos. Elle se trouvait ainsi s’être réappropriée la gracilité particulière et à la blancheur de peau de sa sœur jumelle. Une blancheur de peau et des yeux dont la couleur pervenche aux limites du violet avait basculés vers un vert d’eau d’une profondeur incommensurable. Des yeux qui de leur tranchant habituel avaient très évolué vers des mondes beaucoup irréels au point, selon l’heureuse expression de jean-Martin Susbielle, de d’apparaître comme perclus de rêves…

Pierre-Yves Couderc

Précédemment : Jérôme dans la tour d’ivoire
A suivre…

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