Les oiseaux
Les passereaux pépiaient. Ils se baladaient sur le boulevard des Airs, formant de petits groupes joyeux, bavards, les ailes chamarrées et le bec grand ouvert, gobant le temps printanier à pleins poumons, discutant de l’état du monde d’en-dessous, fientant en riant sur la tête des chasseurs qui, en cette saison, ne pouvaient leur répondre à coups de fusils. « Bon temps, belle vie » était leur slogan favori du moment. Les plus volubiles se trouvaient être les mésanges charbonnières, dont la quantité dépassait en proportion le nombre global des volatiles présents sur le boulevard. Leurs ailes grises et noires barrées de blanc, leur ventre jaune et leur tête noire inondaient l’espace de « titiu titiu », semblables à des coups de klaxon incitant les autres, bouvreuils aux gros bedons rose-rouge, d’allure massive, rouge-gorges stressés, bergeronnettes tresautantes comme de jeunes vierges effarouchées, à leur céder le passage sans autre rappel que celui de leur nombre. Et tous ces va-et-vient laissaient les hommes perplexes, qui erraient sur leur boulevard de terre, la tête basse et le visage éteint.
A mi-chemin du ciel céruléen et du sol aride, un chat voletait en sourdine. Marquis de Carabas subtilement ailé (il avait croqué quelques anges dans l’intimité des boudoirs aériens que suivent les aéronefs avant de se poser sur la couche d’ozone où dorment les nymphettes), aiguilleur famélique mais confident des grues cendrées, des hirondelles et des palombes, il surveillait le vol des passereaux avec acuité, toujours prompt à verbaliser de ses crocs celui qui manquerait à l’obligation de rester dans les clouds. En bas, des enfants dissipés galopaient et parfois, les deux pieds ancrés au macadam, chargeaient un gros caillou dans leur fronde rustique, taillée par leur soin dans une fourche de noisetier tendre à l’aide d’un canif suisse décoré non d’une croix blanche comme une arme mais d’un parachute doré d’avant la votation. Le gros caillou soudain s’élevait dans l’air, mais la faiblesse des élastiques (taillés dans des chambres à air de vélo) faisait qu’il retombait lourdement sur la tête des parents, bosselant leur crâne. Parfois le caillou atterrissait sur le béret d’un ancêtre, et le tuait sur le champ. On parlait alors d’arrêt cardiaque, de mort subite, de coup du sort, et ce afin de n’ alerter ni la Presse, ni les gendarmes, susceptibles d’enquêter sur les raisons sous-jacentes induites possiblement par ces actes enfantins. Les questions d’héritage ne se soulevaient qu’en famille, une fois le caillou retombé, mais certainement pas dans un commissariat.
L’ambiance était paradisiaque, les hommes déambulant en bas, repeignant les lourdes balustrades d’allers-retours familiaux, les oiseaux au-dessus d’eux voltigeant en aéroplanes froissant l’air avec volupté, maman les petits oiseaux balaient le ciel avec des plumeaux colorés comme celui de la bonne, mais non mon gros bétâ ce sont des drones, le marquis de Carabas faisant la conversation avec le chat du Cheshire posté dans les branches hautes des sapins, près du divin funiculaire, bref un dimanche comme d’autres, penserait-on. Mais c’était sans compter avec le gang des étourneaux, qui passa en nuage serré déverser ses minuscules obus de guano avant de s’éclipser vers les immeubles de Zaragoza , poursuivi par une brigade de geais poussant des cris secs et des gloussements bizarres (un rap rhapsodique de « rei rei »), interceptant au passage quelques piverts en train de crever à coups de bec les pneus des véhicules à moteur faisant la queue de pie à l’entrée du parking de saint Georges, dit le Tigre (encore un pote à Carabas). Spectacle digne d’une excellente campagne électorale : une couette bourrée de plumes déchirée à coups de becs qui explose et s’expose aux chalands soudain déboussolés, le cri des enfants qui croient béatement que la neige tombe à l’orée du printemps et découvrent que celle-ci est chaude et impossible à mettre en boule, contrairement aux parents dégoûtés qui hurlent de dépit, mais quel monde va-t-on laisser à nos enfants, non mais je vous jure, avec le réchauffement climatique voilà-t-y pas que la neige est chaude maintenant, et ces oiseaux de malheur qui se moquent de nous à longueur d’année, ah, mon bon monsieur, ma bonne dame, la pêche aux électeurs est ouverte toute l’année, alors pourquoi la saison de la chasse est-elle limitée à seulement quelques mois, je vous le demande et pof ! un drone s’abat sur le braillard, le réduisant à l’état de bulletin blanc souillé de rouge (encore un qui ne votera pas Mélenchon). C’est le boulevard en fête, on se dispute dans les airs, on s’entretue sur terre, les petits gones balancent des pierres à qui mieux-mieux,xième infantilada, les vieillards tombent, raides comme l’injustice faite aux petits retraités, du balcon des Pyrénées quelques gentils entrepreneurs conversent et comparent les lieux de villégiature où bientôt, au-delà des blanches cimes, ils s’envoleront, migrants aux pieds légers, chevauchant leurs Pégase bien loin des mercuriales et du chant des oiseaux.
-par AK Pô
09 03 13