Devant une bûche
Un homme assis devant la vitre claire d’un poêle dans lequel une bûche de chêne bien dense entame la fin de sa carrière.
Sous elle, la braise est ardente et l’air arrive doucement. Sur sa surface sombre des flammes bleues musardent, prennent le temps de l’existence, naissent et disparaissent en découpant et arrondissant leurs formes, faisant jaillir aux déchirures des traces de jaune et de rouge. Elles dansent comme un peuple de fantômes dont les mots seraient des formes. Signes larges ou étroits, éphémères plus ou moins, qui rivalisent de contorsions pour distraire la bûche, la consoler de sa disparition. Elles la lèchent, elles la caressent jusqu’à la rendre rouge de confusion.
L’homme regarde, regarde longtemps. Des fantômes plus invisibles, des pensées aussi insaisissables que les flammes, sortent de sa tête et courent en leur compagnie sur le bois dont la vie s’achève aujourd’hui. Il se plait à faire danser sa pensée avec les flammes et rêve d’un lien plus charnel, il voudrait qu’une de ces danseuses bleues vienne dans sa main mais ce n’est pas possible, on ne peut garder une flamme dans la main, pas plus qu’un rêve.
Tiens ! l’homme a associé la flamme et le rêve. Il pense qu’ils ont en commun d’être inexplicables et que peut être (il ne cherche pas longtemps et de toute façon, n’est pas assez savant) ce sont les deux phénomènes les plus inexplicables auxquels un être est confronté. Les rapprocher pour les expliquer l’un par l’autre ? Les rêves sont des flammes, des figures transposées des flammes, qui nous lèchent nous caressent jusqu’à disparition, une trace du feu sans lequel nous ne serions pas. Les flammes sont des rêves prémonitoires de l’humanité.
L’homme se dit qu’au moment de mourir quelque chose doit nous être révélé de la flamme et du rêve, nous dresser des portraits éphémères mais combien fulgurants de nos vrais géniteurs.
Ce soir, devant un beau morceau de chêne dense sur lequel danse le feu, l’homme a pris une décision : il ne mourra pas sous anesthésie.
– par Eric Thuillier