Pleure ô pays bien aimé
Alan Stewart Paton (1903 – 1988) ne m’en voudra pas d’emprunter le titre de son roman écrit en 1948 pour exprimer mon inquiétude devant les attaques destinées à un juge d’instruction. En fustigeant ainsi un homme, ces commentateurs de petite envergure mesurent-ils les conséquences de leurs propos ?
Un ancien président de la République française vient d’être mis en examen sur décision non pas d’un mais de trois juges d’instruction statuant collégialement et voilà que des commentateurs s’en donnent à cœur joie par des attaques ad hominem. Qu’un ancien président de la République ne soit pas un citoyen comme un autre, ni un citoyen ordinaire, est indéniable mais pour autant il est soumis aux mêmes lois et son statut d’ex ne le place pas au dessus de celles-ci. Rien sur le plan légal n’empêche non pas un mais des magistrats d’user des moyens que lui permet la loi pour diligenter une enquête judiciaire. Que cela atteigne son honneur est certain, mais si le législateur avait voulu privilégier la sauvegarde de l’honneur à l’efficacité d’une enquête judiciaire, il n’aurait pas envisagé la possibilité d’une mise en examen.
Ils sont nombreux les mis en examens qui n’ont, par la suite, pas été reconnus coupables des faits reprochés par la juridiction appelée à en connaître. Ceci renforce le principe de la présomption d’innocence qui devrait plus aller de soi que de faire l’objet d’un rappel constant. La mise en examen comme la mise en garde à vue d’ailleurs, n’est qu’un moyen offert à celui qui diligente une enquête pour s’entourer d’un certain nombre de garanties visant à faciliter ses investigations. Et parmi ces garanties figure celle d’accès au dossier de la défense, ce qui n’est pas mince.
Alors tous ceux qui s’épanchent avec des formules qui n’engagent qu’eux et qui démontrent qu’ils ne connaissent du dossier que ce que dit la presse, c’est-à-dire pas grand-chose, feraient mieux de mesurer les conséquences de leurs propos.
Parmi ceux-ci il faut citer ces idées reçues qui se placent en dehors du contexte particulier et qui consistent à dire qu’il est ridicule de laisser entendre que le financement d’une campagne peut porter sur deux ou quatre millions d’euros avec des valises à billets. Ils sont étonnés ceux qui sont aux commandes d’une enquête judiciaire, de voir que la réalité dépasse souvent la fiction. Alors ridicule ou pas, voilà un argument à la fois curieux et inutile parce que les juges ne fondent pas leur conviction sur la seule vraisemblance. Parmi ceux qui dénigrent ainsi, se trouve Georges KIEJMAN, qui, à l’époque où il était Ministre délégué auprès du Garde des Sceaux, avait pour mission la défense de nos institutions et le voilà qui, maintenant par des propos peut-être davantage inspirés par le ressentiment que par le respect des lois et des principes, lance une attaque contre un juge en l’accusant de porter un mauvais coup à la justice. Nulle part il n’est établi que le juge a outrepassé les pouvoirs que lui reconnaissait la Loi. Attention ces propos sont graves car ils affaiblissent une de nos institutions régalienne parce qu’en décrédibilisant un juge, des juges, on porte atteinte à l’institution.
Il y a également d’autres déclarations significatives des réflexes et manières de penser des politiques. Catherine NAY journaliste engagée, éditorialiste et surtout hagiographe de Nicolas SARKOZY, n’hésite pas à affirmer que le recours formé par le défenseur de l’ancien président pour faire annuler sa mise en examen, n’a aucune chance d’aboutir parce que l’épouse du juge GENTIL, magistrate elle-même , siège à la cour d’appel de Bordeaux. Parler ainsi revient à laisser entendre que les relations priment sur les lois et les principes déontologiques. « On ne juge les autres que d’après soi-même » (François Mauriac).
La liberté de parole est essentielle dans un pays où la démocratie est élevée au rang de religion mais ceux qui l’exercent doivent s’autocontrôler pour ne pas mettre en danger au-delà de nos institutions, les fondements mêmes de cette démocratie. « La liberté n’est possible que dans un pays où le droit l’emporte sur les passions » (Jean Baptiste Henri Lacordaire – 1802/ 1861). N’oublions jamais que c’est à la Justice qu’il appartient de dire le Droit.
Et puis si cette institution se trouve comme d’autres, l’éducation nationale, les forces de l’ordre, « désacralisées » (le mot n’est pas de moi) par les propos des politiques qui n’en ont pas mesuré les conséquences, alors il nous faudra dire comme Platon
« Lorsque les pères s’habituent à laisser faires les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leur parole, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie. » (PLATON – 429-347 AVJC « La République »)
A ce moment là, il ne restera à mon pays bien aimé que des larmes.
– par Joël BRAUD
Pau, le 27 mars 2013
Dans la cas particulier, j’ai plutôt l’impression du contraire. L’action principale étant prescrite c’est tout de même en son nom que les faits de financement illégal ont été opportunément transformés en abus de faiblesse. Je veux bien que dans ce dernier cas, le juge qui instruit à charge et est donc parfaitement critiquable sans que les fondements de la République ne s’en trouvent ébranlés, ne se préoccuppe pas de la matérialité des faits et de leur vraisemblance. Quant à ternir définitivement la réputation d’un homme, quelle importance puisque c’est au nom de la recherche de la vérité.
Eh bien si justement. C’est ce que j’ai essayé de démontrer. Ce matin nous apprenons que ce juge a reçu des menaces de mort. C’est la conséquence directe de tous ceux qui ont critiqué le juge et par là la justice, de réveiller les malades mentaux.
Voir aussi l’article de Pierre Esposito qui, en des termes différents des miens, soutient la même thèse.
Que savon-nous du dossier ? Ce que dit la presse, par expérience, je puis vous affirmer que ce n’est pas grand chose.
Il semble que nous en sachions trop ou pas assez, en effet. C’est tout le problème. Les fuites en provenance des cabinets d’instruction sont constantes. Curieusement, aucune enquête n’est jamais diligentée pour en connaître l’origine. Quant aux « menaces » de mort, n’en rajoutons pas…