Immoralité, opacité, impunité
Ces trois mots résonnent comme une devise en creux qui se mettrait à remplacer celle qui figure sur les édifices publics. Bien entendu, personne n’en fait la promotion ouvertement. Mais on sent les réticences.
Les commentateurs qui n’avaient pas de mots trop durs pour fustiger la « mollesse » du Président de la République en sont pour leurs frais. Le « capitaine de pédalo » aurait cette fois la main trop dure. Il faut cependant lui reconnaître l’habileté d’avoir su retourner la situation. Si l’on estime que son voyage en Corrèze était une preuve de faiblesse analogue à celle du Général de Gaulle se réfugiant à Baden-Baden en mai 1968, ce qu’il en a sorti mérite débat et pourrait marquer un tournant dans la vie politique française. Un tournant que le peuple de France attend avec impatience.
Si rien ne sortait des mesures annoncées, il est certain que les citoyens concluraient vite au « Tous pourris », et ce ne serait pas bon pour la démocratie. Ne croyons pas trop à un inéluctable relâchement des mœurs ou à une décadence morale. L’historien romain Salluste exprimait une opinion analogue dès 42 avant J.C. (*). Il est vrai que la République romaine a sombré à la faveur (si l’on peut dire) de ces troubles.
Ce qui caractérise notre époque, c’est la multiplicité des possibilités d’évasion fiscale et l’aide massive que l’on peut obtenir des experts en optimisation fiscale. Même de grandes banques proposent par leurs filiales dans des paradis fiscaux des montages opaques. Les mots que j’employais (« l’incurie » des instances internationales) dans mon article de la semaine passée étaient sans doute trop durs. Mais ils correspondaient au ressenti de bien des citoyens. Pour être plus juste, il faut reconnaître qu’il y a eu quelques avancées. La Suisse, par exemple, accepte maintenant de coopérer en matière de transparence fiscale (**). Mais ce n’est pas le cas de l’Autriche et si le Luxembourg cède, ce ne sera que parce qu’il ne peut refuser aux Européens ce qu’il accorde aux Etats-Unis. Mais de nombreux paradis fiscaux perdurent. Seraient-ils plus accommodants si des accords internationaux décrétaient un embargo sur leur approvisionnement en énergie ? On peut le penser, car on ne peut attendre qu’ils ruineront d’eux-mêmes leur fond de commerce. Aussi, ce n’est que la pression des citoyens qui pourra faire bouger les lignes.
Herman Van Rompuy, le discret Président du Conseil européen le reconnaît en déclarant : « L’évasion fiscale est une injustice pour les citoyens qui travaillent dur et paient leur part d’impôts pour contribuer au fonctionnement de la société et une injustice pour les entreprises qui paient leurs impôts mais ont du mal à être compétitives parce que d’autres ne le font pas. » « Nous devons profiter d’un terrain politique de plus en plus favorable pour nous saisir de ce problème majeur qu’est l’évasion fiscale ». Elle prive les pays de l’Union Européenne de 1.000 milliards d’euros par an, soit le budget de l’Union pour 7 années.
– par Paul Itologue
(*) « Le culte de l’argent, duquel dépendait la gloire, le pouvoir et l’autorité personnelle, entraîna la perte des valeurs morales : la pauvreté devint rédhibitoire, l’honnêteté suspecte » Salluste « La conjuration de Catilina »
(**) « Le Conseil fédéral a décidé de mesures qui permettront de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent. Les dernières révélations liées aux places offshore démontrent du reste la justesse de cette politique » E. Widmer-Schlumpf, Ministre des finances de la Confédération helvétique