Leader et leadership
Curieusement, le mot leader n’a pas de véritable équivalent en français. Au plus proche on trouve dirigeant, ce qui fait un peu gros pardessus, ou meneur, ce qui fait plutôt chef de classe, syndicaliste ou manifestant. Mais de leader point.
Bien qu’il y en ait partout, vous remarquerez. Dans les championnats de foot ou les courses de vélo ou au trot attelé. Et bien entendu également dans l’opposition de sa Gracieuse Majesté, qui elle a toujours besoin d’un leader. Et un leader dans une organisation démocratique le devient parce que justement il a du leadership. Leadership ça n’existe pas non plus en français, puis qu’il n’y a pas de leaders français. Le leadership n’est pas un commandant de la Royal Navy. Le leadership est une qualité qu’on reconnait à ceux qui sont devant, donc aux leaders. Puisque, suis-je bête de ne pas le préciser à ceux qui ne pratiquent pas le sabir globish, les leaders « leadent ». Ils conduisent, on les suit. Là ça commence à être désagréable à une oreille de Français, parce que chez nous Monsieur, on n’a besoin de personne pour être conduits, on se conduit nous-mêmes. Le dernier leader qu’on avait on lui a coupé la tête et on recommence régulièrement dès qu’il y en a un qui la ramène. On n’a pas besoin de leaders même si on veut bien de temps en temps, quand on a l’âme allemande écouter ceux de Schubert der Lieder Koenig, ou aller faire les courses chez Herr Price, le leader des petits prix pour acheter plus.
Tiens parlons d’entreprises et d’entrepreneurs, puisqu’il semble désormais qu’on puisse le faire sans recevoir des cailloux. S’il y a bien une caractéristique par laquelle un patron se définit, c’est bien par son leadership non ? Sa capacité à entraîner, à animer, à convaincre en interne ou en externe, à motiver ses troupes pour qu’elles adhèrent à son projet. Mais aussi ses clients ses actionnaires, ses banquiers et parfois sa femme, pour faire avancer son schmilblick et lui donner pas seulement un cap, mais des objectifs clairs, chiffrés, ajustés à ses moyens et susceptibles de lui permettre d’investir d’avantage et de grandir. Donc évidemment, la qualité première d’un entrepreneur, c’est son leadership. Les bons entrepreneurs ne sont ni les plus intelligents ni les plus cultivés ni les plus instruits. Ils sont ceux qu’on a simplement envie de croire et de suivre, y compris quand le temps tourne au vilain. Et ça ce n’est pas donné à tout le monde et ça a naturellement un prix. N’en déplaise aux tenants de l’entreprise pour tous, de la redistribution pour tous, des RTT pour tous, et de l’égalité comprise comme égalitariste, minimaliste, réductrice et castratrice.
Et en politique ? Notre Président semble avoir pris grand soin de ne pas en avoir. C’est même sur son absence totale de leadership qu’il a construit sa carrière en politique. Il en a même tiré une gloire toute socialiste. Ce qu’il voulait c’était être normal. Français moyen. Egal. Et pour le rester il comptait sur ses talents d’orateur, sa capacité à la manœuvre, à la synthèse, aux motions, aux promesses, aux coups bas, à l’à peu près et aux petites vannes de comptoir. Son prédécesseur il est vrai, avait souvent confondu leadership et rentre-dedans, mais personne ni en France ni à l’international ne pouvait sérieusement mettre en question sa capacité à trancher, à avancer et à s’engager. En politique locale c’est un peu la même chose. Il faut croire qu’en Béarn il vaut mieux la jouer petit, pas ramenard surtout. Il faut faire peuple, se mettre au niveau et y rester en filant doux en étant bien sûr de gôche. Bayrou lui a une particularité intéressante. Il croit qu’il a du leadership. Il se voit en leader, il s’en donne l’importance et nous délivre sa vision en héraut hiératique et prophète de malheur. Mais leader de qui au fait ? Par chance pour lui, il ne se retourne jamais pour compter ses troupes. Il avance empanaché en se suivant lui-même ce qui lui permet de tourner en rond sans même s’en rendre compte.
On peut se demander d’ailleurs si la pratique de plus en plus complexe du jeu politicien n’exclut pas a priori les leaders naturels, ou s’ils ne s’excluent pas eux-mêmes du fait des qualités qui justement les font différents des autres au risque parfois de leur faire confondre le chemin avec ses bas côtés. Comme DSK ou Cahuzac ou même Sarkozy. Restent de faux leaders à la Mélenchon qui tentent de nous faire croire derrière leurs rodomontades et leurs provocations grossières, qu’ils ont un programme crédible et un véritable projet, alors même que transpire dans leur regard l’énormité de la farce qu’ils nous jouent en prime time. Car point de leader sans confiance. Point de leadership sans une vision claire, assumée, partagée. Fixer un cap mais le suivre en godillant ou oublier de dire que le vent étant contraire, on ne pourra que tirer des bords carrés pour espérer gagner quelques miles tout en mentant avec aplomb sur la date d’arrivée au port, n’aide pas à faire d’un chef institutionnel, un leader respecté, surtout si la nature l’a doté en prime d’un charisme de lavabo.
Comment s’étonner ensuite de la progression continue dans l’opinion d’une leader naturelle qui elle, a parfaitement compris les ressorts de la médiatisation indispensable à la consolidation de son leadership et en joue parfaitement. A sa manière bien sûr, mais force est de reconnaître que d’une part, elle est parvenue à contrôler parfaitement son mouvement et sa parole, ce qui n’était pas une mince affaire dans le marigot de l’extrême droite française, et que d’autre part elle a une vision parfaitement erronée du point de vue de tout analyste un tant soit peu compétent, mais crédible pour beaucoup tant elle s’appuie sur de fausses évidences. D’autant qu’elle les martèle avec conviction. Et que sa personnalité et son caractère de thatchérienne socialo-populiste, son charisme authentique, son courage disons-le, sont de nature à séduire ceux de plus en plus nombreux qui lui trouvent des accents gaulliens et ce n’est pas le moindre des paradoxes, quand on relit l’histoire.
Alors qui se lèvera devant elle demain ? Qui sera capable d’opposer son leadership à celui de Marine Le Pen ? Qui lui barrera la route ? François Hollande ? Harlem Désir ? Claude Batolone ? François Fillon ? Qui sera le leader dont ce pays a besoin pour retrouver le sens de la pente, si possible celui qui monte. J’avoue avec désespoir que je ne le vois pas.
– par Oscar
Leader
Le mot leader est difficile à traduire car son contenu, d’origine anglaise, représente une culture qui n’est pas très répandue dans «le patrimoine» intellectuel français, plus tourné vers la collégialité.
Tant que le mot s’applique à l’économie actuelle, très influencée par la politique anglo-saxonne « leader » convient très bien, l’individualisme qui le caractérise s’adapte à la définition:
«Personne qui, à l’intérieur d’un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement»
La traduction en allemand donne une idée plus précise de cette notion: « Führer»; compte tenu de la charge affective liée à ce mot, leader serait sans doûte beaucoup moins revendiqué si c’était le mot allemand qui avait été conservé!
La culture française s’adapte mieux au terme et à la fonction de Président.
« «le patrimoine» intellectuel français, plus tourné vers la collégialité. »
Vous trouvez vraiment ? C ‘est je pense plutôt dans le patrimoine allemand que la collégialité est effective, l’idée de « Führer » étant à ce point de vue strictement spécifique à une période de leur histoire, sans véritable usage antérieur ni et c’est heureux, postérieur à cette parenthèse maudite.
Quant à la notion de President, elle est plutôt américaine et se distingue d’ailleurs de la notre, en politique comme dans l’ entreprise, par le caractère exécutif de la fonction. C’est ce que l’on dit lorsqu’on parle de la « présidentialisation » de notre système.
Leader et leadership… un article que je me permettrai de recommander à la dernière promotion de l’ENA. Tout au long de votre article, en arrière-plan, un mot se cache, un anglicisme aussi ou un globish : Manager. Et ce que vous dites de François Hollande prend alors, tout son sens : ce n’est pas un leader, c’est un manager et c’est logique. L’ENA n’a pas pour vocation de former des leaders mais des serviteurs de l’Etat, bons managers d’hommes et de moyens.
Mais vos propos et exemples, font naître une grande crainte : le leadership ne remet-il pas en cause l’alternance démocratique ? Ne remet-il pas en cause la décentralisation de nos institutions parce qu’elle conduit à la multiplication des leaders (biscuit ou crème de notre millefeuille ?). Il faut reconnaître que depuis plus de 20 ans maintenant, notre République (ou plutôt, les élus qui prétendent en être les leaders) fait un bien mauvais usage de l’alternance et de la décentralisation.
Mais, qui pour conduire le changement dans le respect de la démocratie et de la République ?
Un leader ne peut réussir s’il n’est pas capable de transformer son objectif en résultats. Donc s’il n’est pas aussi un « Manager », un autre mot en effet sans équivalent immédiat en français. Bien que d’aucun utilisent l’horrible manageur qui me fait penser à déménageur ou à ménager. A ce point de vue, vous avez raison de souligner que le leadership n’est pas la qualité première demandée à un élève de l’ ENA. Mais tout le monde ne peut pas être non plus un leader. Serviteurs de l’ Etat nos Enarques ? Je dirais Managers en Affaires Publiques. Çà me parait plus conforme à la réalité à une époque où les grands idéaux sont un peu démodés
Opposer leadership et alternance démocratique me parait par contre erroné. Ce serait assimiler leadership à dictature,ou à autocratie deux modes de « management » pourtant diamétralement opposés. Le leader entraîne parce qu’il convainc. L’ autocrate oblige soit par la force de de ses légions, soit par l’influence de ses réseaux, soit par les prébendes qu’il prélève et distribue.
Si François Hollande n’est hélas pas un leader, il n’est pas non plus un manager. Il est l’homme du compromis au lieu d’être un arbitre, de la synthèse démocratique au lieu d’afficher clairement ses convictions et ses choix dissimulés. Ça suffisait pour diriger le PS. Je doute que cela le conduise bien loin à la tête du pays.
Alors peut-on imaginer pallier à l’absence de leaders politiques par des structures de décision collectives ou participatives, comme le prétendent les tenants d’une 6ème république ? J ‘en doute fort, d’une part parce qu’il est probablement plus facile de pallier à l’incompétence d’un seul qu’à celle d’un groupe et que d’autre part quelque soit ce groupe, il finit toujours par désigner son leader. Qui lui n’est pas nécessairement ni identifié, ni même responsable.
Dernier point personne ne peut prétendre être un leader. Et personne ne peut nommer un leader. On peut par contre prétendre être un chef, surtout si on est reconnu comme tel par des sous-chefs.
LEADER
Traduction éventuelle « figure de proue »
A condition de ne pas être dans une « galère » :-)>
Hollande est donc un « leader cheap »…
« Comment s’étonner ensuite de la progression continue dans l’opinion d’une leader naturelle qui elle, a parfaitement compris les ressorts de la médiatisation indispensable à la consolidation de son leadership et en joue parfaitement. »
Il paraît que les bouledogues sont très gentils avec les enfants, mais il ne faut pas les mettre en rogne, hein, surtout quand ils passent à la télé, SAUF s’ils interprètent un lieder (poème chanté) de Malhe(u)r, naturlich.
Ouaf ouaf !
« Leader cheap ». Cher Antoine, je suis extrêmement frustré de ne pas avoir trouvé ça tout seul et je vous en veux donc terriblement..Pour la peine, je n’exclus pas de le replacer sans vous citer. 🙂