La Cité des Pyrénées : Un entretien avec Daniel Hebting

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IMG_0339 - Version 2La « Cité des Pyrénées », ouverte le 2 mars à Pau, doit beaucoup à Daniel Hebting, arrivé il y a 30 ans à la MJC Berlioz et qu’il dirige depuis une quinzaine d’années. A cette époque, beaucoup de jeunes du quartier étaient « addicts à la dope ». Pour Daniel Hebting, il fallait leur trouver de nouveaux challenges pour les sortir de la spirale infernale de la drogue. Ce fut la montagne.
30 ans plus tard, la montagne est devenue « la marque de fabrique » de la MJC et, c’est bien naturellement qu’elle a servi de socle à la mise en place de la « Cité des Pyrénées », un espace unique dans toute la région qui va ancrer plus encore Pau, comme Porte des Pyrénées.
Rencontre avec un homme tenace et de convictions, qui a mené une très belle aventure humaine couronnée par l’inauguration de la « Cité des Pyrénées ». Une cité que tous les passionnés de montagne doivent maintenant s’approprier. Un nouveau challenge pour Daniel Hebting : la faire connaître du plus grand nombre, de Perpignan à Hendaye, de Portbou à Irun. AltPy est heureux d’y participer.

AltPy – La « Cité des Pyrénées » est enfin ouverte. Vous en êtes en quelques sorte le « porteur d’idée ». A quel moment vous est-elle venue ? 
Daniel Hebting – L’idée, je dois la partager avec Pascal, le cordonnier du quartier. Il  commençait à « retaper » les premiers chaussons d’escalade de la MJC Berlioz et développait une activité autour de la rénovation de matériel de montagne. Son local était devenu un lieu de rencontre, au début des années 90, où l’on venait discuter montagne.
En 1995, dans le cadre d’une formation, j’ai réalisé un stage à la « Maison de la Montagne » de la Réunion. A mon retour, je me suis dit : « ils ont crée cela là-bas, pourquoi cela n’existe-t-il pas ici ? »  L’idée était née.
Avec Pascal, nous avons organisé une première rencontre avec le monde montagnard, un monde viril, un peu dur avec ses caractériels et ses poètes. Parmi eux, il y avait un spéléo Philippe Ragoin. Nous découvrions alors que la montagne possédait  « un dessous ». Etaient présents à cette réunion « jeunesse et sport », des guides, Bunny, Christian Ravier, des accompagnateurs, Padelli etc.
L’idée a germé. Nous avons écrit des statuts « usine à gaz » pour que tout le monde puisse avoir sa place dans cet équilibre qui paraissait instable et créé alors l’association « Maison de la Montagne ». Celle-ci s’est installée dans les locaux laissés libres lorsque la MJC Berlioz a déménagé avenue de Buros.

AltPy – Pourquoi la MJC Berlioz que vous dirigez, a-t-elle pris le cap de la montagne ?
Daniel Hebting –  Le contact avec les sports de montagne s’est créé dans les années 75, grâce (!) à de jeunes toxicomanes consommateurs d’héroïne dont la population était très forte sur le quartier Berlioz. Nous étions assez désemparés. Jeune éducateur, j’ai pensé qu’il fallait tenter de trouver des substituts, de les faire se confronter à d’autres expériences fortes, sur de nouveaux terrains de jeux. La montagne s’offrait à nous.  L’escalade pouvait présenter des similitudes avec ce qu’on peut éprouver avec la dope, la prise de risque, peut-être le rapport à la mort, l’engagement, la recherche de l’adrénaline. C’est comme cela qu’a commencé l’activité montagne de la MJC. Cela me permettait aussi de casser l’activité, les hiérarchies des bandes sur le terrain. Le jeune qui se « dégonflait » en montagne, quand il fallait par exemple tirer un rappel, perdait une partie de son statut quand il revenait sur le quartier.
Nous pensions aussi que la montagne était un super terrain de jeux et d’expérimentation. La Maison de la Montagne a pris le relais et entraîne aujourd’hui des jeunes adultes à restaurer des cabanes et à se confronter à un milieu parfois hostile. Le tout porté par des valeurs chères aux montagnards : la solidarité, le faire ensemble, qui permettent d’affronter et de dépasser des situations difficiles.
Cela fait partie de ma philosophie. Avec un ici, le quartier, un ancrage territorial et des ailleurs, ces espaces de rêves dont la montagne fait partie.
Beaucoup de ces jeunes sont morts, le sida, l’overdose… mais il y en a aussi qui s’en sont sortis. La montagne a servi.
Aujourd’hui, nous avons davantage de jeunes qui fréquentent la MJC. S’ils connaissent parfois des difficultés, elles sont beaucoup moins importantes. Pour autant, aller avec eux dormir une nuit sous l’igloo, tirer un rappel, font toujours partie de nos rituels….
Les jeunes qui fréquentent la MJC sont mieux armés que d’autres. Vingt ans après nos actions sont plus mures et bénéficient de l’expérience passée.

AltPy – La démarche montagne est allée plus loin…
Daniel Hebting –  La montagne est devenu un marqueur du quartier. Tout le monde la pratique. Le directeur de l’école, celui  de la maison de l’enfance, les travailleurs sociaux, les commerçants et artisans… La pharmacie communique aussi autour de la montagne. Certains, des jeunes grimpeurs choisissent même de venir vivre dans ce quartier etc.
La MJC organise actuellement 3 sorties montagne par semaine plus celles pour les jeunes, les familles et les camps. Souvent en lien avec des sorties initiées par  la Maison de la Montagne et la Maison de l’enfance.

AltPy – Le quartier Berlioz est devenu le quartier le plus montagnard de la ville de Pau alors qu’on ne les voit pas…
Daniel Hebting – On les voit et il y a une excellente vue depuis la bibliothèque de la Maison de la Montagne, au deuxième étage au sein de la « Cité des Pyrénées ».

AltPy – La « Cité des Pyrénées » va amplifier cette démarche montagne…
Daniel Hebting – Bien évidemment, quartier et montagne, il y a ici, le Club Alpin français, les Amis du Parc National, l’association de « Préhistoire et de spéléologie du Béarn », le cycloclub béarnais, la Maison de la Montagne où les guides et accompagnateurs se retrouvent…  A cela il faut ajouter les deux commerces spécialisés sur le matériel de montagne. Tout cela crée une synergie.
Comme point de rencontre, la « Coulée douce » un bar associatif ouvert à tous,  sert des boissons, des crèpes pour l’instant. Elle va s’ouvrir à la restauration et propose dès aujourd’hui des soirées à thèmes et des soirées Tapas, tous les vendredis soirs .
Sur place, on trouve aussi un espace jeune et des lieux libre expression pour la danse et la gym qui appartiennent à la MJC. Une salle d’activité, la salle Hector (ndlr : pour Hector Berlioz) qui est ouverte au quartier.
En haut, se trouve installée l' »Association la Maison de la Montagne » et la médiathèque qui va devenir à court terme la bibliothèque spécialisée montagne la plus importante en France avec plus de 4.000 volumes, DVD, topo guides, cartes, livres pédagogique, livres destinés aux jeunes, livres sur les Montagnes du Monde etc. Son ouverture est prévue début juillet.

Ce qu’il faut mettre en avant, c’est toute l’information vivante qui va se croiser dans ce lieu par l’intermédiaire des montagnards qui le fréquenteront. Ici, le social est donc étroitement lié au développement territorial et économique mais aussi aux Pyrénées, au Pyrénéisme, à la culture et aux sports de montagne.

AltPy – A terme, des évènements majeurs pourraient se tenir sur place ?
Daniel Hebting – Déjà, il y a des expositions prévues et organisées par la « Maison de la Montagne » dont une actuellement de très belles photographies de Teresa Kaufman*, photographe américaine qui est venue porter un regard particulier sur la vallée d’Aspe. D’autres vont suivre régulièrement.

AltPy –  Comment financez-vous vos actions ? Ressentez-vous le poids des contraintes budgétaires actuelles ?
Daniel Hebting – La période est difficile mais nous devons relativiser quand nous nous comparons avec nos amis espagnols avec lesquels nous organisons des activités communes régulièrement. Ils vont très, très mal mais ont toujours autant l’envie de nous rencontrer et de faire ensemble. Un exemple.
Ce nouveau lieu est une charge supplémentaire pour la MJC puisque c’est elle qui a la responsabilité du bâtiment de la « Cité des Pyrénées ». C’est aussi une belle reconnaissance pour notre travail. Nous y avons créé, autour de la Coulée Douce, un premier emploi que nous allons essayer d’autofinancer. Nous passons à une logique marchande, économique tout en gardant nos valeurs sociales. Nos partenaires financiers, les collectivités territoriales précisent de plus en plus, les affectations des budgets qu’elles nous octroient. Nous devons faire évoluer nos façons de faire et pensons développer certaines activités (ndlr : payantes) dans nos salles de réunions ou pour faire fonctionner plus encore la structure. Les activités de loisirs doivent trouver leur équilibre financier. Il s’agit aussi d’aider à développer des synergies, des échanges et des mutualisations autour de tout ce monde de la montagne qui se rencontre ici.

AltPy – Les commerçants ajoutent aussi un attrait à la « Cité des Pyrénées »…
Daniel Hebting – Les « Artisans de la Montagne », situés à deux pas, au centre du quartier proposent de la cordonnerie traditionnelle mais aussi de la réparation de matériel de montagne, notamment pour les chaussons d’escalade et les chaussures en Vibram. Ils sont devenus une référence sur toute la chaîne pyrénéenne puisqu’ils reçoivent des chaussons depuis Perpignan, Bayonne ou même d’Espagne. On y trouve aussi de la location et de la réparation de matériel de canyoning. Un deuxième commerce s’est installé dans la Cité elle-même en décembre 2012 : Alpirando avec deux jeunes passionnés qui sont venus ici pour partager cette aventure. On y trouve du matériel de montagne de qualité et surtout de bons conseils.

Reste maintenant à donner du rythme et du volume à toute cette belle structure.

– propos recueillis par Bernard Boutin

Le site de la MJC Berlioz : www.mjcberlioz.com/
Contact : mjc-berlioz-culture@sfr.fr
Blog de la Maison de la Montagne : http://blog.lamaisondelamontagne.org
Le site de Teresa Kaufman http://teresakaufman.com/index.php
Le site de la Cité des Pyrénées : en construction

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9 commentaires

  • Je redis ce que j’ai dit le 7 juin, puisque seule une partie de mon commentaire a été prise en compte :
    « Bravo Daniel, je sais quel courage tu as déployé pour amener la MJC là où elle est actuellement. N’empêche que les montagnards de Berlioz ont célébré le 31 Mai dernier, l’enterrement de l’activité « Montagne » telle que nous la pratiquons jusqu’à maintenant et cela malgré l’opposition d’une grande majorité de ses adhérents. L’avenir de cette activité est, pour le moment, plus qu’incertain. « 

  • Très beau parcours ! Dommage qu’il se termine à quelques mois de la retraite par le sabordage de l’activité montagne par la suppression du poste d’accompagnateur salarié, contre l’avis de la majorité des adhérents de cette activité

  • Rectfication : la réunion avec les montagnards de Berlioz a eu lieu de 5 juin et non le 31 Mai comme indiqué par erreur.

  • Bravo Daniel, je sais quel courage tu as déployé pour amener la MJC là où elle est actuellement. N’empêche que les montagnards de Berlioz ont célébré le 31 Mai dernier, l’enterrement de l’activité « montagne » telle que nous la pratiquons jusqu’à maintenant et cela malgré l’opposition d’une grande majorité de ses adhérents.
    L’ avenir de cette activité est, pour le moment, plus qu’incertain.
    Nicky64

  • Daniel,
    dans ce beau discours, tu soignes remarquablement ton ‘aura’ mais pourquoi n’évoques-tu jamais tes proches collaborateurs: les salariés de la MJC , les membres du CA qui t’ont suivi , les bénévoles et adhérents qui tout comme toi , à leur place, ont oeuvré pour l’aboutissement de cette idée ?

  • Bravo Daniel Hebting!
    Il vous aura fallu bien du courage et de la ténacité pour parvenir à ce résultat!
    Merci aussi pour cet entretien. Il me montre que j’avais tort lorsque je pensais qu’une Maison des Pyrénées serait mieux localisée en un lieu plus accessible aux touristes et aux palois comme les abords du funiculaire, sous le boulevard des Pyrénées. Il y avait à faire ailleurs….
    Jean-Paul Penot

  • « un plaisir quasiment gratuit : crapahuter en montagne. »
    Gratuit ?? D’abord, il y a le transport de Pau au point de départ d’une rando: disons en moyenne 3h aller-retour.
    Et l’escalade est un sport qui coûte: en chaussons et en cordes.

  • Bravo Monsieur pour votre courage. Il en faut pour se battre pendant 30 ans pour que des jeunes découvrent autre chose que la dope… un plaisir quasiment gratuit : crapahuter en montagne. Un plaisir tout autant porteur d’adrénaline quand on affronte le vide et l’effort mais aussi, parfois, des conditions météo inattendues et extrêmes.