Le mythe Rimbaud

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rimbaud_photo_retrouvee_560Le mythe Rimbaud a la vie dure.

En 2010 une photographie de lui, âgé de vingt-six-ans, a été retrouvée fortuitement à Aden. Nous découvrons un jeune homme assez quelconque, l’air un peu compassé, en habit de bourgeois et dont le regard n’accroche plus la lumière. Neuf ans plus tôt, l’objectif de Fantin-Latour le montre en compagnie de plusieurs artistes (parmi lesquels se trouve Verlaine). Et là que voyons-nous ? Un adolescent aux yeux myosotis, les cheveux en désordre, le visage inspiré, qui semble ouvert à toutes les magies.

Quoi ! « Le passant considérable » que décrit Mallarmé aurait changé à ce point.

Malgré les preuves accumulées, un certain nombre de thuriféraires de l’épopée rimbaldienne n’ont pas voulu croire à une telle transformation. Ce Rimbaud-là ne ressemblait plus à un poète.

Et pourtant ! Cinq années tout au plus couvriront l’expérience créatrice de Rimbaud. Quatre verront naître ses chefs-d’œuvre. Puis le silence… un silence définitif s’installera. A vingt ans déjà, « l’homme aux semelles de vent » avait abandonné la poésie, comme brûlé de l’intérieur et comme si elle n’avait été au fond qu’une parenthèse dans une vie d’aventures et de trafics.

A l’âge où d’autres poètes commençaient à peine à trouver leur style, Rimbaud, lui, mettait un point final à son œuvre.

Sa précocité est confondante. « Le dormeur du val » et « Ma bohème » sont nés sous la plume d’un garçon de seize ans. A dix-sept ans, « Le bateau ivre » précédé de « Voyelles » annonce une poétique nouvelle.
Bientôt vont fleurir des poèmes inédits aux inflexions aériennes :

« Que comprendre à ma parole ?
Il faut qu’elle fuit et vole ! »

« Une saison en enfer et « Les illuminations » composés avec fébrilité cloront cette expérience poétique hors du commun et menée à un rythme vertigineux.

Avec de menues maladresses et d’éclatantes réussites, Rimbaud devient l’égal des plus grands. Son incroyable plasticité littéraire lui fait emprunter dix voies différentes sans jamais se perdre. Vers classique, libéré, libre, prose poétique : rien en fait ne l’arrête !

Sentait-il confusément que l’accomplissement de son art lui dictait ces orientations successives ? Nul ne le sait. Rimbaud en tout cas se paie le luxe d’être toujours lui-même en se renouvelant toujours.

Etrange destin que le sien. Après avoir révolutionné la poésie française, Rimbaud fuit vers d’autres cieux. Il nous donne simplement congé. Et la photographie que nous contemplons laisse un goût d’amertume, celui des illusions perdues.

– par Thierry Cabot

* Sur la photo : Rimbaud est le deuxième personnage en partant de la droite.

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4 commentaires

  • « Les Chants de Maldoror » de Lautréamont.
    Un chef-d’oeuvre !
    J’y songerai.
    A bientôt et merci.

    • L’Abyssinie est un peu au delà de la Garonne et des Pyrénées, mais cela fait du bien un peu d’exotisme.
      Il serait intéressant de comprendre ce qui l’a fait changer. Le rapport à l’argent? La crainte de n’être plus que l’ombre de lui-même?
      Il faudrait poser la question aux jeunes. Les étudiants palois ont boudé la séance de jeudi 23 (pourtant gratuite) sur le campus organisée conjointement avec le Méliès. Mais ceux qui y ont assisté ont pu se poser la question pour Jim Morrison, le chanteur des Doors. A 27 ans, il n’est plus le même qu’à 20 ans. Pour lui, la drogue, l’alcool et le succès ont eu raison de lui. Mais la petite flamme de la poésie brûlait encore à sa mort.

      • Au cours des années 1880, une phrase résume bien à elle seule la position de Rimbaud vis-à-vis de son oeuvre.
        Comme Alfred Bardey se risquait un jour à l’interroger sur ses poèmes, celui-ci ne cacha pas sa désapprobation : ” Des rinçures, ce n’étaient que des rinçures “.
        Selon Paul Guth, un créateur normal puise dans son enfance dès l’âge de 25 ans pour construire son oeuvre. Mais Rimbaud « n’a plus d’enfance, qu’il a brûlée, plus de capital, plus de source. Il n’est que désert et cendres. D’où son silence. »
        On peut donc imaginer que Rimbaud s’était littéralement asséché, avait perdu toute flamme et ne regardait son expérience poétique passée que comme une épopée révolue.

  • J’espère que vous aurez l’occasion de nous parler (entre autres car il y en a un paquet et c’est tant mieux) du grand-petit Ducasse (pas le cuistot ni l’inventeur du pied en coulisses), qui fréquenta Pau et Tarbes et mon arrière arrière arrière grand-mère, quand elle était jeunette. Je parle bien sûr du Comte de Lautréamont, mort à 24 ans, que les surréalistes du quartier de l’avenue Péboué vénèrent dans une impasse à son nom. Merci à vous !