L'Europe : Questions à Alain Lamassoure
AltPy – L’Europe est souvent montrée du doigt comme bouc émissaire pour les problèmes économiques et d’emploi en France. Principal responsable désigné : le tout-libéralisme de la commission avec ses conséquences sur notre secteur industriel en peau de chagrin. Quelles réponses apporter à ces détracteurs ?
Alain Lamassoure – L’Europe en général, la Commission en particulier, sont des boucs émissaires faciles de nos échecs nationaux. Au sein de la même zone euro, la France est en déficit commercial de 70 milliards alors que nos partenaires affichent aujourd’hui un excédent additionné de 200 milliards ! Si, au sein de la même zone, la part relative de notre industrie s’est réduite d’un tiers en dix ans (!), nous ne le devons évidemment qu’à nos propres faiblesses ! Quant au soi-disant « tout-libéralisme » de la Commission, la formule fait sourire hors de France. Ce n’est pas la Commission qui décide, ce sont les élus : les ministres réunis en Conseil, d’un côté, et le Parlement européen de l’autre. Or, au sein du Parlement, le rapport des forces est tel qu’aucun texte ne peut être adopté sans les voix des socialistes européens. Il y a un seul domaine pour lequel la Commission a des pouvoirs propres : c’est la concurrence. Le Commissaire en charge, Joaquin Almunia, est un socialiste espagnol…
AltPy – Potentiellement première puissance économique, l’Europe n’existe pas sur la scène internationale. Fondamentalement et structurellement, quelles en sont, selon vous, les raisons profondes ? Quelles mesures faudrait-il prendre pour changer cela ?
Alain Lamassoure – Je nuancerais d’abord votre jugement. Ce qui est incontestable, c’est que l’Union européenne, en tant que telle, n’est guère visible sur la scène internationale. Cela s’explique par le fait que, pour l’essentiel, les relations extérieures restent de la compétence des États membres, le pouvoir de l’Union se limitant à la coordination des politiques nationales. En outre, l’Union n’a pas de moyens militaires propres pour soutenir son action diplomatique : elle dépend totalement du bon vouloir des États, non seulement sur le principe d’une action, mais sur son déroulement au jour le jour. Si bien que quand les grands pays (en pratique Paris, Berlin et Londres, les autres suivant peu ou prou) sont divisés, les Européens restent spectateurs. En revanche, quand ils sont unis, ils obtiennent des résultats non négligeables. Ce sont eux qui ont obtenu la création de l’Organisation mondiale du Commerce, du Tribunal Pénal International et même du G20, trois institutions dont les Américains ne voulaient pas. C’est la diplomatie européenne et les casques bleus européens qui ont mis fin, il y a quelques années, au conflit le plus sanglant depuis la deuxième Guerre Mondiale, la guerre du Congo. Plus récemment, ce sont les marines européennes qui sont venues à bout de la piraterie au large des côtes somaliennes. L’Autorité palestinienne n’existerait pas sans l’aide de l’Europe, qui paye la totalité des salaires de ses fonctionnaires. Enfin, c’est l’Europe qui porte à bout de bras les négociations contre le changement climatique, auxquelles le reste du monde finit – trop lentement – par se rallier.
Depuis trois ans, grâce au traité de Lisbonne, nous avons mis en place les moyens d’une coordination plus efficace et surtout plus visible : l’Union a désormais un Haut-Représentant pour la politique extérieure et des ambassadeurs dans 120 pays. A partir de là, tout dépend du choix des personnes. Le renouvellement des grands responsables prévus l’an prochain sera important.
AltPy – En mai 2014, les citoyens européens vont élire un nouveau parlement à Strasbourg. Beaucoup montrent du doigt le fonctionnement difficile à comprendre et peu représentatif des institutions européennes. Quelles améliorations « démocratiques » peuvent-ils espérer une fois que la nouvelle législature sera mise en place ?
Alain Lamassoure – Ils auront enfin ce qui leur manque : un »Monsieur » ou une « Madame » Europe, élu par eux. Car c’est une autre novation du traité de Lisbonne : le Président de la Commission européenne ne sera plus un haut fonctionnaire international nommé par les chefs d’Etat, il sera élu par le Parlement européen au lendemain de l’élection de celui-ci. Dès maintenant, les partis politique européens s’organisent pour choisir leur candidat et élaborer un programme commun pour les 28 pays. Pour la première fois, il y aura une vraie campagne d’échelle européenne, et ce sont les citoyens qui éliront le chef de l’Europe et son programme. Cela changera tout !
L’Europe, plus près de nous :
AltPy – Pour nos lecteurs béarnais, bigourdans et basques : En quoi concrètement, l’Europe intervient-elle pour favoriser le développement économique (et plus particulièrement le développement industriel et des voies et réseaux de communication) de notre territoire, bien éloigné de Bruxelles ? Quel(s) projet(s), nous concernant directement, êtes-vous prêt à défendre pendant la prochaine législature ?
Alain Lamassoure – C’est pour moi un sujet d’exaspération : loin de nous, l’Europe ? Elle est quasiment dans chacun de nos villages. Non seulement la moitié des ressources de nos agriculteurs proviennent directement des aides de la P.A.C., mais pour la seule région Aquitaine, c’est plus de mille projets d’investissements locaux qui bénéficient chaque année de financements européens. De la Cité mondiale du vin à Bordeaux au réseau d’aides ménagères des vallées du Haut-Béarn, du nouveau moteur expérimental de Turbomeca à Bordes à la laiterie d’Helette dans la montagne navarraise, l’Europe est partout. Y compris dans l’aide à la banque alimentaire et aux restos du cœur. Mais qui le sait ? Qui le dit ? Le jour de l’inauguration, le représentant de l’Etat et les élus locaux se partagent le mérite. À moins que, par extraordinaire, un député européen soit là. Mais chacun de nous est censé représenter un territoire vaste comme la Suède : le risque de la présence d’un élu européen est faible. En attendant, l’Europe, invisible, est le bouc émissaire commode de nos erreurs.
Ce que nous devons attendre de l’Europe, c’est d’abord le financement des grands projets d’infrastructure comme la LGV, les programmes de recherche et d’innovation, les expériences pilotes dans les quartiers défavorisés et dans les zones menacées de désertification. C’est le modèle européen de développement, dans lequel chacun a sa place.
– propos recueillis par Bernard Boutin
crédits photo PPE
Très consensuel en effet. Trop, peut-être.
Quand je lis le compte-rendu de l’entretien avec Alain Lamassoure et l’article d’Hervé Cadillac sur le même sujet : l’Europe., je ne peux qu’espérer ! Sur ce sujet, il existe, en France, une base consensuelle forte et large. Alain Lamassoure nous donne son idée de l’Europe, une version politique. Hervé Cadillac et les commentateurs dans le forum en donnent la version citoyenne. Mais la ligne maitresse est la même : les Européens ne sortiront de la crise qu’ensemble. Même s’il leur faut avancer plus ou moins vite pour y arriver. Il ne faut pas remettre en cause les acquis du passé mais oser faire avancer l’Union dans de nouveaux domaines.
Un sujet majeur, j’espère que A Lamassoure aura l’occasion de venir nous en reparler plus en détail.
Ceci d’autant plus que nous avons à faire là a un élu compétent, reconnu à Bruxelles et qui y travaille beaucoup. Enarque, je crois qu’il est Président de la Commission des budgets.
L’europe est malade parceque l’on n’explique pas suffisament son fonctionnement, et les députés européens ne jouent pas un rôle suffisant de pédagogue sur le terrain.
On les aperçoit pour leur élection (et encore…) puis c’est terminé.
Il devrait y avoir une obligation d’information et d’échange avec les citoyens.
Et bien sûr suppression de ces elections de liste où l’élection est déjà grandement jouée dans les partis.
BB il faut lancer un dialogue régulier avec A Lamassoure.
Pas de problème. Je pense qu’AL, le basco-béarnais, est très content de pouvoir défendre son « Europe » auprès de nous.
Excellentes réponses à d’excellentes questions.