96 heures sans lacets aux chaussures
Les 96 heures de garde à vue infligées à Bernard Tapie s’égrènent dans les bulletins d’information comme si la répétition du fait finissait par nous en confirmer la normalité. Comme si la « justice faisait son travail », en toute impartialité et sans arrière-pensée. 96 heures de garde à vue, n’est-ce pas un peu long quand-même pour un homme de 70 ans et compte-tenu des faits très discutables qui lui sont reprochés ?
Rappelons qu’en droit commun, pour le petit criminel de base, la garde à vue est de 24h, avec possibilité d’une prolongation de 24 heures supplémentaires lorsque l’infraction motivant la mesure de garde à vue est punie d’au moins un an d’emprisonnement, soit 48 heures maximum. La loi Perben a étendu la garde à vue à 96 heures pour la longue et lamentable litanie des horreurs suivantes que je tire du wiki consacré au sujet, avec les réserves d’usage:
- Crime de meurtre commis en bande organisée prévu par le 8º de l’article 221-4 du code pénal ;
- Crime de tortures et d’actes de barbarie commis en bande organisée prévu par l’article 222-4 du code pénal ;
- Crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-40 du code pénal ;
- Crimes et délits d’enlèvement et de séquestration commis en bande organisée prévus par l’article 224-5-2 du code pénal ;
- Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains prévus par les articles 225-4-2 à 225-4-7 du code pénal ;
- Crimes et délits aggravés de proxénétisme prévus par les articles 225-7 à 225-12 du code pénal ;
- Crime de vol commis en bande organisée prévu par l’article 311-9 du code pénal ;
- Crimes aggravés d’extorsion prévus par les articles 312-6 et 312-7 du code pénal ;
- Crime de destruction, dégradation et détérioration d’un bien commis en bande organisée prévu par l’article 322-8 du code pénal ;
- Crimes en matière de fausse monnaie prévus par les articles 442-1 et 442-2 du code pénal ;
- Crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;
- Délits en matière d’armes et de produits explosifs commis en bande organisée, prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-8, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ;
- Délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France commis en bande organisée prévus par le quatrième alinéa du I de l’article 21 de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;
- Délits de blanchiment prévus par les articles 324-1 et 324-2 du code pénal, ou de recel prévus par les articles 321-1 et 321-2 du même code, du produit, des revenus, des choses provenant des infractions mentionnées aux 1º à 13º ;
- Délits d’association de malfaiteurs prévus par l’article 450-1 du code pénal, lorsqu’ils ont pour objet la préparation de l’une des infractions mentionnées aux 1º à 14º ;
- Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie, prévu par l’article 321-6 du code pénal, lorsqu’il est en relation avec l’une des infractions mentionnées aux 1º à 15º.
On voit bien qu’outre des faits criminels extrêmement graves prévus ci-dessus, c’est la notion de « bande organisée » qui préside pour l’essentiel dans l’intention du législateur, à l’extension de la durée de garde à vue, aux fins de confrontation et d’accumulation des preuves, lorsqu’il s’agit d’une bande de malfaiteurs criminels. On veut bien le comprendre. En revanche, il est facile de comprendre aussi que le soupçon de « bande organisée » entraîne de fait l’extension de la garde à vue pour les intéressés, au-delà du principe fondamental de présomption d’innocence et à l’initiative du Ministère Public.
En d’autres termes et en particulier pour cette affaire et alors que la notion d’escroquerie en bande organisée n’a pas été démontrée et semble à beaucoup très largement dimensionnée par rapport aux faits ainsi qu’à la réalité du préjudice subi, un acharnement judiciaire de commande permet à notre justice d’ embastiller toute personne de son choix pendant 96 heures, sans autre nécessité d’en justifier l’obligation pour les besoins de l’enquête. On voit bien en effet que l’esprit de la loi a été détourné dans son application volontairement humiliante et dégradante. Car cette garde à vue prolongée ne s’impose vraiment aux enquêteurs que lorsque plusieurs membres d’une « bande » sont mis en garde à vue simultanément afin d’être confrontés et « traités » de manière à mettre en évidence des éléments contradictoires dans leurs déclarations ou lorsqu’il convient de laisser aux enquêteurs le temps de les confirmer ou infirmer.
S’agissant de cette affaire et des protagonistes au cuir épais et bien défendus qui ont été convoqués non pas simultanément mais au fil des semaines, afin de garantir le fonctionnement continu du fumigène officiel qui encombre suffisamment notre vision pour faire passer des problèmes bien plus brulants au second plan, qui pourra nous faire croire que cette extension de garde à vue était nécessaire au bon déroulement de cette enquête ? Que pouvait-il en sortir de réellement nouveau ? Pense-t-on vraiment nous démontrer ainsi l’indépendance de notre justice ? Si la présidence précédente est visée par approches successives, comment ne pas penser que ce n’est pas par la présidence actuelle ? Quand en finira-t-on avec cet irrépressible besoin de règlements de comptes qui en dit long sur les haines et les frustrations accumulées ? La judiciarisation de notre société et de la politique est-elle le moyen le plus sûr de garantir un fonctionnement démocratique de ses institutions et d’améliorer l’image de ceux qui ont la responsabilité de notre destin ? Faut-il qu’ils soient remplacés par des juges non élus, dont les opinions s’affichent parfois sur des murs des C.. ?
Autant de questions qui restent sans réponse et interpellent, alors même que M Guénant, doit se résoudre sans doute à préparer ses affaires. Je veux parler de sa trousse de toilette et de ses mocassins sans lacets. Une semaine de plus de gagnée pour nous faire oublier que la maison brûle.
« En bande organisée » pour Tapie. Alors si cette incrimination contre Tapie est validée ça devrait faire jurisprudence, et logiquement « certains » vont le sentir passer de la part de notre Justice impartiale.
On ne comprendrait pas que la « bande organisée » soit valable contre Tapie et pas contre ceux qui ont été mêlés à des affaires où il y avait plusieurs personnes qui savaient qu’il se passait quelque chose de pas normal mais qui n’ont pas dénoncé et qui sont restés à leur poste.
Pourtant récemment la « bande organisée » aurait pu être retenue , pour des affaires dans le Pas de Calais avec le financement d’un grand parti politique, également contre des syndicalistes en charge de CE qui s’arrangeaient pour l’utilisation de fonds à des fins privées, ou dans des collectivités avec les attributions de marché illicites que les membres de la commission de dépouillement ont validés sans trop se poser de questions. Pourquoi ça n’ouvre pas la voie à la même incrimination contre tous ceux qui dans ces affaires organisaient/profitaient ou qui au minimum savaient qu’il se passait quelque chose mais n’ont rien dit et rien dénoncé?
Je pense qu’il n’y a pas « d’au-delà » de la présomption d’innocence en la matière, car
l’atteinte à cette présomption est caractérisée « lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire ».
La garde à vue est un moyen pour enquêter et non une déclaration de culpabilité.
De plus, à la lecture de l’article suivant, il apparait que des convocations simultanées ont bien eu lieu.http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/06/27/97001-20130627FILWWW00693-tapie-garde-a-vue-de-bruneau-levee.php
Vous avez juridiquement raison. Mediatiquement je vous laisse en juger..La référence à l’article cité nous indique aussi qu’une simple lettre de courtoisie suffit à vous faire placer en garde a vue dans ce pays désormais. Comme une interpellation un peu agitée suffit à envoyer en prison pour deux mois sans droit de visite un jeune élève ingénieur
On a la photo du beau gosse, le bouquin (« Un scandale d’Etat, Oui! Mais pas celui qu’ils vous racontent » (Editions Plon, 230 pages, 14,9 euros), voici le son : http://www.youtube.com/watch?v=uSGAWaGt3lM; come on, girls and boys !
Ah Oscar, le syndicaliste de ceux qui ont les poches pleines, vivement votre prochain article, il portera sur quoi, le scandaleux emprisonnement de Bernard Madoff?
Syndicaliste…je pourrais mal le prendre. Mais finalement ça me va mieux que lyncheur anonyme ou procureur bénévole. Chacun son truc maël.