L' horizon des suricates
Les suricates sont de petits mammifères communément appelés les guetteurs du désert dont la posture toujours prudente et vigilante et la propension à attendre que surgisse de nulle part, je ne sais quel mouvement, dans la pesanteur infiniment statique du Kalahari, me rappelle invariablement les guetteurs de reprise. Ceux qui, dans la torpeur de ce mois d’août, n’en finissent plus de nous annoncer qu’elle arrive, qu’elle est là, qu’on la voit dans les chiffres et le marc de café sous l’objectif grossissant d’un optimisme de circonstance forgé par des convictions que ne renieraient pas Emile Coué.
La reprise est en Amérique ! Si, si, elle y a été vue par des suricates dignes de foi. Elle est aussi au Japon et en Grande Bretagne. Sans même parler d’ Allemagne où le mot n’existe même plus dans le langage courant. Donc, nous sommes sauvés.
A y regarder de plus près cependant, force est de constater que si reprise il y a, elle ne concerne pour le moment que les économies qui ont largement ouvert le robinet de la création de monnaie, au point d’ailleurs de faire regretter aux tenants de « la croissance pour les Nuls » que la discipline germanique de l’ Eurogroup nous empêche d’appuyer sur nos boutons favoris, inflation et dévaluation, afin de bénéficier nous aussi d’une reprise dopée aux amphétamines. Mais tant pis, nous disent les suricates hissés sur la pointe de leurs pattes, nous profiterons quand-même de la reprise des autres, simplement par ce qu’elle existe et que par une sorte d’effet de porosité, les plus avancés nous feront profiter de leurs largesses, afin que nous puissions continuer à ne rien faire pour nous sortir nous mêmes de notre désert. D’ ailleurs les marchés financiers, dont les suricates sont les consultants préférés tant ils voient loin, nous annoncent chaque jour aussi que la reprise est à nos portes et en inscrivent les conséquences dans des indices triomphaux . Notre gouvernement qui n’en finit plus de ne pas prendre de vacances pour nous prouver que ne rien faire exige une mobilisation de tous les instants, n’en peut plus non plus d’attendre et nous annonce qu’avec la croissance retrouvée, là, maintenant, c’est le chômage qui reculera très bientôt et même avant la fin de l’année. Et là, même les plus optimistes des suricates, se regardent effarés, le cou dressé vers le ciel et la tête scrutant l’horizon sur 360° sans rien y voir d’autre que du caillou et le sourire confiant des banquiers.
La politique « d’argent facile », mise en œuvre par la Réserve fédérale américaine et qui est financée par le reste du monde n’a pour le moment pas réellement profité aux ménages et à l’investissement. Elle a par contre alimenté la spéculation financière comme aux meilleurs jours d’avant la crise au point que l’on commence à parler de « bulle financière » dans certains secteurs comme les biotechs où s’accumulent massivement des fonds spéculatifs, comme aux meilleures heures de la bulle Internet. La machine financière s’est à nouveau auto alimentée et fonctionne en nous renvoyant des signaux que nos suricates interprètent en clignant des yeux alors qu’ils ne cachent en fait que de l’air et un peu de fumée. Les banques qui n’ont jamais été aussi peu enclines à financer des investissements productifs, se vautrent sur les marchés garantis de la dette publique qui elle, croît et embellit puis remboursent rubis sur l’ongle avec de l’argent public les crédits que les Etats leur ont concédés pour les sauver de la banqueroute et de leurs propres excès spéculatifs.
Mais quid de l’économie réelle ? Des investissements ? Des idées nouvelles ? Des projets porteurs de développement et d’emploi ? Des actionnaires désireux de prendre le risque d’investir afin de pouvoir être scalpés plus vite ? Quid du contrôle de la dette et des dépenses publiques ? Là les suricates un rien découragés, baissent la tête et rentrent dans leur terrier. Notre économie lourdingue et étatisée s’essouffle et s’éteint sous le poids des charges que rien n’est venu alléger. Les suppressions massives d’emplois dans les secteurs productifs traditionnels s’accumulent dans les statistiques du sous-emploi et rien ni personne ne peut nous laisser espérer la plus petite des améliorations à court terme. La France a perdu ses actionnaires comme elle a perdu ses emplois. Elle en compte 2 millions de moins qu’en 2008. Tondus, vilipendés et piteux ils se sont retirés de l’investissement industriel pour privilégier des investissements sans risque, en assurance-vie (traduire en dette d’Etat), en immobilier (traduire en immobilisations stériles) ou en épargne liquide sans effet sur notre économie. Nos grands groupes mondialisés et dirigés par des technocrates impavides familiers des cercles de pouvoir et tous sortis des mêmes moules pré-formatés vont bien eux. Ils ont délocalisé tout sauf leur siège social, ce dont il faut les remercier, mais contribuent dans les faits, de moins en moins à notre économie nationale. La part croissante de la dépense publique dans le PIB a généré un tissu d’entreprises qui lui sont asservies et qui, bien qu’elles ne soient ni soumises à une véritable concurrence internationale ni menacées par la délocalisation, bénéficient de généreux subsides au nom de leur nécessaire « compétitivité ». On se demande de quelle « compétitivité » il peut s’agir quand la France est classée 22ème et 9ème en Europe des pays les moins corrompus par l’ ONG Transparency International.
Notre gros paquebot malade balance immobile au bout de sa chaîne rouillée au gré des marées de petites amplitudes que les grandes économies génèrent sur d’autres continents. Son capitaine et son équipage de suricates recyclés en marins d’eau douce promènent leur incompétence satisfaite et optimiste en se perdant dans des cartes périmées qu’ils ne sont pas parvenus à mettre à jour. Comme leurs techniques de navigation d’ailleurs, qu’ils tentent de rendre compatibles avec des croyances d’un autre âge, de même qu’avec les prédictions cataclysmiques de leurs soutiers verts qui s’emploient à vider les chaudières, alors même que leurs passagers naïfs ou inconscients continuent de croire à un appareillage imminent.
Tandis que les plus agiles et les plus jeunes d’entre eux souquent ferme dans les chaloupes dans lesquelles ils se sont depuis longtemps embarqués sans suricates, vers d’autres horizons.
« La part croissante de la dépense publique dans le PIB a généré un tissu d’entreprises qui lui sont asservies et qui, bien qu’elles ne soient ni —»
Pourriez- vous préciser de quel tissu d’entreprises il s’agit ?
Pour ma part, davantage de dépenses publiques se retrouvent effectivement dans davantage d’assurance vie, d’immobilier (je préciserais individuel), mais aussi dans davantage d’écrans plats, portables et autres tablettes ; davantage de dépenses publiques se retrouvent aussi dans une multitude de projets de développements locaux (pays, bien à l’abri de toute concurrence internationale) ou encore dans la rade du bassin d’Arcachon avec une contribution de dépassements d’honoraires.
Ne serait-il pas plus positif de considérer que nos gouvernants comme nos élus, ont maintenant conscience de la situation économique telle que vous la décrivez mais ont quelques difficultés pour convaincre les électeurs qui sont aussi bénéficiaires de telles dépenses ? N’avons-nous pas les élus que nous méritons ?
Enfin, le problème de l’emploi des jeunes ne touche pas majoritairement les jeunes diplômés et certainement pas les plus diplômés (hors lettres et sciences humaines…). Ce sont plutôt les non diplômés qui se retrouvent sur le carreau. Mais il fallait bien une chute à la mesure de votre thèse.
Pourriez- vous préciser de quel tissu d’entreprises il s’agit ?
De toutes les entreprises qui vivent des marchés publics, dans les domaines de l’équipement (en général comme revendeurs) et des services (en particulier celles qui vendent de la formation, de la communication ou du conseil), hors celles qui ont une capacité industrielle servant les domaines regaliens de l’ Etat. Pour en sourire, Je réserverai une place sur le pofium aux « fabricants » de Rond-Points, de radars et de ralentisseurs, de panneaux en langue d’Oc , de journaux municipaux et de sondages. Toutes entreprises soumises à la dure loi de la concurrence internationale.
Oui nous avons les élus que nous méritons. C’est d’ailleurs pour celà qu’ils sont majoritairement socialistes
Vous avez mal compris ma « chute » qui est donc tombée à plat. Je ne dis pas que les jeunes diplomés ont des problèmes pour trouver un emploi en France. Quoique..Je dis qu’aujourd’hui, une part importante de leur formation comprend un volet international ce qui leur permet de mesurer depuis l’étranger quel emploi leur offre les meilleures perspectives. Il s’agit donc bien sûr d’un exil choisi et non subi . Mais si nos jeunes élites quittent notre pays, comment voulez-vous qu’il ait un avenir ? D’autant que les jeunes élites francophones étrangères désertent désormais aussi les universités françaises au profit des universités canadiennes ou américaines. Mais heureusement nous allons compenser tout ça avec de la discrimination positive , des aides publiques et de gros programmes de formation ( voir plus haut)
Oscar : » Nos grands groupes mondialisés et dirigés par des technocrates impavides familiers des cercles de pouvoir et tous sortis des mêmes moules pré-formatés vont bien eux. Ils ont délocalisé tout sauf leur siège social, ce dont il faut les remercier, mais contribuent dans les faits, de moins en moins à notre économie nationale. La part croissante de la dépense publique dans le PIB a généré un tissu d’entreprises qui lui sont asservies et qui, bien qu’elles ne soient ni soumises à une véritable concurrence internationale ni menacées par la délocalisation, bénéficient de généreux subsides au nom de leur nécessaire « compétitivité » »
On ne découvre, dans le fond, rien de nouveau, mais c’est excellemment dit !
(Total a positionné son pôle budgétaire aux Pays Bas, je crois, et le siège « social » partira d’ici quelques années, sauf, bien sûr, si la LGV arrive à Pau entre temps.)
Article très intéressant. Il reste cependant une question, celle de savoir si les politiques, de quelque tendance qu’ils soient d’ailleurs, ont encore un pouvoir dans le domaine économique, face aux puissances financières internationales. En réalité, vous fustigez, très bien, l’inanité des politiques.
Je dirais qu’ils tendent à s’attribuer d’avantage de pouvoirs qu’ils n’en ont , surtout en matière économique. En réalité leur pouvoir leur a été en grande partie confisqué par l’ Europe et heureusement à mon point de vue. L’ UE étant seule garante de la monnaie commune et des règles de la compétition économique, deux leviers dont ils sont aujourd’hui privés. Il leur reste la dépense publique mais ils n’ont plus d’argent et la fiscalité dont ils abusent sans vergogne, mais dont ils peuvent cette fois mesurer les limites. Le désamour du peuple envers les politiques tient à leur impuissance enfin révélée lorsque les caisses sont vides et qu’ils sont privés du pouvoir de redistribuer. J’avais écrit un petit essai sur ce sujet l’an passé.
« Peut-on gouverner sans argent ? »
« http://wp.me/p3d9PX-c »
Quand on recherche des informations sur les Suricates, on trouve que ces petites mangoustes ont des comportements intéressants: je lis par exemple:
1°) Hors du groupe, les suricates sont voués à une mort quasi certaine. Les animaux du même groupe se toilettent régulièrement entre eux pour tisser des liens sociaux puissants.
2°)Les suricates ont un comportement altruiste au sein de leur colonie.
3°)L’affection surprenante que se témoignent ces animaux resserre les liens entre les individus et assure la cohésion du groupe, élément indispensable de survie pour ces petites mangoustes diurnes des savanes et des déserts. Dans cet environnement hostile, la défense contre les prédateurs nécessite la vie en groupe……
4°)Relations amicales: très sociables, les suricates vivent en groupes , formés de deux ou trois familles qui logent dans un vaste terrier . Tous entretiennent des relations amicales , et c’est seulement quand l’un deux se fait chiper sa nourriture par un voisin qu’il réagit en grognant et en claquant des dents . Loin de fuir le contact de leurs compagnons , les suricates le recherchent quand ils sont dans leur abri , et se reposent serrés les uns contre les autres .
Mais je m’arrête là car je suis entrain de me demander si la comparaison entre les suricates et les humains, surtout au niveau de l’écononomie, est vraiment appropriée!!!!
Entre l’animal et l’homme, le plus « bestial » des deux n’est pas celui qu’on pense!
La Chine progresse malgré des accros (ville fantômes…), l’Europe du Nord se maintient correctement, l’Europe du Sud (dont la France) sombre.
Aux Etats-Unis et au Japon, l’économie semble maintenue à flot au prix d’une forte augmentation de la dette publique. Jusqu’où cela ira-t-il ? On peut imaginer raisonnablement une dette publique de 120% du PIB et de 300% au Japon dans 3 ans. Et ensuite ? Il arrivera bien un moment où l’Etat, qui ne peut pourra plus rembourser sa dette par les recettes fiscales, émettra de la monnaie pour rembourser sa dette. L’inflation aujourd’hui contenue dans ces pays finira bien par décoller et ces pays par sombrer à leur tour, alors rachetés sans doute par des Chinois, Russes ou Saoudiens.