Henry de Monfreid un pyrénéen en mer rouge
Un personnage solaire, éblouissant de talents, amoral et solitaire ; Mussolinien déserteur et ladre. Un seul fil conducteur vivre sa vie au delà de toutes contingences / une discipline et une volonté sans faille au delà de la douleur et en deçà de toute morale . Au service du voyage et de la liberté mais aussi de la peinture, des femmes de toutes races, de la musique, du jardinage du haschisch et des opiacés. Un nouveau Rimbaud en Abyssinie… Monfreid aux Pyrénées ; quelle idée ? qu’ès aquò Què és això ?
Monfreid est né en Leucate, la pays de sa mère , au lieu dit La Franqui, dans l’Aude, sur la route de Narbonne à Perpignan. Peut-être le lieu qui inspira ces vers à jamais sublimes d’un célèbre poète du cru :
Voyez près des étangs ces grands roseaux mouillés
Voyez ces oiseaux blancs et ces maisons rouillées
Il est le fils de George Daniel de Monfreid, peintre velléitaire mais pas dénué de talents, qui avait acquis le château saint Clément sur la commune de Corneilla de Conflent entre Prades et Vernet-les-Bains. Dans les Pyrénées-Orientales au pied du Canigou. Ce dernier fut l’ami de Maillol, de Matisse. mais surtout l’ami de Gauguin qui, comme lui, avait la passion de la mer, de la voile, et de la peinture. Tout au long de la vie de Gauguin il lui fut un soutien fidèle au plan intellectuel et financier. Au point que Gauguin lui confia des tableaux en paiement dont Henry héritera plus tard.
En ajoutant le goût de la liberté voire le mépris de tous les ordres établis et de la civilisation on découvre les matrices qui allaient fonder les goûts et les valeurs de son fils Henry qui vécu à Leucate et à Corneilla, comme un petit prince ensauvagé, courant la mer et la campagne sur ces terres éblouissantes en s’adonnant à mille polissonneries. Leucate et le Canigou apparaissent là comme un avant goût de la mer rouge et de l’Abyssinie et comme une insurpassable mémoire de vie.
Pour certains d’entre nous, Monfreid évoque, au mieux, des images dans des vieux livres un rien défraîchis dans d’anciennes bibliothèques. Peut-être des conférences entendues ou, plus probablement, relatées dans le style « connaissances du monde » avec vente en fin de programme des livres de l’auteur.
Au mieux des images diffuses reçues dans l’adolescence ou, plus tard, à la radio ou à la télévision.
Des terres lointaines écrasées par le soleil ; Djibouti, Obock, Aden les côtes françaises des Somalies. Les plus chaudes et inhospitalières terres du monde : le territoire des Afars et des Issas. Deux tribus dites « danakiles » qui, à la guerre ou à la razzia, émasculent, avec méthodes et précision, leurs ennemis vaincus. Pas forcément par sauvagerie gratuite mais pour éliminer des concurrents à leurs troupeaux faméliques sur les quelques herbages disponibles quand la pluie, d’aventure, daigne tomber. En quelque sorte la version somalienne du scalp.
Des trafics en tous genres : les armes, le whisky, peut-être les esclaves depuis l’Afrique noire vers les Arabies heureuses. Et toujours la mer rouge traversée en tous sens sur d’improbables boutres pour réaliser les trafics sus évoqués. Depuis Djibouti jusqu’à Port-Saïd voire Alexandrie. Le jeu, subtil et dangereux, du chat et de la souris, voire de la hyène et du chacal, avec l’administration coloniale française, abhorrée et méprisée, avec les Anglais souverains en Égypte aux Indes et au Yémen. Avec les Italiens aussi pris comme alliés contre les forces du Négus et les émirs et les tribus locales qui jouent chacun leur propre jeu.
La pêche voire l’élevage des huîtres perlières. L’exécution au fusil ou, sur ordre, des hommes d’équipage qui auraient enfreint les lois du capitaine par l’égorgement ou l’ouverture du ventre. Notamment pour avoir distrait des perles du pot commun.
La vision, partagée par Kessel, du rassasiement des groupes d’esclaves, peut-être pas convoyés, mais sans doute rassemblés, à qui on donne un bœuf, vivant et cru, dépecé et dévoré derechef en plongeant avec avidité les doigts graisseux dans la chair fumante et tellement délectable.
Mais aussi les très hautes terres de l’Érythrée puis de l’Éthiopie peut être pour échapper à la chaleur suffocante ou aux vengeances de l’administration coloniale ou des compagnons de trafic. La compagnie puis la trahison du Négus, le roi des rois, les compromissions, voire les sympathies actives, de l’occupation italienne sous la férule un rien grotesque mais toujours sauvage de Bénito Mussolini .
Alors Monfreid un aventurier classique, sans foi ni loi, sans règles ni passion. Un desperado buveur de whisky ou d’ anisette fréquentant les maisons de femmes pour colons ou militaires en goguette.
Certainement pas.
Un homme dur et impitoyable avec lui-même mais discipliné, organisé, inventif (suivant sa formation qui le vit échouer de peu à polytechniques) plutôt bienveillant avec les femmes de sa vie y compris les femmes indigènes infibulées. Notamment avec Amgart une Allemande qu’il avait épousée et qui l’aida grandement à mettre en forme ses innombrables ouvrages littéraires dont il eu deux filles et à qui il fut plus ou moins fidèle quand il était avec elle. Le tout dans une période et des terres très différentes de celles d’aujourd’hui et d’ici. Ami des animaux en tous genres singulièrement des chats et des mangoustes. Même s’il vécut aussi de la chasse et du rapport des animaux tués.
Un homme aux improbables talents comme celui du jardinage qu’il développa aussi bien en Éthiopie qu’au Kenya à quelques 3000 mètres d’altitude et dans sa maison d’Ingrandes dans l’Indre où il termina sa vie avec sa dernière épouse, Madeleine. Talents du jardinage notamment pour faire éclore les pavots indispensables à sa consommation d’opium que ses épouses partageaient avec lui, de manière immodérée, pour combattre leurs douleurs et leur spleen mais, que lui, consommait avec modération et sagesse. A raison de trois pipes par jour tout au long de son existence… presque centenaire.
Sans doute par opportunité il s’était fait mahométan et s’était circoncis avec un tesson de bouteille. Mais surtout tout au long de sa vie, au bord de la mer rouge au moins, il a vécu, exclusivement, de poisson cru et de riz par discipline et diététique assumée mais aussi sur l’exemple des populations qu’il fréquentait et auxquelles il s’amalgamait sans aucune restriction de type colonial. Tout au long de sa vie il s’abstint presque complètement de viande et refusa de manger au restaurant (sans doute par ladrerie ou du moins excessive avarice). Au point, quand il faisait ses conférences, dans les années 50, d’amener patates et oignons pour confectionner ses repas. En mer rouge il vivait pied nu par 50 degrés et, naturellement, sans lunettes de soleil sur le bateau chauffé à blanc comme dans l’eau infestée de poissons ou vives plus ou moins mortelles.
De cela sans doute il tire son improbable beauté son teint cuivré son corps à la fois athlétique et diaphane et le port majestueux qu’on lui va sur les nombreuses photos qu’on possède de lui dont celle jointe aux présentes.
Il rentre en France en 1947 avec sa jeune épouse, Madeleine, et ses deux sœurs dans un improbable gynécée. Il poursuit une vie pleine et disciplinée consacrée au travail aux conférences et l’entretien de sa santé et de ses passions. Tout cela en compagnie d’un chacal, de six chats, d’un caméléon, d’un corbeau apprivoisé et d’un chien .
Debout aux aurores à 4 heures du matin, couché à 8 heures, avec la moitié du temps consacré à l’ écriture ou au coloriage de ses anciennes photos ou à la production d’aquarelles dans une veine naturaliste et précise. Et chaque jour, quel que soit le temps, de longues promenades. Il se nourrit de café, de soupes épaisses et de légumes presque sans viandes. Et toujours les 3 pipes d’opium dont il se fournit en Orient grâce à des contacts heureusement maintenus et dont il partage le produit notamment avec Kessel et Cocteau.
Certainement un moins grand poète que Rimbaud né seulement cinq ans avant lui et parti, comme lui, en Abyssinie et passé, très précisément, par les mêmes endroits dont Aden et le territoire si dangereux des terribles tribus danakiles avant que d’arriver au Harrar .
Mais une vie personnelle mieux réussie au service exclusif de seuls désirs dont celui de naviguer à la voile, la nuit, en mer rouge ou de plonger, sans équipements, pour remonter les perles, peindre marcher toujours dans la compagnie privilégiée des femmes, des chats, et des mangoustes voir des chacals.
Mais également une vie d’ingénieur précis, méthodique, capable de construire de ses mains un boutre en planches d’acacia transbahutées en train depuis les hautes terres éthiopiennes jusqu’au bord de la mer rouge. Un marin exceptionnel connaissant tout des voiles, des cartes et des moteurs. Expert en armes, en agriculture et en constructions de toutes sortes de bâtiments.
Et avec un regard très distancié aux morales communes et aux sociétés environnantes.
Sans doute pas un exemple mais certainement beaucoup de choses à fouiller même si un homme ne se partage pas entre le bien et le mal …
Avec, pour lui comme pour nous, les Pyrénées la peinture les femmes et la littérature en toile de fond et comme trame de vie.
– Pierre-Yves Couderc Oloron
Deux biographies parmi d’autres :
– Daniel Grandclément, l’Incroyable Henry de Monfreid, Paris, Grasset, 1990 .biographie de journaliste en forme de compilation besogneuse et sans intérêt
– Freddy Tondeur, Sur les traces d’Henry de Monfreid, Paris, Anako, 2004 Excellent ouvrage d’un homme qui connaît les pays dont il parle et a senti le personnage. Ramassé complet documenté mais surtout sensible et empathique … Difficile à trouver .
Cendrars un écrivain admirable .Un homme de la montagne et des lacs né à La chaux- de fonds en suisse française .
La main coupée et la tête dans les étoiles .
Le contraire de Monfreid qui, par des moyens et des risques insensés, à réussi à échapper à la guerre de 14 et à la conscription .Lui , citoyen suisse s ‘est engagé dans la légion étrangère pour combattre l’Allemagne . Un poète et un romancier du voyage de la Russie à New-York …Très tourmenté par les choses du sexe mais sans la gestion organisée de lui-même propre à Monfreid.
Lisons, relisons Cendrars …A peine plus âgé que Monfreid et qui lui survivra, sans peine comme écrivain sinon comme homme et comme aventurier.
J’ai lu cela avec bonheur. Ces aventures sont-elles toujours possibles ? Probablement mais savons-nous toujours prendre un baluchon et partir comme cela. Moins surement…
http://www.youtube.com/watch?v=dGQMhE144Zk
Merci pour ce petit bonheur qui réveille plein de lectures passées et d’aventures vécues. (la traversée de la vie, entre autres…avec risques et périls, et une bonne part de Cendrars, de Ségalen, de Supervielle, et surtout l’envie de vivre, qui nous mène sans cesse)