Ascarro ("je ne connais pas cet homme", Brigitte Fontaine)
http://www.youtube.com/watch?v=tEfMvDCONuI
Ascarro dévala les marches quatre à quatre, poursuivi par les trente sept méfaits qu’il avait déjà commis et dont sa petite quarantaine avait amassé le butin au troisième étage d’un immeuble cossu du centre ville, dont l’ascenseur tombait souvent en panne, ascenseur qui viendrait socialement soutenir la plaidoierie de l’avocat de la Défense lors du procès. Au moment de franchir la porte palière du rez de chaussée, celle qui ouvre sur la rue et non sur la cour, quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver nez à nez avec des barreaux, formant un quadrillage régulier, qui n’existaient pas auparavant, sauf absence de mémoire de sa part. Il s’agissait pourtant de vrais barreaux, tiges filetées utilisées pour couler le béton, reliées entre elles par de fins fils de fer noués à la main par des ouvriers honnêtes, ce qui est synonyme de gens sans autre ambition que celle de gagner leur pain et, le cas échéant, de le partager à la pause de midi. Cela s’est vu, dans bien des provinces et des pays.
Ascarro, ne pouvant gagner la rue et ne désirant pas non plus avoir affaire côté cour jugea bon de regrimper les escaliers, enjambant chaque marche avec la délicatesse d’un enfant posant son pied sur le giron maternel (représenté ici à l’échelle annuelle d’un centième, soit : un an=un cm)de trente sept centimètres sur une contremarche de dix sept (le père, tombé de l’échelle sociale en cueillant des figues), ce qui donne un aperçu assez exact du chemin parcouru entre ses délits et la montée vers l’échafaud, s’il avait vécu un siècle auparavant. Pourtant, et cela se plaide, comme on pose sur les vieux fauteuils un plaid, Ascarro était un beau garçon, élégant, plein de vigueur et d’allant. Son imagination le débordait parfois, et, comme tous les gamins qui vivent entre les cités en construction et celles en destruction, il avait forgé des rêves qui n’étaient que des soupirs.
A quarante ans, on est un homme. Mais à vingt ? Quand une femme tente de vous faire les poches, que celles-ci sont vides et que vos bourses sont pleines, n’est-ce pas un grand rire capable de déchiqueter l’avenir qui dévale, remonte, course et éternise l’instant unique ? que sont les lendemains qui chantent quand l’oiseau est en cage, qui plus est dans un escalier remonté à rebrousse-poil ? (dites-le moi, Milady). La porte de l’appartement est restée entrouverte. Une chance. Pourquoi s’est-il enfui ? Le gaz, la déprime, la bouteille de whisky vide ? Tous ces larcins autour de lui, statuettes d’une vie immobile et désolante. « Petit, je voulais être une étoile filante ». Pauvre type. Type de l’homme pauvre, qui vénère les riches, rappeur à la con avec dix ans de retard (un gros péteux sur Canal+ chez Ardisson, hier). Bon, Ascarro, derrière les tentures les poulets n’ont même pas tendu de piège : faut regarder le Parquet, gamin, quand tous les colis dégringolent. Ca poinçonne le bois. Après, faut changer les lattes, et comme tout est pourri, comme rien n’est plus solidaire, lambourdes, clous, marteaux, c’est peine plancher, avec ciseaux à bois, dit le procureur.
Le verdict est tombé. Ascarro s’est levé : peine allégée. Les victimes laissaient leurs portes ouvertes, cachaient sous le paillasson ou le pot de fleur la clé. Comme d’autres cachent sous leur matelas des francs suisses, comme d’autres n’existent que par le chant des oiseaux perchés sur les arbres de leur jardin, oiseaux qui ne sifflent pas dans celui du voisin. Combien d’oiseaux, et tant de plumes. Ascarro, quand ton trente huitième forfait sera jugé, passe à la maison. Ici, tu pourras tout emporter, ou presque (noli tangere : ma compagne, nos appareils photo, et un ordi).
Demande au Général, il te conduira, un jour ou l’autre, chez moi. Si non, un de tes frères.
AK Pô
29 09 2013