Le beurre et l'argent du beurre
Quelle surprise, nous serions espionnés ? Nous stockons innocents, nos emails chez des opérateurs de l’internet, nos photos et nos vidéos dans leurs « clouds », nous échangeons nos souvenirs de vacances avec nos amis sur Face-book, nous Twittons et nous Googelisons et surprise, une agence gouvernementale américaine ne se priverait pas d’y mettre son nez et même d’écouter nos conversations les plus intimes : « T’es ou ? Bon j’ arrive, je suis juste au croisement. A part ça, ça va ? ». Bref la NSA se repaîtrait de notre vacuité ordinaire et tenterait même de lui donner de la substance par effet d’accumulation. Deux agents secrets auraient d’ailleurs été affectés récemment au dossier TramBus de Pau, promu au grade triple A (extrêmement stratégique, ce qui entraîne la mise sur écoute du téléphone de MM Duchateau et Habib qui d’ailleurs désormais, ne se parlent que la main sur la bouche et des écouteurs dans les oreilles, ce qui est pratique quand on a rien à se dire)
Evidemment les gardiens de la moralité publique, de la liberté citoyenne et du respect de la vie privée, toujours prompts à l’emballement s’il est médiatisable, se sont empressés de Twitter et de bloguer sur ce thème, afin de démontrer une fois encore l’extraordinaire impudence de l’impérialisme américain qui s’autorise d’écouter madame Merckel commander sa liste de courses au Ka De We (le grand magasin berlinois). Elle aurait renoncé récemment au Pumpernickel. Très remonté l’ancien Directeur de la DCRI ne s’est pas fait prier pour nous annoncer que nous aussi espionnions les américains et le reste du monde et que les carnets de notes de Malia et Sasha Obama n’avaient aucun secret pour nos services. Non mais..
En regardant les choses avec un peu de hauteur et si la révélation de ces indiscrétions n’a pu apparaître étonnante qu’à des observateurs dont la compétence en la matière est sub-critique et qui devaient penser que l’internet fonctionnait comme le téléphone à cadran, force est de constater qu’elle est la conséquence d’une domination technologique et commerciale des USA qui restent cependant et c’est notre chance, la plus grande démocratie du monde. Ce qui ne saurait-être d’ailleurs un parangon de sainteté. Les chinois ont réglé le problème à leur manière en verrouillant Google, Facebook et les autres réseaux opérés par les américains pour les remplacer par des systèmes fermés, obligatoires et totalement contrôlés. Avec pour les récalcitrants, des menaces pénales autrement plus graves. Faudrait-il que nous en fassions de même en Europe sinon en France ? Evidemment non. D’une part, parce que c’est trop tard et que courir derrière Google pour réaliser un moteur de recherche français ou même européen, n’est plus à notre portée. D’une part, parce qu’il serait moins efficace pendant très longtemps du simple fait de la manière dont Google se nourrit et s’enrichit. Plus on le consulte et plus il adapte ses réponses à nos questions. Et d’autre part, parce que l’extrême intelligence des services performants qui nous sont offerts repose sur un modèle économique très séduisant. Nous obtenons tout gratuitement ou presque…Gratuitement vraiment ? Nous serions particulièrement naïfs de le croire. Nous payons mais sans nous en rendre compte. Nous apportons en effet en contrepartie de cette richesse informative presqu’infinie, la qualification de nos questions et subissons ensuite d’un œil passif des « attaques » commerciales toujours plus ciblées et qui font mouche de plus en plus souvent, ce qui alimente d’une formidable énergie, le moteur révolutionnaire qui anime le système et qui semble pourtant fonctionner avec de l’air.
Alors il faudrait que le pays qui est à l’origine de tous ces développements et qui a de bonnes raisons de se sentir menacé par toutes les formes d’un obscurantisme régressif, mais suffisamment au fait des nouvelles technologies pour en faire un moyen de la mondialisation de son combat à mort contre nos démocraties, se prive de tenter d’y extraire des informations nécessaires à sa survie ? Les bons esprits nous diront qu’il s’agit d’avantage de domination que de survie. Soit. Je répondrai simplement à ceux-là qu’il leur est extrêmement facile de s’en libérer. Plus de GSM, plus d’internet, plus de téléphone. Ils pourront également mettre leurs économies sous leur lit, afin que leur banque n’en communique pas le montant au fisc. Ils demanderont à leurs employeurs de ne pas les déclarer et de les payer en liquide, en héros de la résistance contre l’universalisme et l’impérialisme technologique. Ils ne voteront pas non plus, mais iront certainement manifester dès que possible en faveur de plus de transparence, contre tous les arrangements occultes et l’inégalité.
Car c’est bien de transparence qu’il s’agit. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir les réseaux sociaux, ceux-là mêmes qui sont une des cibles préférées de la NSA qui vient y puiser avec des algorithmes savants, la répétition de mots ou de phrases suspectes susceptibles de trahir de mauvaises intentions, être devenus le moyen par lequel la prise de conscience des excès, certes condamnables de l’agence américaine, ont été relevés, identifiés et commentés à l’infini. Comme si l’hydre numérique était capable désormais de se défendre seule, de se régénérer et d’évoluer hors du contrôle de ses créateurs
Effrayant ? Pas vraiment. Nous sommes informés des limites de ces outils mais nous en connaissons aussi les fantastiques mérites. L’ouverture qu’ils nous donnent sur le monde, la prise de parole qu’ils autorisent, l’incroyable puissance informative à laquelle ils nous donnent accès. Aucun retour en arrière ne sera plus possible, car c’est effectivement de transparence qu’il s’agit. Il restera de moins en moins de place sur notre planète interconnectée et nos systèmes mondialisés pour les glaces sans tain, les rideaux de fumée et les jeux d’ombre. Ce qui pose d’ailleurs d’autres problèmes, mais pas ceux en tous cas dont nos politiques s’emparent aujourd’hui, la belle aubaine, au nom de la vertu outragée et du risque de voir un jour un drone américain éliminer une cible gênante, connectée à facebook juste derrière l’épicerie de Trifouillis les Oies.
Edit:
Lire les Echos 29/10/2013
La NSA veut ecouter tout le monde
Google ce n’est pas qu’un moteur de recherche, c’est tout un tas de services liés entre eux : gmail, google docs/drive (cloud et édition de documents en ligne), google+ (iso-facebook), agenda, etc… Si l’avance de son moteur de recherche est indéniable, le reste est fait de technologies tout à fait accessibles pour bâtir des équivalents de même qualité, c’est juste une question de volonté et de moyens. Et même pour le moteur de recherche, les choses en ce domaine peuvent aller très vite : avant Google existaient 2 moteurs de recherche technologiquement très en avance sur les autres également, OpenText et Altavista. Google est arrivé avec de nouveaux algorithmes et les a balayé, mais la même chose pourrait lui arriver.
D’un point de vue « étatique », la logique chinoise consistant à favoriser l’utilisation d’outils et de services chinois est parfaitement justifiée, même si pour l’internaute chinois cela ne vaut pas mieux. Mais il en serait de même si un « Google européen » voyait le jour : dans tous les cas nous serions espionnés, c’est juste l’espionneur qui changerait.
Alors faut-il s’en satisfaire, en se disant qu’on ne peut y échapper ? Le cynisme et la résignation valent-ils mieux que l’attitude de vierge outragée ?
La technologie fournit aussi les outils pour se défendre : par exemple, mettre ses documents dans le cloud ce n’est pas forcément les exposer à la vue de la NSA si un chiffrement fort est appliqué avant de transférer les données et que la clé de chiffrement ne sort pas de notre PC. Reste à s’assurer que la clé de chiffrement n’en sort pas : l’utilisation de logiciels libres est ici un avantage, car leur code source est public, leur fonctionnement peut être disséqué et il est plus difficile d’y cacher des « portes dérobées » ou équivalents. Un état qui voudrait garantir un haut degré de confidentialité à ses citoyens commencerait par promouvoir l’utilisation de solutions basées sur du logiciel libre.