Ce qui manque à l'humanité, c'est de l'animalité.
Encore trois mois de cuisine électorale! Ce sera lourd à digérer ! Si on parlait d’autre chose !!
«La férocité des lions ne s’exerce pas dans des combats entre lions, les serpents ne cherchent pas à mordre des serpents, et même les monstres marins et les poissons ne se déchaînent que contre des genres différents du leur. Or, ma foi, la plupart des maux de l’homme viennent de l’homme.»
Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre VII, mort en 79 lors de l’éruption du Vésuve.
Les documentaires télévisés illustrant la nature et la vie sauvage ont été nombreux pendant ces fêtes ; ils sont toujours beaux à voir, anthropomorphiques à souhait, parfois angoissants, mais chronologiquement erronés. Ils donnent une approche déformée de la réalité biologique.
Le déroulement, le choix de la séquence retenue, est comme la présentation d’une petite partie d’un texte, d’un discours, d’une œuvre, de la vie d’un personnage, etc., ciblée et mise en valeur, pour en tirer la conclusion qu’on veut donner !
On retient en général des actes spectaculaires, comme des actes de « tendresse », de prédation, de catastrophes, de sexe, etc.. Très souvent, tout le monde «bouffe», tue, tout le monde. Pas moyen de montrer des dinosaures sans qu’il y en ait un qui en attaque un autre ; le mot « jungle » n’est plus une formation végétale arborée de climat chaud et humide avec une courte saison sèche comme dans les pays de mousson (Inde), mais un milieu où règne la loi du plus fort ! Dans le domaine historique, les émissions sur les civilisations du passé sont souvent réduites à des guerres, des meurtres, des tortures ! Elles ont duré des milliers d’années et n’ont pas été que des successions d’horreurs !
Si la nature, biologique et culturelle, peut exhiber actuellement toutes ces merveilles patrimoniales c’est qu’il y a eu d’autres activités que des destructions !
Hélas, les scènes d’exécution (et le sexe !) ont toujours attiré beaucoup les voyeurs !
Un bref coup d’oeil sur ce qui se passe en réalité dans un milieu naturel montre tout de suite que, par exemple, les actes de prédation d’animal à animal se déploient sur une durée infime dans un biotope, si l’on raisonne en temps cumulé par individu ; c’est extrêmement limité au cours de la vie d’un seul prédateur ; c’est comme un joueur de foot professionnel, il ne passe pas tout son temps à courir après un ballon ou à marquer des buts, seule séquence pourtant montrée dans les médias ! Il passe grosso modo un tiers de sa vie à se reposer ! Le lion dort jusqu’à 20 heures par jour !
D’abord, plus on monte dans la chaîne alimentaire et plus la biomasse est réduite. Le nombre d’individus super-prédateurs est bien plus réduit que le nombre des prédateurs, le plus souvent montrés, lui-même plus petit que celui les consommateurs intermédiaires puis des producteurs primaires. Les carnivores sont moins nombreux que les herbivores et ils ne chassent que de temps en temps alors que les herbivores passent une grande partie de leut temps à brouter. Pris individuellement, l’herbivore broute bien plus longtemps que le carnivore ne chasse.
Une scène d’attaque est donc très minoritaire !
Dans l’espèce humaine, tout s’inverse, le nombre des hyper-prédateurs, au sens propre et figuré, augmente, ainsi que le temps passé à la prédation; par contre, le nombre des producteurs diminue, d’où le déséquilibre systémique conflictuel !
Pour vivre, certes, il faut se nourrir, mais seulement pour les besoins physiologiques ; un prédateur se dépense peu, sa nourriture est riche; il a peu de besoins, il chasse peu.
La vie c’est aussi jouer avec ses congénères, aller boire à la rivière, s’occuper de ses petits, brouter de l’herbe, épouiller son voisin, attirer les femelles (ou les mâles), répandre des odeurs, dormir, marquer son territoire, se cacher, copuler, chasser ensemble, en ramener pour les autres, communiquer, etc.
«J.G Schaller a traversé les savanes durant des semaines pour montrer que ce n’est pas un enfer ravagé par les griffes et les crocs des prédateurs et des charognards» Pascal Picq.
Des études récentes ont permis de décrypter des langages très élaborés chez les singes, une véritable langue vocale associant la maitrise de l’agglutination comme dans la langue basque et le sens de l’intonation des langues orientales.
Il faut s’interroger sur cette hypertophie de la prédation et son extrême scénarisation dans nos représentations de la nature.
Deux interprétations, qui ne s’excluent pas, peuvent être données :
>L’accélération du temps, que l’actualité impose, fait qu’il faut juxtaposer, dans un laps de temps réduit, le maximum de scènes capables d’augmenter l’audimat en retenant l’intérêt d’un spectateur qui vient de zapper sur la chaîne !
«Les documentaires saignants ne représentent pas la nature dans ses proportions réelles mais ce que nous reconnaissons de nous-mêmes en elle» Guillaume Lecointre Directeur «systématique et évolution», Museum d’Histoire Naturelle.
Nous sommes des hyper-prédateurs,un retour de la chasse ne peut être que prestigieux !
Tout est déformé donc ; la capture d’une proie, même avec des comportements stéréotypés très adaptés, n’est pas chose facile ; «La machine animale» commet des erreurs, les «loupés» sont fréquents, de nombreux prédateurs sont souvent bredouilles ; les actes de prédation sont, en temps cumulé, par individu, ultra-minoritaires. Le temps de «sieste» d’un carnivore est très largement supérieur à celui de la chasse; un boa ou un python a besoin de nombreux jours d’immobilité pour digérer.
Un documentaire sur la vie des herbivores, par exemple une savane africaine avec des gnous et des zèbres qui broutent non stop, va vite faire fuir le spectateur !
Le monde vivant, c’est aussi des milliards de milliards d’unicellulaires, d’invertébés, de poissons, d’oiseaux et autres espèces, des milliards de milliards d’heures cumulées de croissance individuelle de végétaux, des milliards de km3 d’eau de mer filtrée et des tas d’autres activités pratiquées par les chasseurs en dehors des heures de chasse !
>Comme la plupart des documentaires sont anglais ou américains, ils sont imprégnés, inconsciemment ou pas, par le «struggle for life» et le darwinisme social, cette dérive politique illégitime d’Herbert Spencer. Les rapports socio-économiques inégaux ont eu le succès que l’on sait, dans le monde occidental ; ceci a conduit à cette «réussite socio-économique» appelée néolibéralisme! Cette vision de la nature permet de conforter l’idée que la compétition est la base de la vie, que le plus fort est « toujours» gagnant car c’est conforme à la biologie.
Cette interprétation est complètement erronnée.
En dehors des biologistes, La Fontaine l’avait déjà bien compris dans «Le Lièvre et la Tortue».
La vie présente de la diversité, c’est ce qui a permis son adaptation, son développement, son extension.
Le combat pour la vie se situe à trois niveaux : l’individu, le groupe, l’environnement. La conception médiatisée est fausse car on ne la situe qu’au niveau de l’individu.
- Au niveau individuel l’activité coordonnée de nos cellules spécialisées permet le maintien d’un équilibre dynamique assurant la vie de l’organisme confronté à des flux incessants d’Energie, de Matière et d’Informations, déstabilisants. Si globalement c’est un combat, la victoire, c’est-à-dire la survie, est le résultat d’une action solidaire.
- Au niveau collectif, l’individu évolue dans un ensemble qui lui permet de survivre, c’est l’écosystème ; les interactions et interrelations assurent là aussi un équilibre ; tout déséquilibre par la prédominance de l’un ou de l’autre est immédiatement sanctionné par une disparition régulatrice. La symbiose donc la solidarité permet la durabilité.
- Au niveau environnemental, le collectif doit s’adapter : ce n’est pas le plus fort qui l’emporte car il n’y aurait plus d’escargots ! La lutte passe par l’aptitude, la biodiversité c’est-à-dire la réserve de l’éventail des possibles.
Il est trivial de dire que tout ce qui est montré sur un écran est voulu; la présentation doit être conforme à ce que recherche le consommateur ; le respect de l’ordre des choses n’est pas prioritaire ! Il faut que la temporalité de la nature soit compatible avec l’exigence et le rythme d’action de nos cerveaux.
Quand on parle d’animalité à propos de très nombreux comportements dans notre humanité, on fait complètement fausse route.
Jamais, dans la nature, on trouve un tel raffinement de perversité, de vice, de sauvagerie, de méchanceté, de comportements criminels, de sadisme ; l’histoire ancienne, récente, et l’actualité, nous en montre à foison !
Quand on pense que l’espèce humaine est la seule qui tue ses femelles, que la Pologne a célébré, le 3 novembre dernier, le 65ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, que nous venons de commémorer la fin d’une guerre exterminatrice, ……….alors, oui vraiment:
Ce qui manque à l’homme «civilisé», c’est une bien plus grande part d’animalité !
– par Georges Vallet
crédit photos: fotoakademi.net