Trop de retraites !
Depuis la fin de l’année 2013, je repousse de jour en jour la rédaction d’une sorte de bilan de l’année pour le pays. A chaque fois, je me dis qu’il est trop tôt pour avoir une vue suffisamment lucide et sereine, d’autant que lors de ses vœux le Président a amorcé ce qui pourrait bien être un retournement, ou du moins une inflexion.
Aussi, la période écoulée pourrait prendre un relief bien différent sous un nouvel éclairage. Or, pour qui voudrait s’affranchir de réactions épidermiques, le but serait une appréciation voisine de ce qui pourra être jugé dans deux ou trois décennies. Mission impossible!
De plus, les responsabilités ne sont pas toujours simples à établir. Si la principale responsabilité en matière de réformes revient au gouvernement et au chef de l’État, on ne peut oublier le rôle d’Olli Rehn, le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires. Sur un sujet qui fait un large consensus dans ce pays, la lutte contre la fraude fiscale, si la décision de blanchir Jersey et les Bermudes revient au ministère ses finances, faut-il fermer les yeux sur le lobbying des grandes entreprises qui profitent de l’évasion fiscale vers de tels pays ? Par ailleurs, c’est le Conseil Constitutionnel qui a rejeté en décembre le projet de loi imposant aux entreprises de faire connaître au fisc leur pratique d’optimisation fiscale.
Contentons-nous de quelques repères. Le premier concerne la réforme des retraites. Si l’on peut parler de réforme pour ces quelques ajustements. Ce qui frappe d’abord, c’est que les mesures prises ne s’appliqueront essentiellement qu’à une échéance lointaine, à une période durant laquelle le parti au pouvoir pourrait avoir des orientations très différentes. De tels engagements ne coûtent guère et ne sont pas la marque d’un grand courage politique. De plus, rien ne concerne les régimes spéciaux et l’occasion est manquée d’adopter des règles pérennes liant la durée de l’activité à la longévité moyenne de façon à assurer un équilibre stable et à éviter des remises en chantier à répétition. Ces critiques faites, il faut apprécier le fait que c’est la durée de cotisation qui va évoluer et non pas l’âge légal de départ en retraite, ce qui permet une liberté de choix. De plus, la pénibilité a été prise en compte, ce qui n’est que justice.
Pour ceux qui auront lu trop vite le titre en croyant lire «trop de retraités», il faut préciser que notre pays compte surtout trop de retraités forcés, je veux dire de travailleurs âgés qui se trouvent au chômage pour de longues périodes, ainsi que de salariés que l’on a mis en pré-retraite. La responsabilité principale revient aux entreprises. La mise en place d’un système liant l’emploi des jeunes à celui des seniors (contrats de génération) mériterait plus de soutien. Et peut-être plus de souplesse : on pourrait concevoir qu’on accepte des contrats liant plus d’un junior à un senior (ou l’inverse).
Par retraites, j’entends les multiples replis en arrière après l’annonce de tant de mesures. Est-ce qu’il n’aurait pas été plus sage de faire tester ou évaluer ces mesures avant de les annoncer? Mais là encore, il est difficile de faire la balance entre de multiples mouvements de refus (1), d’audience ou de rayon limité et l’absence de grèves de grande ampleur comme le pays en a connu dans le passé. Avoir présent à l’esprit les grandes cicatrices laissées par ces mouvements (le fret ferroviaire en particulier ne s’en est pas remis) permet d’apprécier la relative paix sociale de ces derniers mois,. Cela conduit à tempérer les critiques ci-dessus et à apprécier comme un repère majeur le rapport Gallois et sa mise en application à travers le CICE. Faire de la France un pays dans lequel le dialogue se substituerait au conflit préalable n’est pas un mince objectif !
Résorber la dette constitue aussi un objectif majeur, surtout lorsqu’on le met en regard de l’impéritie ou de l’inconscience du précédent quinquennat. Mais fallait-il le faire en rognant de telle manière le pouvoir d’achat via une ponction fiscale accrue ? Même le chef de l’État en doute maintenant. Mais avant d’adopter une révision des taux de la TVA, qui ne va qu’à la hausse, il aurait peut être été judicieux d’étudier une modulation allant plus dans le sens de la simplification et de la justice sociale. Par exemple des taux de 5% , 10%, 20% et 25%. Le premier, pour les produits de consommation courante, ne ferait pas une différence importante avec le taux de 5,5% ; mais il pourrait constituer une incitation à la baisse des prix. Comme il intervient de manière très fréquente, il faudrait bien compenser cette petite baisse par une hausse, par exemple sur les produits de luxe comme les derniers gadgets électroniques ou les repas de réveillon à 480 euros par personne sur lesquels les médias se focalisent.
On ne peut oublier que la crise a frappé bien des couches sociales, mais qu’il a été constaté par le palmarès Forbes que les couches les plus riches sont plus riches après la crise qu’avant elle. Ainsi les 400 plus grosses fortunes des États-Unis représentent 2000 milliards de dollars, le double de ce qu’il était il y a dix ans, et un montant analogue au PIB d’un pays aussi vaste que la Russie…
– par Paul Itologue
(1) En dresser la liste reviendrait à un inventaire à la Prévert, et au delà de la Manif pour tous, du « printemps français », des « bonnets rouges », des taxis, des « moutons », à réunir une vraie basse-cour : « pigeons », « dindons » de l’école, « dodos » des VTC, « cigognes»…
De déconvenues en déceptions, de prises de conscience en découvertes, de reculades en dérobades, de pantalonnades en débandades, la pensée de gauche fonctionnarisée apprend tout doucement, pas à pas, à affronter les rigueurs du monde contemporain ainsi que les lois les plus élémentaires de l’économie et en reste stupéfaite, elle qui n’avait rien vu bouger depuis Jaurès. La voici prête à s’assumer sociale démocrate.
Il lui reste encore beaucoup de chemin à faire pour devenir sociale libérale. Tant qu’elle regardera en arrière pour y chercher les coupables de ses propres errances, ou en avant pour y voir des « riches » qui courent trop vite, c’est qu’elle n’aura pas beaucoup avancé. Quant à faire le bilan de son action, nul besoin de commissaires aux comptes.
Déjà 18 mois de perdus pour notre pays qui attend et n’en peut plus