Corporatisme de mauvais aloi.
La lecture de l’actualité dans certaines parutions me conduit à mettre en parallèle deux événements. L’un et l’autre ont un point commun le comportement du corps médical face soit à la loi soit à des décisions de justice. Cette corporation, tout aussi respectable qu’elle soit, ne serait-elle pas en train de s’octroyer des droits et des pouvoirs qu’elle ne possède pas ?
Le premier événement concerne la fin de vie. Dans une rubrique publiée dans le journal « La République des Pyrénées » (1 février 2014) ainsi que sur le site du Monde des Idées, Bernard Devalois, médecin responsable de médecine palliative à Pontoise, critique sans nuances la décision rendue le 16 janvier 2014 par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Rappelons pour la bonne compréhension, que cette instance avait eu à se prononcer à la demande de ses parents sur le cas de M. Vincent Lambert malade incurable. Deux thèses s’affrontaient, l’une soutenue par le père et la mère du patient, qui, pour des raisons qui leur appartiennent, s’opposent à l’arrêt du traitement de leur fils et l’autre, celle de la compagne de Vincent Lambert qui soutient qu’il est dans l’intérêt du malade que soit mis fin à ce qu’elle considère comme un acharnement thérapeutique.
Le propos ici ne porte pas sur les motivations de l’une ou l’autre partie mais sur la réaction du Dr Bernard Devalois face au jugement rendu par le tribunal administratif. Il n’y va pas par quatre chemins. Selon lui : « Le jugement contribue à une néfaste judiciarisation de la médecine ». Ou encore : « Ce n’est pas au juge de déterminer ce qui est déraisonnable (…) c’est bien au médecin, après le respect d’une procédure collégiale, de qualifier ou non de déraisonnable les actes préventifs, entrepris (…) Egalement : « C’est tout l’édifice progressiste de la loi sur les droits des patients et la fin de vie qui est ébranlé par cette décision. »
Et enfin en guise de conclusion : « Il faut que le Conseil d’Etat soit saisi et que le législateur et le politique rappellent leur place aux juges, celui de faire appliquer la loi, pas d’en inverser le sens ». Ça tombe bien, le Conseil d’Etat est maintenant saisi, nous verrons quelle sera sa position.
La charge est sévère et ne s’embarrasse pas de subtilités, elle pourrait être rapprochée d’une autre réaction d’un autre médecin qui regrettait ce qu’il appelait l’immixtion de la justice dans la responsabilité médicale.
Le second événement concerne la poursuite devant la Cour d’Assises du Dr André Hazout, gynécologue de renommée, accusé de viols et d’agressions sexuelles sur plusieurs de ses patientes (L’express du 29 janvier 2014). L’enquête a permis de dénombrer 30 victimes de ses agissements entre 1985 et 2006. Six seulement seront parties civiles à l’audience, les autres ne pouvant y figurer parce que les faits sont couverts par la prescription.
Ce qui est significatif du comportement du corps médical dans cette affaire, c’est que beaucoup de monde savait, dans le milieu professionnel, mais personne ne parlait. Certains même dans la profession avaient recueilli des confidences, mais personne n’y a cru ou n’a voulu y croire. Pire encore, des femmes victimes se sont adressés au Conseil de l’ordre des médecins et ce dès 1990, mais aucune suite n’a été donnée par cette instance pourtant chargée d’un pouvoir disciplinaire, il y a eu classement sans suite. Alors la justice a été saisie et elle a sanctionné ceux qui ont, de manière coupable, décidé de se taire. Ce n’est qu’en 2013 que le médecin Hazout a été interdit d’exercer la médecine.
Dans l’un et l’autre cas le corporatisme médical soit s’oppose ouvertement à une décision de justice soit ignore la justice. Le Conseil de l’ordre des médecins n’est pas une structure qui a pouvoir de se substituer à la Justice. De même qu’un médecin, comme tout autre citoyen, ne peut critiquer ainsi une décision de l’instance judiciaire chargée de dire le droit. Contrairement à ce que pense le Dr Devalois, le principe constitutionnel d’indépendance de l’autorité judiciaire interdit au politique ou au législateur, ainsi qu’il le prétend, de se prononcer sur une décision de justice.
Hippocrate revient !
Pau, le 4 février 2014
Par Joël Braud
Très bonne analyse du comportement du corps médical qui trop souvent, parce qu’il détient un savoir dénie au juge le droit de se prononcer en fonction de la loi et de l’interprétation qu’il doit en faire. Le citoyen, médecin ou pas, peut dans notre république critiquer une loi en vigueur et en demander l’abandon ou l’actualisation mais il ne peut y échapper sous prétexte qu’il l’estime caduque ou inadaptée.
Et je rajouterai que c’est souvent l’attitude de tous ceux qui détiennent un savoir : médecins bien sûr, mais aussi architectes, enseignants-chercheurs, ingénieurs et d’autres encore !