Que contiennent les images ? le reflet des absences ?

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Que contiennent les images ? Quelques onces de Passé, de longues pointes de souvenirs, mais avant tout l’aventure de vies multiples qui se posent là, sur ce banc d’un village du Gers photographié voici quelques jours, par grand beau temps. Sur ce banc se sont posés les fantômes de Victor Ségalen, de retour des îles tahitiennes, de Jules Supervielle, d’Henri Calet, d’Henri Michaux, de tous ces migrants voyageurs partis en Amérique du Sud, Centrale, du Nord, se posent aussi les fesses des chercheurs des Kerguelen partis étudier l’évolution des saumons, la fonte de la banquise, tous revenus, repartis, disparus et dont seule cette image témoigne de l’existence, du passage, alors qu’assis sur ce banc que le soleil printanier immacule, ils allument une pipe dont la fumée se perd dans les voiles de la maquette, derrière la vitre.

Comme ils sont proches et lointains, ces itinérants partis cueillir dans leur jeunesse les fruits qu’ils portaient en eux, en paquebots, en steamers, en voiliers, et tous les autres, en galère, qui les avaient précédés sur l’embouchure du Maroni, ces marins grimpés pour un peu plus d’argent dans des baleiniers, des morutiers, des thoniers franchissant le cap Horn, de Bonne Espérance, la Terre de Feu, le Cap, les quarantièmes rugissants, marins de Loti, de Stevenson, d’Hermann Melvile, la barbe hirsute, les mains plus grosses que des filins d’amarrage, l’oeil bleu, le petit anneau d’or scotché à l’oreille, le vrai, celui qui améliore la vue, ces tatoués sans pacotille, laveurs de pont, souqueurs, forcenés des chaluts, coupeurs sur le vif, machinistes peints de suie et de sueurs, récalcitrants aux fers, marins perdus en mer, tous débarquant en héros, en migrants, dans ces ports lointains où les femmes faciles, l’alcool, les bordels, les bagarres font renaître la vie pareillement qu’aux heures appareillantes, vies d’obscurs que le sel et l’écume ravive sous les lointains tropiques, l’oeil bleu des volets de cette image que je regarde et où je vois, et où je lis ma peur de l’eau, ma crainte des horizons nouveaux, l’absence monumentale des pipes en écume de mer, de ces fumées qui soufflaient vers la Louisiane, vers Paramaribo, Tegucigalpa, Montévideo ou Buenos Aires, voire Valparaiso qui brûle alors que j’écris ces phrases dans mon petit jardin proche du Gers et de ses vagues immenses.

Que contiennent les images ? Tout et rien, le bruit et le silence, l’effet défait et les fées défaites, l’amour et l’aveugle. En un mot, l’inutile. L’inutile, qui ne serait pas vide, juste espiègle. Un oeil noir d’aigle sur le rire d’une mouette, un vague sentiment d’appartenance mêlé de différence, à l’image de ces collines gersoises qui pourraient noyer un homme en pleine terre, fleurs et couronnes, ou d’un enfant qui, du côté de saint Malo, déciderait de devenir corsaire, comme ici les plus ambitieux jamais ne franchirent les Pyrénées : ce qu’il y avait derrière nous fera face bientôt (c’est une image que je refuse de photographier). Le bleu du ciel reste, Bataille, l’exil de tous les franchisseurs de mer, et chacun à sa manière a depuis belle lurette appris a marcher sur les eaux vagabondes du 2.0 (mais non, j’allais pas rimer avec monde).

Quand ma compagne m’a demandé de m’asseoir sur ce banc, photo souvenir que nous regarderions plus tard, c’était quand, déjà ? et qu’à mon tour je lui ai proposé de s’y allonger, nue, pour faire une photo artistique, la scène a tourné à la franche rigolade : Victor Ségalen jetait vers ma compagne des colliers de fleur d’orchidées, des « ava ava », (cigarettes), Jules Supervielle des brassées de foins pampinesques, Henri Calet quelques tickets perdants de l’hippodrome de Montévidéo (ou de Longchamp), Paul Morand devait survoler la scène, en aéroplane, et finalement ce fut à Aignan, dans le Gers, que l’image, dès qu’apparue, s’oublia; Dans le vent de cette petite histoire.

par AK Pô

12/04/14

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