Demain les nains (conte d'un dimanche d'Eté)

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Il était une fois un jeune homme plein d’allant et de charisme, qui avait réuni autour de lui une troupe fantasque et fantaisiste composée d’admirateurs et d’amis en compagnie desquels il refaisait le monde dans de longues soirées festives. Le temps vint où, avec la fin des études, le monde qu’ensemble la troupe remodelait à loisir, se présenta sous sa forme la plus crue, celle qui exige pour vertus obéissance et soumission : un espace glauque où gagner sa vie est primordial et les ententes peu cordiales quand chacun ne sent en l’autre qu’un concurrent, et non plus un partenaire.>

Ainsi celui qui menait sa barque gaiement en compagnie de ses amis se trouva confronté à une réalité dont, depuis longtemps il avait pressenti l’arrivée. Curieusement, Joseph (appelons-le ainsi) que l’on surnommait Leader Prince, eut sur les autres un avantage non négligeable, celui d’apprendre la botanique dans les jupons des jeunes filles en fleur, ce qui insuffla en lui ce qu’il est courant d’appeler l’esprit d’entreprendre, esprit qui s’étendit au fil de ses conquêtes féminines, qui sont, depuis Aragon, l’avenir des hommes (de Castille et des natifs de Pézenas notamment).

A vingt cinq ans, Joseph décida de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Il avait cumulé en bon apprenti des connaissances et des pratiques idoines et su flairer quelques opportunités dans le domaine de la culture horticole et le parfum des pivoines ; et c’est muni d’un dossier conséquent qu’il alla frapper à la porte d’une banque, où il fut cordialement reçu et obtint un prêt insignifiant lui permettant néanmoins d’acquérir un pré où établir son siège social et ses premières expérimentations. Le champ était rectangulaire. Il fut borné et mesuré par 334 nains de jardin se tenant par la main dans le sens de la méridienne verte (soit 100,20 mètres) et 167 autres (soit 50,10 mètres) dans un équerrage parfait, soit une surface totale de 5020,02 mètres carrés pour un périmètre de 1002 nains. Calcul mental : combien mesure un nain de jardin bras tendus ? Vous avez trente secondes. Le terrain était plat et il fallut à Joseph toute l’ambition la créativité, la sonnerie à l’aube d’un réveil pour animer cette dynamique que l’on nomme liberté d’entreprendre.

Les contraintes étaient nombreuses, les risques dommageables, et fatale l’erreur. Le plan d’action qu’il élabora seul, dans son bungalow en location fraîchement livré et connecté sur le site, possédait tous les aléas (ci-dessus mentionnés) d’une telle initiative. Il fallait, surtout quand on aime son métier, bien gérer les préliminaires avant de se lancer dans la réalisation pure et simple de l’oeuvre, il fallait donc préparer le terrain, afin d’en éprouver la fertilité de la démarche. D’où l’idée de Joseph d’organiser un grand tournoi de foot, dont les compétiteurs seraient les nains qui avaient participé aux mesures de la parcelle. L’équipe gagnante serait récompensée, et les autres, dont la participation tout comme le travail précédent seraient applaudis ou remerciés, tous étant bénévoles et, jusqu’à ce jour, non syndiqués officiellement.

Pour organiser le tournoi, il fallut former quarante cinq équipes de onze joueurs, et désigner six arbitres, qui prêtèrent serment en crachant par terre, ce qui est un engrais aussi performant que le crottin de cheval. La tâche était rude. Joseph contacta donc trois amis afin de l’aider à mettre en place l’événement (qui attirerait, dit-il, des milliers de nains venus du monde entier, entrée payante, sortie gagnante). Youssef s’occuperait de dénicher un ou deux sponsors dans les jardineries alentour pour les encarts publicitaires, Josep contacterait une grosse boîte de fournitures sportives pour le prêt de crampons spécial aération du gazon, maillots, shorts etc et Josepha recruterait quelques costauds pour planter les clôtures (offertes par Alternatives Pyrénées) et assurer le service d’ordre, l’arrosage de la pelouse, et l’élimination progressive et incognita des nains mis hors jeu.

Une fois achevée la compétition, le terrain serait tellement labouré que les premiers semis pourraient se faire sans autre préparation de la terre, ni adjonction de fumier, de pesticides, d’engrais à base de nitrates. Un terrain vierge d’une belle couleur sombre aimablement foulé par les crampons vindicatifs de travailleurs plus enclins à se tirer dans les pattes qu’à revendiquer un chou gras par tête de pipe. A première vue, le projet de Joseph semblait promis à un bel avenir. Et ses trois collaborateurs, aussi enthousiastes que lui, remontèrent leur réveil un quart d’heure plus tôt que celui de leur patron, pour être efficients et marquer de façon indélébile leur attachement à l’entreprise, aux perspectives positives entrevues et à la solidarité inébranlable du compagnonnage dans les moments difficiles,(très exceptionnellement).

Le fait est que la stratégie adoptée fonctionna au petit poil. Les comptes furent légèrement bénéficiaires d’une année sur l’autre (et les intermittents perdants virés sans être payés à chaque troisième mi-temps), ce qui permit à l’entreprise d’investir dans la semence, la recherche et le foncier agricole, entre deux organisations de tournois. Une maquettiste fut embauchée pour peindre artisanalement de petits hexagones noirs sur les balles de golf afin de rendre les ballons plus crédibles en gros plan, et augmenter l’aficion d’un public international jusque là un peu dubitatif quant aux grimaces et convulsions exposées sur les écrans durant les retransmissions. Car la manifestation prenant de l’ampleur Joseph dut créer quelques postes supplémentaires : informatique, techniciens vidéos avec matériel, commerciaux, conseillers en stratégie de vente, jardiniers, maraîchers, réparateurs de petit et gros matériel, investisseur spécialisé dans la paille (lui même, mais sous un autre nom), bref en cinq ans ce sont cinquante personnes qui remontaient leur réveil pour se « challenger » les uns les autres, créant une toujours saine stimulation vouée à la réussite de l’entreprise, son essor, sa réputation, ses retombées économiques, chacun mettant le pied à l’étrier pour alimenter le bonheur collectif et individuel de se sentir exister et reconnu par ses pairs, renouvelant au quotidien l’esprit d’équipe indispensable au fonctionnement des grandes idées initiées avec souvent au départ de petits moyens.

Cinq ans passèrent encore, qui virent l’entreprise se développer exponentiellement, mais en même temps naître une concurrence de plus en plus acharnée tant au niveau du brevetage des semences horticoles, de l’exploitation hyper réglementée des semences naniques, tout comme des événements sportifs. Pour lutter contre cette propagation de la guerre économique, Joseph rechercha et noua des alliances avec d’autres entrepreneurs oeuvrant dans des secteurs similaires mais non directement compétitifs. L’entreprise changea de statuts et devint un groupe, capable de défendre ses intérêts contre ses potentiels rivaux venus de partout comme de nulle part. Pour survivre, il fallut réduire l’impact des petites structures déclinantes en cassant les prix puis, dans un second temps, racheter ces structures mises en faillite pour les intégrer au groupe, tout en évinçant les nains de ces petites boîtes, surtout ceux qui portaient des bonnets rouges, ne conservant que quelques schtroumpfs pas trop grognons pour leur savoir-faire réputé, qui furent payés avec des feuilles de salsepareille cultivées sous serre dans les vastes étendues agricoles disséminées sur divers continents.

Plus personne ne remontait son réveil, car la production fonctionnait 24 heures sur 24, avec des lampes halogènes pour rapidifier le développement des plants ; chacun s’appliquait à sa tâche, sans en comprendre les tenants et aboutissants, l’essentiel étant d’utiliser à plein régime l’outil de production, de rentabiliser hommes et machines sans état d’âme. L’âme, il n’y en avait plus. Joseph lui-même ne chapeautait plus le moindre domaine de cette déprimante pieuvre. Les compétitions sportives se jouaient sur des terrains mesurés par des footballeurs exsangues se tenant par la main (50 dans le sens longitudinal, soit 105 mètres et 32 plus 80 cm de bistouquettes dans le sens de la largeur, soit 68 mètres), hommes réduits à l’esclavage dans des stades surpeuplés envahis par une foule de nains jaloux, hurlant, sifflant, trépignant, stades construits à grands frais pour accueillir les vivats de porteurs de banderoles qui, une fois les festivités terminées retourneraient à leur état de déshérence, le cœur lourd d’avoir une fois de plus perdu leurs illusions de gloire.

Ces têtes brûlées et irresponsables incultes iraient incendier les voitures, manifester leur honte de se sentir éternellement vaincus en brisant quelques vitrines, prendraient leur carte au FN en déchirant celle de la CGT qui leur fit avaler leur rouge bonnet toujours par honte plus que par orgueil, tant le vil espoir qu’ils avaient de voir un pays, le leur, gagner une coupe du monde constituait une échappatoire à leur quotidien minable, un rayon de soleil national mettant sur le même plan l’égalité la fraternité et la liberté, ces trois vastes entreprises qui ne trouvent jamais d’échos dans les espaces qui les ont vu naître, grandir et mourir, dont au final personne ne veut, tant elles sont prometteuses mais si radicalement indésirables dans le maintien d’une impuissance législative qui façonne la précarité en mode de vie normalisé. Car la vie n’est en soi nullement précaire, elle est ce chant absolument vivant que tous les géants et les nains de cette planète chantent en choeur : Carmen

Chantent en fumant de belles cigarettes au parfum de pivoine sur les quais d’une gare exposée plein sud. En attendant l’arrivée du dernier nain, un chemineau qui pratiquait le rail bien avant Beigbeder, un certain Joseph Leader Prince.

Par AK Pô

29 06 14

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Un commentaire

  • Je regrette cher karouge que vous n’ayez pas fait une petite place dans votre admirable fourre-tout panoramique à la lutte contre le djihadisme lepéniste, à l’ ABCD de l’égalité du genre, au pacte responsable de compétitivité, au cannabis-pizza OGM, au départ de l’étape du Tour de France à Maubourguet, ainsi qu’à l’égalité des droits intermittents des travestis lesbiens et homosexuels, Tous sujets actuels et d’importance dont je comprends qu’ils vous préoccupent et qu’ils vous donnent des raisons supplémentaires pour ne rien commencer puisque par avance nous savons que partis de rien nous n’ arriverons que nulle part quand nous serons revenus de tout et encore, si tout va bien.
    A la réflexion, je vous soupçonne fortement d’être un lobbyiste de l’industrie des anti-dépresseurs, dont on sait qu’elle sera probablement en France notre dernière activité exportatrice, tout juste après notre industrie fiscale dont les créations font l’admiration du monde entier.
    D’ailleurs, je viens de passer devant ma pharmacie et il y avait déjà la queue…