la vie à la campagne
Quand la pluie s’est mise à tomber j’ai demandé à Lucia, ma femme, où était le parapluie. Elle m’a répondu quand il pleut on ne sort pas on va se coucher en attendant que l’averse cesse. Et ce sans manières, Paco, tu devrais le savoir depuis le temps que nous vivons ensemble. J’ai acquiescé. Cela faisait belle lurette par ailleurs que je ne m’étais pas trempé. Des temps immémoriaux, aurait pensé Victor. Vous ne connaissez pas Victor ? Enfin, ne me dites pas que vous ne connaissez pas monsieur Ségalen, un médecin qui se lavait à l’eau de mer et y trempait sa plume pour raconter ce qu’il vivait , partageait les champs marins avec les sirènes de l’ultime humanité. Une vie pas facile sous les tropiques loin du miroir des métropoles. Des récits d’embruns et des observations altruistes, avant que celles-ci ne disparaissent de la surface du globe.
Pourtant, nous étions loin des îles australes, Lucia et moi. Pas même dans une nuit lustrale (purificatrice) où auraient brillé quelques constellations aux noms évocateurs : lion, ourse, capricorne, croix du sud, scorpion. Nous étions dans un trou perdu de province qui se remplissait inexorablement d’eaux tumultueuses. Loin de ce poème rédigé la veille où j’avais écrit : les verres pendant la nuit se remplirent de rosée et nous les bûmes à l’aube, enivrant nos langueurs, puis sombrant aux thermes vers midi en un coma profond qui se nomme le rêve. Nous coulions des jours heureux dans un lit bateau qui prenait l’eau, voilà la vérité, et l’absence de parapluie n’y pourrait rien changer. Les draps étaient des voiles qu’un vent chargé de phéromones emportait dans la houle gironde, jusqu’aux embouchures les plus musicales de nos nez en trompette.
Dès que cessait la pluie, nous nous levions, sortions en trombe, à demi nus, arpentant en tous sens le jardin et le pré attenant, jeunes animaux pris de folie semblables à ces enfants qui jouent et braillent sur ces places magiques d’Espagne où ne pénètrent pas les voitures, places royales de Salamanque à Madrid, de la Constitution à Saint Sébastien, du Pilar à Saragosse… Les voiles séchaient sur les cordes à linge, comme on en voit encore parfois dans les provinces reculées, le ventre rebondi sous la générosité du vent d’Est, ne craignant ni le vol ni l’envol, arrimées aux fils par des pinces de bois solides et résolues, cerfs-volants prisonniers de leur ombre dansant sur le tapis vert, faisant la nique aux herbes folles.
Lucia, je sais ce que tu vas me dire : nous puisons nos forces dans nos imperfections, et pourtant c’est bien seul que je refais le lit avec les draps qui ont séché durant les éclaircies, Lucia, la terre a aspiré goulûment tous les pleurs du Passé et les feuilles du marronnier dansent à nouveau sans le poids de l’ondée. Paco, la pluie n’est un fléau que pour les gens aigris, et l’aube nous attend pour confirmer le jour. Il fera chaud, encore, cent ans après qu’eût sonné le tocsin. Avec ou sans parapluie, nos jours seront comptés par d’étranges légions, et ce sont des clairons qui tailleront nos barbes et nos nez, viens donc dans ce lit frais que tu viens de refaire, le tonnerre gronde au loin, et j’ai perdu Victor alors qu’il s’abibochait avec une princesse dans la Cité Interdite, comme un enfant qui joue, chuchote à l’oreille des dieux ; un jour les chats qui dansent dans le jardin feront mao. Mais je n’ai pas retrouvé ce bouquin magnifique, « Equipée », que j’ai dû oublier chez Gallimard, perdu dans les gondoles entre la nrf et l‘Imaginaire. Qu’importe ! Comme dit le proverbe : quand il y a de l’herbe sur le paillasson seul le rastafari part en fumée.
L’orage est arrivé. Et nous deux, retranchés dans les draps frais au parfum de lavande, la lavande étant à la lessiveuse ce qu’est le sel à Guérande, l’anti-tartre aux brosses à dents, le moelleux du papier cul à la consommation, bref un poncif de supermarché, attendions cet orage avec impatience pour que naissent sous le coton les éclairs mirifiques brûlant comme lave éruptant d’un volcan des îles tahitiennes, des fumées tonitruantes et champignonnesques de Mururoa, alors que passés sous la douche et parfumés au monoï synthétique nous caressons nos corps en fusion sous l’œil lointain mais bienveillant de Victor, qui pendant ce temps soigne, s’instruit, apprend le chinois, s’intéresse aux peuplades des îles, aux symboles des tatouages maoris, en écrit le récit, Lucia, et nous qui batifolons entre les poussières d’étoiles, vagabonds égoïstes mais si présents face à l’orage, si pleins de vie, de vides et d’inspirations…
L’éclair émerveille et le tonnerre glace d’effroi. Ce fut le cas : la petite boîte qui réunit dans une même et unique fête tous les peuples serviles de la planète implosa sous le choc électrique. Plus d’internet, plus de téléphone, plus de télévision. En quelque sorte, nous avions perdu instantanément nos racines, si essentielles dans ce monde globalisé. Notre échange érotique s’en affligea, et ce désir de nous retrouver seuls dans la multitude imbécile des faceboucqueurs et autres connectés à la vertualité nous plaça exactement au centre de ce non-lieu. Lucia ralluma la lumière, après que j’eus relevé la manette du disjoncteur, et nous nous sentîmes non plus seuls, mais marginaux. Un étrange effet, certainement puéril, d’abandon, d’impuissance et de colère. Mais, me glissa Lucia, ce n’est pas la fin du monde, Paco, nous irons voir ta sœur pour lire nos e-mail. Nous lui apporterons le parapluie de grand-père qui traîne depuis des lustres dans le grenier, à côté de ce tableau de C. Spitzweg : » pauvre poète s’épouillant sous la mansarde » (de mémoire).
Ma sœur s’attendait à notre visite. Elle portait encore en elle le terremoto du tonnerre. Elle ne l’a pas perdu, depuis. Je pianotais donc gaiement sur le clavier et trottinait chez monsieur Microsoft avec entrain, me régalant par avance de tous les compliments que les lecteurs du « Petit Léautaud Illustré » m’avaient très certainement adressé, eux qui appartenaient encore et pour longtemps au monde univoque de la pensée globulaire. Alors que je toquais à la porte de monsieur Microsoft, après avoir converti mes codes secrets, celui-ci n’ouvrit pas, me demandant de justifier, par un formulaire à la con, de mon identité et mille misères insoutenables afin qu’après vérification par sa horde de robots, il puisse vérifier que j’étais bien le manant désireux d’ouvrir la porte de ma vie privée globalisée, cloudée et bien entendu pleine de données non partagées. Et là, bernique. Autant s’adresser à Rosetta qui course la comète. Une invitation pure et simple à changer de crémerie.
Le parapluie plut à ma sœur, qui nous remercia. Elle l’emporterait à Sienne l’été prochain, quand se déroule le second Palio, et ainsi les enfants qui joueront sur la place conchique trouveront auprès d’elle un peu d’ombre. Quelle charmante attention, ma sœur. Nous, lui dis-je, on est plutôt partis pour Compostelle, à pied, avant que ne soit rétabli le réseau. Vous verrez du pays, des paysages et des gens qui vivent sans optique mais ont la fibre amicale et sont plus au courant des choses que les choses que l’on nous administre comme des vérités. Elle se remit à trembloter en disant cela et Lucia me glissa à l’oreille j’espère pour elle qu’elle part demain, nous sommes déjà le dix août, et l’Italie c’est loin quand le GPS déraille. De toute manière, cette année, c’est la Tortuga qui va gagner. Oui, mais la Tortuga, elle est carapaçonnée naturellement, alors que nous, sans le parapluie de grand-père, on va être complètement rincés en rentrant à la maison.
Alors nous proposâmes à ma sœur de garder la maison pendant son absence, le temps que notre boîte magique fut renouvelée (combien de temps???). Nous y fîmes l’amour tous les après-midi, alors que dans la rue une jeune femme poussant un landau criait : Victor, Victor ! Attends moi pour traverser la mer.
-par AK Pô
06 08 2014 Ptcq
Au large de toutes les Italies
bruissent les cigales
Au pré des Segalen tombent la merveilleuse pluie d’été
Pleine de parfums et de fécondité
De fait sous un petit coin de parapluie
ne dorment pas forcément les meilleurs paradis
Sous les marinas de Soumoulou voire de Morlaàs
s’écrivent les aventures
sentimentales et hispaniques
de l’étrange kA rouge
au grand large d’ Auchan de Leclerc et de système U
se déploient comme des fanals
les PQ parfumés
d’iode de lavande et de roses d’Arménie
qui, doucement , , nettoieront tous nos culs béarnais…..
Comme un coup de vent, comme une inquiètude cachée, un refus, une comparaison de raison, uen bouffée d’air pur du côté des embruns ou des crêtes inviolées… C’est bon pour l’été et aussi pour la suite… Eric Gildard
PS : je vais en faire part à mes Amis