Avoir 20 ans à Pau en 1942

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 « Vonne » a 20 ans en 1942 à Pau. Originaire d’un village du Vic-Bilh , elle travaille comme éducatrice dans un établissement pour enfants handicapés, rue Montilleul à Pau. Elle nous livre ici quelques-uns de ses souvenirs, qu’elle a d’ailleurs pris la peine d’écrire elle-même sur son ordinateur. Qu’elle en soit ici vivement remerciée. Elle et son époux Jean-Marie, croiseront le chemin de JP Picaper dans les années 60 à Berlin….Par une extraordinaire coïncidence , voici leurs témoignages réunis, bien des années plus tard. .

L’ Occupation

En 1942 (le 11 novembre..), la zone libre est devenue occupée : les allemands ont déferlé bruyamment et se sont installés à Pau. Il y avait une villa de la Gestapo, avenue Trespoey, mais nous n’en avons jamais rien su. Les désigner par doryphores, haricots verts, c’était bien trop courant et nous paraissait dangereux. Nous les avions donc surnommés « los priméros hermanos », cousins germains en espagnol. Lorsque nous avions à croiser des officiers dans la rue, il fallait descendre du trottoir. Aussi, du plus loin que nous les voyions, nous nous plongions dans la contemplation d’une vitrine avec discussion animée pour ne pas leur céder le trottoir et les obliger à descendre. Enfantillage ; les informations étaient si rares et édulcorées. Mais, le matin, ils nous réveillaient avec leur « Halli Hallo » , route de Bordeaux, et le bruit des bottes de leur promenade matinale.
Nous connaissions les chants à la mode :
« Maréchal nous voilà, Devant toi le sauveur de la France,….
Mais nous pouvions aussi fredonner :
« Ohé, les Américains, ohé les Britanniques, Venez nous délivrer de … »

A la pension, Rue Montilleul

La salle à manger était en demi- sous-sol, éclairée par un vasistas ; une grande pièce pour les enfants, une petite pour nous les surveillantes. Ajoutons : la cuisinière était sourde et muette ; elle faisait de son mieux avec les moyens du bord, et les moyens n’étaient pas grands ! C’était la guerre, avec tous les tickets de rationnement qui allaient avec. Ah ! Les topinambours ! Ah ! Les rutabagas ! On peut toujours me dire que le goût du topinambour ressemble à celui des cœurs d’artichauts, je savais qu’ils me rendraient systématiquement malade, mais j’avais faim et j’en mangeais tout de même. Notre ration de pain nous était donnée chaque jour : un quignon dont nous disposions à notre gré, conservé dans notre serviette de table. Si, avec beaucoup de parcimonie, on arrivait à économiser une tartine, c’était une avance pour le lendemain. Mais le pain, à la pâte jaune (le maïs) parfois truffé de balles d’avoine, était parfois moisi le lendemain matin. C’est à ce moment que les tickets de ma tante étaient les bienvenus. Et je me rappelais du conseil de papa disant qu’on ne jetait pas le pain. Quand je rentrais le dimanche à la maison, jamais je n’ai dit que j’avais faim, mais je mangeais avec le plus grand appétit, pensant faire des réserves au moins pour une demi journée le lundi. Si mes parents avaient su ce que nous mangions, ils m’auraient, à coup sûr, demandé de rester à la maison avant de ruiner ma santé. Mais, c’est moi qui avais choisi. Je profitais du dimanche pour aller dire bonjour à ma soeur qui était mariée au village voisin, d’un coup de vélo ; comme elle faisait du beurre avec le lait de la ferme, elle m’en donnait un morceau, plus ou moins en cachette. Avec mon amie Jacqueline,, nous partagions nos agapes, biscottes et beurre, dans notre chambre. Comble d’ironie, après le repas de midi, nous avions droit à une infusion digestive : verveine que j’aimais bien ou camomille beaucoup plus amère. Comme la ration de sucre était de 500 g par mois, soixante morceaux, il valait mieux s’habituer à boire les infusions sans sucre pour que celui-ci édulcore le café au lait du matin. Le café c’était de l’orge ou des glands grillés, le lait, plutôt de l’eau blanchie. Et quand la distribution tardait en début de mois, il fallait s’en passer.
Les rations de 250 g de pain par jour, et 500 g de sucre par mois me paraissent aujourd’hui beaucoup plus importantes qu’à l’époque. Mais, tout le reste de l’alimentation était beaucoup plus laxatif que nourrissant. Je ne me souviens pas de viande. Le grand régal, mais il était rare, c’était une omelette avec un oeuf.

Qui frappe à la porte ?

Un soir, nous étions en train de nous coucher,  nous avons entendu une voiture s’arrêter, des pas lourds sur le gravier de la cour puis une discussion animée à la porte d’entrée. C’étaient des allemands qui avaient vu des fenêtres non occultées voulaient savoir si ce n’était pas des signaux et désiraient monter. La directrice qui les avait reçus s’était mise en travers de la porte et après  bonne discussion  avait promis de les occulter le lendemain avec du papier noir. Ce fut fait mais ils revinrent le lendemain au soir pour vérifier.

La Résistance

La pénurie a augmenté. L’autobus de Lembeye était un vieux tacot à gazogène que les côtes effrayaient souvent. Quand le raidillon commençait à se faire sentir, il s’arrêtait et comme il ne pouvait pas repartir, la solution était de faire descendre tous ceux capables de marcher jusqu’en haut. Les personnes le plus âgées étaient autorisées à rester, mais il y en avait peu. C’est ainsi que les passagers s’égaillaient au rythme de la marche ou des affinités de bavardage. L’autobus reprenait son souffle, tressautait, puis ronronnait plus régulièrement en arrivant sur terrain plat. Il n’était pas question qu’il s’arrête sur sa lancée. Aussi, une main secourable était postée à la portière, qu’il fallait saisir pour monter en marche et dégager rapidement pour le suivant deux mètres plus loin. C’était prendre l’air et on trouvait même cela amusant.
Un jour, pas de bus. J’ai erré dans la rue, cherchant une possibilité de transport et j’ai rencontré le père d’un ancien camarade de classe, à qui j’ai demandé quel était son moyen de transport. Ce n’était pas sa voiture, mais si je me trouvais à telle heure au même endroit, le docteur qui le portait s’arrêterait et me prendrait volontiers. J’étais bien à l’heure !
Roulant lentement, la voiture s’est arrêtée car un convoi allemand voulait nous doubler. Les deux hommes parlaient doucement entre eux. La voiture a suivi le convoi, lentement jusqu’à la route de Tarbes et le convoi est parti de ce côté..Le chauffeur a alors accéléré jusqu’au bas de la côte de Morlaas. Sur le côté, en bordure d’un bosquet il y avait des rondins de bois entassés en stères réguliers. La voiture s’est arrêtée, une tête a paru, le docteur est descendu pour converser un moment. Arrivés à Morlaas, nous avons croisé dans la rue, un camion chargé de jeunes gens qui chantaient à tue-tête des chants patriotiques.
« C’est de la folie ! Il n’y a donc pas d’officier pour les commander ? Pourquoi sont-ils seuls ? « Et si le convoi était passé ici ? » répétait le docteur furieux.
J’ai compris qu’il s’agissait de résistance mais assez peu organisée.

La répression

imageAux vacances, des jeunes de Bordeaux passibles du STO étaient dispersés dans les fermes du Vic-Bilh chargées de les cacher éventuellement. Un jour, un convoi avait bifurqué sur la route de Lembeye. Ce matin là, des bruits sourds se sont fait entendre : le canon, les mitrailleuses. Mais cela paraissait loin. Mon père, un ancien de 1914 a dit que ce n’était pas si loin que cela. Que se passait-il ?
Les jeunes ont décidé qu’il leur fallait aller aider leurs camarades qui en avaient certainement besoin. Mon père leur a interdit de partir. Il leur a probablement sauvé la vie.
C’était aller à Portet, où les Allemands, bien renseignés sur l’existence de maquisards fouillaient maisons et greniers et les brûlaient avec leurs habitants, arrêtaient les passants, comme ce cycliste venu chercher son pain, maintenus mains en l’air jusqu’à vérification. Les résistants ont été chargés sur les camions, conduits au Pont Long pour y être fusillés.
Le lendemain, une voiture est revenue, guetter dans les environs toute maison plus ou moins isolée. L’une d’elles les a intéressés peut-être pour le petit chemin y conduisant et son isolement dans un bois. Le propriétaire, les voyant arriver et ayant un jeune homme chez lui, l’a envoyé au grenier trier de vieilles chaussures. L’officier a été poliment reçu pour fouiller toute la maison même jusqu’au grenier : le jeune homme triait des chaussures. Sans un mot, en le désignant, le doigt tournant sur son front, le propriétaire a fait comprendre qu’il était simplet et qu’il n’y avait rien à en tirer. L’officier est reparti. Ouf..

Les prisonniers

Les prisonniers avaient droit à deux cartes et deux lettres par mois avec un double pour la réponse. La carte avait cinq ou six lignes, la lettre dix-sept. Cela représentait une missive par semaine. Même en écrivant petit et très serré, cela ne faisait pas beaucoup de détails. De plus, il y avait la censure. C’était seulement une présence, une façon de dire qu’on avait des nouvelles. Cependant ces « nouvelles » étaient impatiemment attendues chaque semaine.

La libération

Enfin libres ! Joie et fêtes partout. Et le retour des prisonniers, après 5 années de captivité pour les plus malchanceux. On pouvait à nouveau faire des projets.

                                                                                                                   – par Vonne

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5 commentaires

  • avoir 20 ans en Syrie, à Gaza, en Irak, au Liban, aujourd’hui ? Qu’en pense Vonne?

  • Un magnifique article très différent de celui de JP Picaper. Celui de Vonne sort du cœur, il est plus que sincère, il révèle un vécu. Celui de JP Picaper est magistral, professionnel. C’est un reportage plus qu’un récit. Mais avec ces deux témoignages, nos lecteurs sont comblés et AltPy encore une fois remplit sa mission : informer et par la diversité des approches et des idées permettre à chacun de forger sa pensée.
    A vous lecteurs, que vous soyez témoins directs ou que vous rapportiez le vécu de proches, de prendre la plume et de nous raconter dans le forum, quelques anecdotes sur cette époque.

  • Je profite de ce texte pour manifester mes très sincères remerciements à tous les rédacteurs qui ont contribué, depuis plusieurs semaines, à élargir l’éventail des publications habituelles sur notre site; nul doute que cela va permettre la croissance de notre lectorat et le très vif intérêt des lecteurs habituels; c’est une autre façon de penser l’actualité rarement diffusée dans nos pages.
    Merci donc à Samie Louve pour son esprit.
    Merci à Karouge, Picaper et la dernière en date, Vonne, pour avoir fait revivre un passé angoissant mais combien instructif pour beaucoup de nos plus jeunes lecteurs.
    Merci à PierU pour cette autre vision de notre passé, très lointain celui-là, la clarté de ses images et de ses explications; nous sommes en effet, d’après H.Reeves, des «poussières d’étoiles»!
    Les deux articles sont stimulants car ils permettent de constater que l’homme sait faire autre chose que des horreurs; grâce à son intelligence, sa soif de connaissance, sa rationalité, il est capable, lui, infiniment petit physiquement dans notre monde, d’explorer l’espace. Il est entrain de passer de la mondialisation à l’universalisation; espérons que cela le rendra plus humble et plus conscient de la puissance de notre environnement dont nous sommes entièrement dépendants.

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