Pyrénées – La mule et l’intello (3) : Direction le Canigou
Passé le « Coll de Lli » et toutes ses considérations historiques, on peut se demander quand la mule prendra le dessus sur l’intello. Il faut dire que les pentes rocailleuses sont bien loin encore, que la marche est « aisée » et que tout porte à la contemplation. Pour du changement, il faut attendre la montée vers l’emblématique Canigou prévue à deux jours de marche.
Au Coll, le sentier se fait route forestière côté espagnol. Une diversion fait saliver, la mule et son intello : L’ermitage de « las Salinas » avec sa magnifique fontaine et le « bar à tapas » accolé à l’ermitage. Curieuse pratique ! Un lieu populaire perdu en pleine forêt. La mule souhaite s’abreuver à la fontaine. L’intello n’arrive pas à conclure entre prendre un « cortado », un « cafecito » ou encore un « café con leche ». Les Catalans vont-ils me répondre quand je m’adresserai à eux en espagnol ? On sait leur aversion au castillan, comme ils l’appellent… La fontaine est enfin en vue. Un bel édifice. Remplissage des deux gourdes. Montée vers l’ermitage tout proche pour constater que… le bar est fermé le mercredi. « No hay suerte ». Il en va comme cela pour le randonneur qui rêve de choses simples, très souvent repoussées. Bref, l’intello boira de l’eau, tout comme sa mule.
Retour vers la France et montée vers le Roc de France ou encore Roc de Frausa qui atteint 1450 m. Sur les cartes, les noms sont donnés soit en français, soit en catalan, soit en espagnol. Trois noms pour un même lieu. Pas simple pour se repérer.
Avec le Roc de France, on est encore loin des 3000 mais les premiers rochers apparaissent et le sentier devient plus caillouteux. L’atmosphère est plus sympa et moins monotone. Les forêts sont dépassées. Je croise (enfin) un « natif » qui m’aide à trouver le « coll Cerdá », le GPS et la carte étant en désaccord. Longue descente vers le gite du jour : le « Móli de la Paleta », situé au-dessus d’Amélie-les-Bains dans le Vallespir. En chemin, un orage me rattrape. Je n’ai que le temps de me mettre à l’abris dans les ruines d’une vieille ferme. L’analyse de la carte fait apparaître un raccourcis qui… conduit directement dans un camps « d’indiens » !!! Yourtes, potagers et abris pour chevaux sont installés là, loin de tout, en pleine montagne et sans accès routier. Le corral est situé sur le chemin lui-même. Je dois escalader sa barrière pour pouvoir passer au travers. Plus tard, on me dira que cette implantation directement sur le sentier n’est pas tout à fait légale. Deux beaux lézards verts m’observent un long moment.
Arrivé au gîte, lavage du linge. Avec dans le sac-à-dos, uniquement deux T-shirts et deux pantalons, dont un porté, la lessive se doit d’être régulière. A peine mis à sécher dehors, la pluie reprend de plus belle. Les choses les plus simples peuvent devenir compliquées…
Les propriétaires du gîte, Laurent originaire de la région parisienne et Catherine de Moutiers dans les Alpes, sont à l’image de toute une population nouvelle, établie le long de la chaîne, venue de loin pour fuir l’agitation des villes et le « consumerism » (Quel horrible nom !). Le bio, le fait chez soi, les approvisionnements exclusivement locaux sont en général incontournables dans ces lieux. Soirée très sympathique, avec nos hôtes qui se joignent à la grande table où ils servent le dîner. Deux Suisses sont parmi nous. Ils terminent le même trajet que moi, Banyuls Aulus-les-Bains, mais en sens inverse. Je rencontrerai par la suite d’autres personnes faisant ce trajet qui, pour beaucoup, semble bien correspondre à un tiers de traversée des Pyrénées.
Avec les Suisses, nous sommes trois « itinérants » de passage au « Móli de la Paleta », la veille à Las Illias, nous étions aussi trois au gîte. L’avant-veille, j’étais seul au « Chalet des Albères ». Pour une fin juin, voilà qui n’est pas prometteur… Comment gagner sa vie dans ces conditions là ? En moyenne, dans les gîtes et les refuges, la demi-pension plus le piquenique du lendemain nous est facturé de 45 à 50 euros.
Jeudi 19 juin – Grand soleil à 6h30. Le randonneur vit comme les poules : couché tôt, levé tôt. Une longue journée m’attend : une descente de plus de 700 mètres pour commencer, la traversée d’Arles-sur-Tech et la remontée vers le refuge de Batère, dernière étape avant d’arriver au pied du Canigou. Le GPS prévoit 1532 m de dénivelé grimpant. Cela se corse.
C’est incroyable ce que la Catalogne, en ce début d’été, est verte. On se croirait au Pays Basque. Dès le départ, le chemin est envahi d’herbes humides. La mule prend les devants et, avec ses deux bâtons dégage autant qu’il est possible le chemin. Malgré le « goretex », les chaussures s’humidifient petit-à-petit. La hantise du randonneur : avoir les pieds mouillés.
Belle descente sur Arles-sur-Tech où, à l’arrivée, le GR 10 longe de vieux bâtiments industriels à l’abandon. Le minerai de fer, extrait des Mines de Batères, situées au-dessus de la ville y était traité. Un transbordeur aérien amenait là le minerai. Tout au long de la traversée des Pyrénées, les mines abandonnées sont présentes. Elles témoignent d’une intense activité minière révolue. L’intello ne peut s’empêcher de penser qu’entre le développement de l’industrie hydraulique, les mines, la sidérurgie, les activités thermales, les trains et tramways qui allaient au fond des vallées, les Pyrénées étaient, il y a un siècle, autre chose que la « frontière sauvage » qu’elles sont actuellement.
A Arles-sur-Tech, je déguste un « coca » (du sucre : vite !) avant d’entamer la montée vers le refuge de Batère, installé dans les immeubles qui abritaient les mineurs. Il fait chaud. L’équipage ne démarre que vers 11h la montée. Bien tard.
Un des petits moments de plaisir du randonneur est celui de l’arrêt pour déguster son piquenique. Où donc poser son sac et prendre sa pause déjeuner ? Rares sont les endroits qui présentent tous les critères de la « bonne halte » : suffisamment plats, dégagés, avec une pierre plate, de l’ombre, un point d’eau et la vue en plus. Après 2h30 de marche, au passage d’une rivière, la mule et l’intello, d’un commun accord, trouvent le « spot » idéal. Il était temps. Il est 13h30 et le petit-déjeuner remonte à 7h. Il fait si chaud. Trois quarts d’heure de pause, reprise de la montée et arrivée à 15h45 à Batère.
Une heure plus tard, un « bug » imprévu m’attend. La genoux droit double de volume et rend impossible de plier la jambe malgré le cataplasme de glace posé dessus. A 19 heures, je traine la patte comme un malheureux pour aller dîner. Malgré cela, je déguste de bon appétit, le menu : feuilleté de jambon et champignons, bœuf à la mexicaine et fromage blanc. Très reconstituant.
Un peu plus de monde au refuge, ce soir, avec un groupe de la « Balaguère » d’une douzaine de personnes. Heureusement pour les gérants des gîtes et refuges que la « Balaguère » et quelques autres « tour-operateurs » locaux opèrent sur toute la chaîne. Sans eux, les hébergements auraient beaucoup de mal à vivre. (voir l’interview de Vincent Fontvielle, fondateur de la Balaguère)
Vendredi 20 juin : Le genoux est moins gonflé mais il m’est impossible de marcher normalement. Garlic, le gérant du refuge, qui doit descendre à Arles-sur-Tech, me conduit voir un médecin. Ce dernier diagnostique un « syndrome rotulien par chondrite externe » (Ooups !). Heureusement que le refuge était accessible par la route ! Autrement, c’était la mule (pour de vrai) ou l’hélico.
Je rentre à Pau, la tête basse, en suivant. A quoi bon forcer ? S’ensuivent deux mois de rééducation, de gym et de vélo pour repartir, une fois que le gros des touristes ont quitté les Pyrénées. Mon médecin palois pense que le poids (lourd) du sac a pu provoquer ce « syndrome ». Je reviens à Batère le 18 août, plein d’humilité et surtout sans avoir réservé les étapes suivantes. On ne sait jamais ! J’appellerai au fur et à mesure de mon avancée.
A Batère, je suis content de retrouver Garlic et sa compagne Laure mais un peu inquiet de ce que pourrait me réserver mon genoux droit dans les jours à venir. Le refuge des Cortalets, au pied du Canigou, est à un jour de marche. La mule, de son côté, piaffe de reprendre sa marche. Elle a réglé les bâtons pendant la « pause » et changé de semelles.
– par Bernard Boutin
« La mule et l’intello » : Pour voir les premières étapes, c’est ICI
Les catalans vous ont-ils répondu quand sous vous êtes adressé à eux en catalan ? Ou avez-vous dû passer à l’anglais la très probablement future langue universelle !
On attend le 4ème épisode !