Feu d'enfer aux Féroé ?

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« Avant, c’est-à-dire il y a très longtemps, je n’étais encore qu’un jeune chaton fasciné par la meilleure des télévisions : le feu de bois. Quand la magie du temps m’ eut transformé en homme, beaucoup d’années me furent nécessaires pour retrouver dans le regard d’une femme cette flamme bouleversante, nourrie de danses et de vivacité carnavalesque, ce chatoiement multicolore, et bien des pupilles internationalement croisées n’ont jamais trouvé grâce à mes yeux face à cet orphelinat où j’ai ce soir remisé ma vie amoureuse. «
Popov, tu te moques de moi. Ce n’est pas gentil. Surtout pour un chat. Des comme toi, aussi mythomanes, il s’en croise à tous les carrefours, et les automobilistes prennent, c’est dire, un malin plaisir à vous estourbir, quitte à brûler les feux tricolores, à se faire flasher en flagrant délit. Oui, Popov, les hommes en ont assez que vous vous moquiez d’eux, surtout quand il neige dehors et qu’assis sur leurs genoux, un bon feu de bois dans la cheminée, vous ronronnez comme d’autres conspirent, comme respirent les cons ; bref, Popov, tu ferais mieux de me dire où je pourrais trouver une femme charmante, bien élevée, qui n’aille pas faire ses études à Copenhague, et, mais ce serait un miracle, accepte de vivre sa vie, boulot, enfants, mari, ici, à Thorsavn, capitale des Féroé , entre l’Ecosse et l’Islande.
Moi, pour ce que j’en dis, répondit Popov, c’est surtout pour meubler les longues soirées d’hiver. L’an dernier, à la même époque, je te faisais la lecture des œuvres de Jorn Riel et de ses racontar(d)s bien supérieurs aux miens. Et puis, ne le nie pas, la mondialisation a permis l’apparition de poêles avec baies vitrées auto-nettoyantes, quand nous vivions encore sous ceux, efficaces certes et magnifiques, des scandinaves, ornés de céramiques mais fermés à la vision des flammes que, si tu me permets cette formule, je comparerais à la danse du ventre d’une femme qui serait entièrement recouverte de voiles. Là, le feu est une broderie de l’âme, et la danseuse est divine. Mais cette femme, par ici, le manque de soleil, le vent, l’absence d’arbres, rajoute une brique de tourbe, Piotr, mon imagination décline quand le froid grimpe mon échine.
Tu as beau dire, tu as beau rôle. Moi qui suis né ici, y mourrais sans doute, avec mes grosses patoches de pêcheur reconverti à l’informatique, moi qui d’ici peut hacker le monde entier, qui persévère dans la traditionnelle fête du Grindadráp , qui lorgne sur les Shetlandais et le pétrole de la mer du Nord, comment ne puis-je pas être obnubilé, jusqu’à me taillader en me rasant, quand j’ai rendez-vous avec une femme, une compatriote, rentrée avec une licence de psycho du Danemark, dans une ville de 12000 habitants, comment peux-tu Popov ignorer qu’à la psychologie les habitants ne substituent les psychotropes, tant leur angoisse est grande de rester célibataires jusqu’à la fin des nuits hivernales ? Mon feu est intérieur, Popov, et les flammes me calcinent comme le tango l’argentin.
Popov cessa de ronronner et me regarda dans les yeux : une flammèche d’ironie descendit et courut jusqu’au bout de ses moustaches. Et il eut ces paroles terribles : « s’il n’y a pas de femme pour toi, tourne-toi vers les phoques, il y en a plein les plages . »
Par ces dernières paroles s’acheva la vie de Popov, chat trop gâté des îles Féroé : embroché et rôti à point dans le poêle à bois d’un certain Piotr, votre serviteur.
-par AK Pô
06 12 2014
Ptcq

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