le Noël neuneu du petit père K.

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Le 24 décembre au soir, alors que Marie farcissait la dinde, une belle dinde achetée à la ferme Chabannette, (les chapons de la ferme Bayrouèt étaient hors de prix), garantie bio et bien élevée en couveuse, une dinde qui parle comme un jouet made in Korea , et dont certains apprécient le son enchanteur et roboratif comme roulent les r et foncent les locomotives vaporeuses de la pensée hilaro-déraillante , Joseph fourbissait le poêle à bois de rondins, de bûches de chêne et de bûchettes de pin sèches, il fallut bien vite constater que la soirée serait désastreuse, et ce, pour des raisons indépendantes de leur volonté.
Car voilà :
Comme on ne farcit pas une dinde à coups de marrons, on ne peut la cuire, la faire tendrement rôtir sans l’utilisation d’un four. Or le four, sans être en panne, dormait sous la contrainte d’une grève surprise d’EDF. Marie s’en aperçut en tentant de régler le thermostat sur 210 et l’horloge sur 2 heures trente, temps de cuisson conseillé par un maître évangéliste ayant pignon sur rue (telle qu’il s’en crée spontanément quand une ville atterrit en pleine campagne). Rien. Pas la moindre étoile sur l’engin made in Obsolescence Programmée estampillée NF. Cela la mit en colère, ce qui se comprend, et elle jura à en faire trembler les murailles de Jéricho dans le langage universel des femmes qui font le ménage, la vaisselle, s’occupent des gosses, du budget, sont sous-payées mais conservent toujours en elles ce brin d’optimisme qui fait qu’elles espèrent encore de leur mari cette âme plus véritable que charitable qui les rendra transparents quand ils monteront, ou descendront, les dernières marches de leur vie, telles des Eurydice remontant des enfers un Orphée complètement bourré au sortir d’une boîte de nuit. Mais là, en l’occurrence, pas de four, pas de dinde rôtie.
Marie râle d’autant plus que les médecins urgentistes sont en grève, eux aussi, comme les médecins généralistes, alors qu’elle est sur le point d’accoucher, en ce 24 décembre. Et si jamais l’enfant venait ce soir, Jo, et que les agents d’ EDF soudain cessaient inopinément leur grève, qui surveillerait la cuisson de la dinde ?
Joseph, qui a connu l’art de se faire cornuter, possède le don de consulter les oracles et se rend dans l’étable attenante à la maison familiale où un âne, un bœuf et deux moutons disputent un poker menteur. Il farfouille dans le râtelier et trouve dans le foin un vieux générateur offert en son temps par son beau-père, un buon dio, qui ne savait alors comment éteindre le scandale et amadouer son engeance, quand il (ou elle) viendrait éclairer à son tour ce qu’EDF refusait de faire, ce 24 décembre. La machine est lourde. Mais remplie de gasoil, un don de TOTAL avant défiscalisation . L’âne, le bœuf et les moutons (cités ici par ordre alphabétique pour ne pas faire de jaloux) vinrent à la rescousse et pétitionnèrent pour que cessent les grèves, que les politiciens soient honnêtes comme leurs (grands) parents jadis, que l’expression du peuple qui, jusqu’alors, ne s’exprimait que sur les murs des villes, soit reconnue sans laisser plus d’odeur qu’un pet de lapin sous le chant d’un fusil calibre 22.
Soudain, la première déflagration sourdit des fesses de Marie. La maternité était à 45 kilomètres. Elle glissa à l’oreille de Jo : « appelle saint Sango ! » je vais perdre mes eaux. Mais le téléphone ne sonna pas. France Télécom avait automatisé le 22 à Asnières. Lance un message sur Face-Bouc, PYC le lira peut-être. Mais non, Marie, c’est impossible, PYC ne t’a jamais invité à prier sur la tombe de l’Homme de la Pampa, mais si je fais un bel enfant, Jo, il viendra m’embrasser, au pied de la grand croix d’Escout, je crois, dont la charpente est de poteau EDF et le socle d’agglos et de motifs baroques, mais pour l’heure, qui viendra surveiller la dinde si jamais, ô grand jamais, l’électricité était rétablie ?
Joseph, dont on disait de ses mains qu ‘«elles étaient des sacrées paluches », se demanda qui honorerait l’enfant à naître d’un noble vermifuge. Car le nourrisson se devrait d’être vacciné contre toutes les entourloupes, son verbe conjuguerait le temps, ses paroles irrévérencieuses juguleraient l’absence de mémoire, il pardonnerait à coups de taloches tous les politiciens véreux, il filerait un travail à Job et un tonnelet de rhum des îles aux saint Bernard B., tout simplement. Il ne manquait qu’un mentor, un rêveur de ville, un élu parmi les minuscules, dont la voix porte, un habitant de LilliPau capable de hurler aux oreilles de Bayrulliver jusqu’à l’abasourdir de transparence comptable. Mais l’heure était aux plus chaudes alarmes : la galette se présentait, l’utérus à pédales se dilatait au col et déjà l’enfant s’apprêtait à sauter sur la queue de la comète Pierru , un numéro de cirque oublié depuis la piste aux étoiles, animée par Roger Lanzac, un cousin de Jacques Chancel. L’enfant se présentait lorsqu’ EDF rétablit l’électricité dans les foyers les plus reculés de la campagne. Une étoile rouge brilla au-dessus du four, de l’étable où les moutons se faisaient plumer et le poêle à bois se mit à ronronner dans la cuisine, occupé par un chat aux yeux de braise qui regardait fixement la dinde cuire, rosir, dorer tendrement dans le four électrique, thermostat 7, deux heures trente de cuisson.
A minuit tapantes, l’enfant vint au monde. La sage femme lui tapota les fesses et il se mit à crier. L’air qui pénétra ses bronches le brûla, et il pleura derechef. Dans la campagne, la dinde était cuite mais tous les prosélytes étaient partis à la clinique admirer le messie braillard, sauf Joseph, l’âne, le bœuf et les deux moutons, qui gardaient la maison de crainte d’un cambriolage (les rois mages n’étaient pas loin, et en ces périodes de tensions extrêmes, la peur n’était pas uniquement tournée vers les loups et les ours). Ils invitèrent donc la dinde à se joindre à leur table. Et ensemble passèrent une nuit délicieuse, loin des tabernacles, loin des prophéties et des enfants gâtés.
A minuit deux les cloches carillonnèrent et Dieu appela sa femme. Chérie, j’ai des grelots dans la tête, lui dit-il. Ce qui fit rire madame Dieu, qui batifolait avec le pépère Noël. Et me fit rire aussi, les fesses bien calées devant le poêle à bois, avec ma renne.
Par AK Pô
24 12 2014

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2 commentaires

  • Bon, je n’aime pas la dinde (et encore moins les dindes) mais sa cuisson ici racontée est une bien belle histoire !

  • Et voici la nativité revue, corrigée et actualisée par Karouge d’une façon magistrale. Le prochain épisode traitera sans doute, du baptême de l’enfant qui aura lieu soit à la piscine Péguilan soit à la piscine Plein Ciel. On ne sait encore et le suspense reste entier.
    Bravo.