Qui se souvient de l'été 1939 ?
Agé de six ans j’ai passé l’été 1939 à SARE au pays Basque.
L’été 39 ce n’est pas la début de ma vie, mais c’est le début de mon histoire car à partir de là je peux raconter ma vie (avant c’est une sorte de préhistoire très vague et brumeuse). Maintenant, bien plus âgé (vous pouvez calculer !) je décide de revoir Sare et même, la villa GALARRETA, où se sont passées ces vacances.
– Vous habitez PAU depuis des dizaines d’années, pourquoi si tard ?
– Cher Monsieur, la Mémoire a ses raisons que la Raison ne connaît pas !
Avril 2015, il me faut, de toute urgence, retrouver la villa Galarreta de Sare.
Je commence par interroger Google, il connaît Sare, mais ignore la villa G., ce n’est pas grave, on verra bien sur place. Google m’indique plusieurs hôtels, je choisi le PIKASSARIA ** et réserve par téléphone. Je fais venir Google Earth et pousse le grossissement jusqu’à voir les toits des maisons de Sare cela ne permet évidemment pas de retrouver une maison particulière.
Mon épouse et moi partons un matin, la carte Michelin 342 dans la voiture. Nous nous arrêtons à Peyrehorade, le restaurant-hôtel « le Central » nous offre des asperges délicieuses, « du Mozart ! » au son de la musique de ce compositeur. Là nous décidons de passer par l’intérieur plutôt que par St Jean-de-Luz. Nous passons Bidache, La Bastide-Clairence (par ici une bastide est un village, en Provence c’est une grosse maison), Hasparren, Cambo-les-Bains, Espelette, St Pée-sur-Nivelle, Sare ouf !
A quatre heures, nous sommes à Sare je comptais demander à la Mairie ou à l’office du tourisme, avant nous nous arrêtons au café «Trinquet Pleka » pour une bonne bière d’un côté, un café-noisette de l’autre. « Est-ce que, par hasard, vous connaissez la villa Galarreta ? Demandais-je. « Mais oui, sortons sur la terrasse, je vais vous la montrer ». Il m’indique une colline à l’Ouest « vous voyez, là, entre les branches du platane, il y a un groupe de trois maisons, c’est celle qui est la plus haute ».
Nous avons exploré la quasi totalité des maisons de ce versant de collines, vers 5 heures nous arrivons devant une entrée où le nom : Villa Galarreta est écrit. La voiture entre humblement sur le gravier et s’arrête de sorte que les deux voitures déjà là puissent sortir et qu’une nouvelle voiture, éventuelle, ne soit pas gênée. Je sonne,une dame nous ouvre, «Voilà, Madame, nous ne voudrions pas vous déranger ……Il se trouve que je me souviens de la villa Galarreta, car j’y ai passé les vacances de l’été 1939. A cette époque mes parents avaient décidé de passer les vacances avec le ménage de mon oncle et c’était ici, j’aimerais bien voir le devant de cette maison car je me souviens encore du rond de pierres qui est devant ».
La dame nous fait faire le tour, on passe devant une chapelle*, on arrive devant la véritable face de la maison, c’est une façade basque, aussi basque que possible, la grosse maison basque (au pays basque toutes les maisons sont très grosses, ils doivent y vivre à plusieurs générations). Je retrouve le rond de pierre qu’il y avait au centre, à l’époque un massif de plantes. Le rond de pierre est deux fois plus petit que dans mon souvenir, normal, la position de mes yeux est deux fois plus haute. Je demande la permission de photographier, accordée, mais mon épouse, préposée aux photos (et au téléphone portable), a oublié l’appareil (damned !). Permission nous est accordée de revenir le lendemain pour la photo. Nous prenons congé.
Retour à la place centrale de Sare en face du fronton traditionnel pour la pelote basque. Plus tard dans l’après-midi, sur la place nous retrouvons par hasard la Dame.
« J’ai omis de vous dire mon nom, tout à l’heure, je m’en excuse » – »J’aurais pu d’ailleurs vous le demander !».- « Tenez, voici ma carte de visite» – « mais nous avons deux noms qui se ressemblent : je m’appelle : de Lasteyrie ». Elle nous confirme que nous pouvons repasser demain pour prendre des photos. «Est-ce-que onze heures vous conviennent ? »
Pour dîner nous choisissons de revenir au café-restaurant qui nous avait indiqué l’objet de mon désir. Je dîne d’une pipérade. Je remarque la tête de nègre corse qui se trouvait aussi dans le café sur la Place centrale (quel rapport entre la Corse et le pays basque ?).
Le lendemain à onze heures moins cinq la voiture est sur le chemin avant l’entrée ! A l’heure pile nous sonnons, avant qu’on ouvre nous remarquons un Monsieur qui pousse une brouette. Madame de Lasteyrie nous ouvre, on cause, je lui dis que je me souviens d’avoir vu mes parents dans un lit à colonnes torsadées. Mais oui, il y avait deux lits à colonnes mais il n’en reste plus qu’un je vais vous le montrer. Le lit et la pièce sont deux fois plus petits que dans mon souvenir mais c’est bien eux. Elle nous fait visiter toutes les pièces de la maison, et elles sont nombreuses, avant de nous faire asseoir dans la salle à manger. A ce moment Monsieur de Lasteyrie entre et se joint à nous. Il nous offre l’apéritif et la conversation, alerte, s’installe, les dames partent un moment pour les photos, les messieurs refont le monde. Deux choses remarquables émergent : le mur-tronic et le Général de Gaulle.
La villa Galarreta ; souffrait de murs très humides. Ils ont fait venir des techniciens qui ont installé un dispositif mystérieux appelé MUR-TRONIC. C’est la première fois que j’en entends parler, comme je sais que la molécule d’eau est un nano-aimant, je peux vaguement imaginer que sa remontée par capillarité puisse être liée à un champs électromagnétique périodique. Ce champ est reçu par un dispositif génial qui renvoie un champ identique en opposition de phase. Les deux champs s’annulent et l’eau cesse de monter. Le dispositif est contenu dans un boîtier de l’ordre de 30 cm et ne reçoit aucun apport d’énergie. Le résultat est là, la villa Galarreta est bien sèche.
Et maintenant, le Général de Gaulle. Il a dîné à la villa dans une circonstance tout-à-fait intéressante. Voici l’histoire (on pourrait mettre un H), après la défaite de 1940,
Une personnalité, appelons la XX, a tenté d’ouvrir un second front, non en Angleterre mais en Afrique du Nord, voir en Afrique noire. XX et le Général ne se sont pas entendus durant la guerre. Comme «le temps est un grand maître» au cours de l’année 1954, à peu près, quelqu’un a organisé une rencontre entre ces deux hommes, où ça ?
À la villa Galarreta !
Tout le village s’est mis en quatre pour offrir un dîner somptueux dans la salle-à- manger où nous sommes en train de prendre l’apéritif !
Le Général de Gaulle aurait-il couché dans le lit à colonnes où mes parents ont dormis durant l’été 39 et où je les ai vus un matin, très satisfaits l’un de l’autre ?
Ce souvenir me permet d’introduire le flash-back suivant :
« Mes parents habitent Alger avec leurs trois enfants et la grand-mère (mémé).
Ils ont convenus avec tonton M. et tante Z. de passer l’été 39 au pays basque. Mes cousines : A., C. et V. ainsi que mon cousin A. sont plus grands que moi, (pourtant aîné de mes deux frères P. et Y.). Donc pendant quelque temps je passe du statut (lourd) d’aîné à celui (rafraîchissant) de petit cousin.
Les deux familles se sont réunis à Bordeaux, ou à côté. C’est là qu’on m’offre ma première lampe électrique, que je goûte au chocolat blanc et à une portion de miel brut, avec la cire qui craque. Mon cousin A. s’est blessé au genou, vigoureusement soigné sur le lavabo il crie très fort.
Je suis très impressionné.
Une partie de la famille prend le train pour rejoindre le fameux pays basque. Je suis dans un compartiment avec mémé, les pins défilent, on m’explique la saignée des pins pour la résine et une dame du compartiment offre à mémé une de ces grosses pommes de pin qui ont des pignons.
Installation dans la villa Galarreta où parfois je récolte avec A. des plumeaux pas encore sortis de leur gaine verte, donc bien brillants, et nous les mettons dans des boites en cartons, nous nous disons: « on dirait que se sont des queux de renards argentés » .
Un jour nous allons cueillir des feuilles de noyer, c’est bon de les mettre sous le matelas contre l’humidité. Nous courons dans la descente et mes deux cousines me tiennent par la main, je soulève mes genoux, je ne touche plus terre, les cousines crient « youpi ! ».
Un autre jour nous rendons visite à une ferme où une truie a donné des petits. Je fais un dessin de six petits cochons tétant leur mère.
Et puis on va visiter Hendaye, je vois pour la première fois des TAMARIS, on m’offre un JOKARI (une boite en bois, une balle attachée à une ficelle élastique). La mer et la montagne, venant de derrière les montagnes espagnoles j’entends le son sourd du canon. Tonton M., officier, me dit «Il y a la guerre civile en Espagne **».
La guerre, en effet, Hitler …….
Avant l’été 39, papa, qui avait fait son service militaire dans les transmissions, avait installé sur la terrasse de l’immeuble, à Alger, une antenne capable de capter la station d’émission allemande de BADEN-BADEN, et j’ai entendu avec lui les vociférations de Hitler, je n’entends pas l’allemand, ça ne m’empêche pas de comprendre que ça va aller très mal. J’entends mes parents parler du « fureur » et même mémé dire : « ah !,ah !, le fourreur des dames ».
Le mois de Juillet avance et tonton M. doit rejoindre son corps d’armée***. Il y a une scène d’adieux devant la villa Galarreta. Les deux familles ne vont pas tarder à se séparer. Mes parents avec leurs trois enfants, mais sans mémé, rentrent à Alger par Port-Vendres. Il y a une foule très dense sur le bateau, sans doute, toutes les cabines sont déjà pleines car c’est un exploit pour mon père de trouver une chaise longue pour ma mère, je le vois la brandissant au dessus de la tête des gens.
C’est ma dernière vision de l’été 39
Avril 2015, le temps est beau et doux à Sare. Nous avons acheté un très beau livre (60 Euro) sur les maisons de Sare, la villa Galarreta y est bien sûr décrite. Nous décidons de rester une nuit de plus au Pikassaria. Nous allons faire un tour en voiture vers Vera. Nous visitons la grande église avec ses balcons de bois et sa voûte remarquable Nous observons un troupeau de moutons s’échappant de leur près en sautant sur le mur d’enclos de presque 1 mètre, le mouton basque doit être mâtiné de chèvre ! Le paysage vu de Sare, autant que l’on se tourne c’est collines, puis montagne, c’est un petit monde à lui tous seul. C’est un lieu apprécié par beaucoup de randonneurs français et étrangers.
Un chemin de pierres a ses pierres tassées verticalement, cela me rappelle, que j’avais dit à mon père «on devrait mettre les pierres à plat, on aurait besoin de moins de pierres » « arrête avec tes souvenirs » dit D.
PAU, le 12 Avril 2015
Jean-François de Lagausie
* Le petit oratoire dédié à Saint Eloi, Galarretako Kapera, s’appuie sur le mur de la propriété, contre les lauzes du chemin – dans « Maisons de Sare », Editions KOEGUI.
** Avril 1939 entrée de Franco à Madrid.
*** Septembre 1939 la France déclare la guerre à l’Allemagne
Bonjour,
Tout d’abord, merci beaucoup pour cet article et ces photos qui me donnent des frissons par millions et qui stimulent une myriade d’émotions dont je peine réellement à identifier les fondements… La joie d’antan se heurte à la nostalgie d’aujourd’hui (et à la grisaille de Paris !! 😉 ).
Je suis l’un des petits fils des anciens propriétaires de la Villa Galarreta et c’est avec beaucoup d’émotions que je peux enfin « revoir » quelques images du plus beau berceau de mon enfant… Bien plus tard qu’en 39 je dois l’admettre, puisque je suis de 85.
Néanmoins, c’est avec beaucoup de bonheur que j’apprends que la maison se porte bien et j’aimerais tant avoir la chance de pouvoir la visiter.
Il s’avère que je vais à Biarritz dans pas longtemps donc je pense que je vais essayer d’y faire un petit saut. Peut être me permettrez vous de contacter Mr et Mme de Lasteyrie au travers de votre blog ?
En tout état de cause, sachez que je suis très reconnaissant pour l’article que vous avez réalisé et pour avoir inscrit cette Fabuleuse Demeure dans l’éternité & le patrimoine numérique (internet pour parler simplement ! :))
ces souvenirs « personnels » partagés avec des lecteurs, des inconnus altpyens, le tout écrit avec simplicité (…et quelques fautes!), ont le goût des desserts savoureux, fruits d’une mémoire que nos sens conservent et parfois retrouvent : le goût de la vie.
Même si souvent retourner dans des lieux où nous étions allés, plus jeunes, ne ressemblent plus aux souvenirs que nous en avions. En l’occurrence ici, le lieu, la maison, le lit ,(…le rond de pierre?) sont visiblement restés plus ou moins intacts dans cette évocation : une chance !
Une chance et beaucoup de plaisir, donc.
Désolé de rompre la poésie, la sentimentalité, l’incontournable plaisir des desserts savoureux que je sais, moi aussi, apprécier sans modération, mais ce texte émouvant n’aurait pas été possible sans une autre chance qui elle, est biologique. Remercions la sélection naturelle d’avoir retenu, pendant ces millions d’années passées, l’intérêt de conserver » l’hippocampe » au cours de l’évolution!
Le misérable matérialiste de service.
@GV : cet hippocampe m’en rappelle un autre. Lors d’un voyage scolaire au musée de la mer à Biarritz (fin des années soixante ?), j’avais rapporté en souvenir un petit hippocampe moulé dans de la résine plus ou moins transparente (fausse ambre). Avec le temps, je l’ai bien sûr égaré, et il était sorti de ma mémoire. Alzheimer me guette… Je comprends, par votre réflexion, pourquoi il me manque quelques cases dans mon vécu et dans mon approche du monde.
Ce qui n’empêche pas que vous soyiez un misérable matérialiste de service !
A lire tous vos textes, vous n’avez pas de soucis à vous faire, Alzheimer ne vous guette pas!
De plus, le fait d’avoir conscience qu’il y a des cases manquantes dans le vécu, c’est un renforcement pour cette affirmation, car les personnes atteintes de cette pathologie n’ont pas conscience de la perte de leur mémoire.
Je serais, par contre, moins affirmatif en ce qui concerne nos hommes politiques; ils ont largement tendance, dans leurs propos, à laisser penser qu’ils ont oublié ce qu’ils promettaient ou soutenaient peu de temps avant !!!!