Pyrénées : Amour maternel
Le randonneur, dans les Pyrénées, a souvent des moments rares sous les yeux. Un lever de soleil exceptionnel, un point de vue d’une grande beauté, des contrastes de couleur inspirants, des rencontres avec les animaux, domestiques ou sauvages, aux moment les plus inattendus.
C’est dans le massif de Gavarnie, aux Espécières, que se passe la scène. Ensemble, moutons, blondes d’Aquitaine et vautours fauves ont décidé de jouer une pièce de théâtre sobre, silencieuse, respectueuse et dramatique au final. C’est à celui qui intimidera le plus l’autre…
Le jeune veau vient de mourir. Il est allongé sur l’estive. Déjà près de 60 vautours sont posés tout autour. Seul, cinq ou six s’approchent. Des vieux mâles dominants probablement. Ils se préparent à dépecer la pauvre bête. Il leur faut d’abord déterminer, par des danses d’intimidation, à qui reviendra l’honneur de démarrer la curée. La plupart, sachant que cela est peine perdue pour eux, sont en retrait, aux loges des spectateurs.
A ce moment là, un premier mouton, suivi d’autres, approche du veau mort. Ils n’ont pas peur des vautours et viennent se positionner à 5 ou 10 centimètres de leur bec. Pas de cris, pas de mouvement brusque. Les vautours interloqués font face aux moutons et arrêtent net la sale besogne de dépeçage qu’ils s’apprêtaient à entreprendre.
Arrive à ce moment-là une première vache, suivie d’une autre et, de tout un troupeau pour finir. Majestueuses, elles se dirigent lentement vers les moutons et vautours qui se font face à face.
Devant une telle « pression », calme et contenue, les vautours reculent de quelques mètres. Pas plus.
Sort alors du troupeau de vaches, une d’entre-elle qui va se positionner juste au-dessus du veau décédé. De ses 4 pattes, elle l’isole totalement, baisse la tête et fait face aux vautours. A nouveau, tout dans l’intimidation. Pas de geste dérangeant, pas de meuglement intempestif.
Le reste des animaux observent la scène tragique – bipèdes randonneurs compris ! -. La Mère vient rendre un dernier hommage à son enfant. Déjà, les autres vaches et moutons s’en retournent.
Les vautours attendent calmement que la Mère accepte le sort réservé à son petit. Ils savent qu’elle finira par « lâcher prise ». Ils sont patients. Terriblement patients.
La montagne, c’est aussi cela…
– par Bernard Boutin
PS : Voir ci-dessous deux diaporamas :
– Un du « festin inachevé »
– Un de la randonnée du jour au pic du Taillon, situé au Cirque de Gavarnie, au dessus des Espécières.
Crédit photo : Bernard Boutin et Mariano, le « Roi du Topo » (plus de 500 à ce jour sur la chaine pyrénéenne) dont on peut admirer d’autres photos de vautours prises au Bénou ainsi qu’un précédent topo en ligne au Taillon.
Ha si nos hommes politiques avaient l’appétit et la curiosité de dévorer les Topos de Mariano, et l’intelligence humble de modéliser leurs comportements sur ceux des animaux que vous décrivez…mais je m’aperçois que je déraille… car la plaine serait alors tout simplement en montagne.
Merci pour cet article rafraichissant qui a donné lieu à de très beaux commentaires.
J’ai apprécié cet article qui, effectivement, change des rationalités habituelles. Mais la réalité décrite est complexe comme l’exprime d’ailleurs les commentaires.
On peut y voir la chaine alimentaire avec la complémentarité des fonctions assurées par différents acteurs.
Mais on peut aussi discerner le rôle de l’homme. Il est auteur de la présence des animaux domestiques. Il est aussi spectateur lorsqu’il se promène en montagne, voire acteur s’il est présent en trop grand nombre (cf. commentaire sur les toilettes).
Les scènes décrites représentent un équilibre fragile.
La nature recèle et délivre ses secrets à ceux qui, motivés, savent être patients et observateurs; des qualités qui se perdent; Bernard est de ceux-là; il nous le prouve dans cette très belle et très émouvante description.
La surprise et l’enthousiasme, l’émotion même, s’amplifient quand on pénètre dans l’intimité des milieux naturels(les écosystèmes). On s’aperçoit alors que, du plus petit être vivant unicellulaire, invisible à l’oeil nu, au gros vertébré ruminant ou pas, herbivore, carnivore ou charognard, c’est une collaboration, une entraide permanente par échanges et interactions qui se succèdent pour le bien de chacun et l’intérêt de tous.
Tous les acteurs présents de la montagne, animaux comme végétaux, assurent une économie circulaire où chaque participant trouve son nécessaire vital et fournit le nécessaire vital aux autres maillons de la chaîne, sans aucune hiérarchie ni jugement de valeur. La prétention humaine a jugé dégradant de copier la nature; elle pensait être plus » intelligente » que la nature qui l’a créé?
Anne illustre, avec raison, l’importance des vautours; malgré les conditions difficilement soutenables de leurs activités, ils sont un maillon capital de l’équilibre de la vie en montagne; un maillon seulement, car ils s’intègrent dans toute une chaîne, ignorée par la plupart des gens, où se succèdent, dans un ordre immuable, la transformation, progressive et ordonnée, du cadavre, en sels minéraux utilisés par les plantes broutées par les troupeaux . De très nombreux insectes aux actions spécifiques, des microorganismes, des champignons….., se succèdent. N’oublions pas aussi le rôle spécifique du Gypaète barbu casseur d’os, du Percnoptère….
Même si l’observation de toutes ces étapes nécessite beaucoup de temps, de persévérance et provoque beaucoup moins d’émotion spontanée que l’observation de Bernard, l’admiration à posteriori est immense devant l’enchaînement, dans la nature, des échanges, des actions, du partage des tâches, de l’ordre, de la rigueur, de l’équilibre, de l’efficacité…. on ne peut pas rester indifférent devant cette réussite qui perdure depuis des millénaires et qui a permis notre avènement et notre épanouissement sur la planète.
On peut vraiment se demander, après cela, si ce qui manque à l’homme, ce n’est pas de l’humanité mais de l’animalité!
Le Taillon par la Brèche de Roland. La rando n°1 des Pyrénées… Le point sublime. (le Vignemale également). A mon goût, le plus bel endroit est le cirque du Taillon, pourtant relativement peu renommé. Tout cela perdant tragiquement de sa beauté à cause de la disparition des glaciers.
Mais la grande honte, dans ce cadre vraiment exceptionnel, ce sont les odeurs d’urine en arrivant au refuge, l’aspect extérieur du refuge, l’affreux tuyau noir qui descend de la brèche jusqu’au refuge. Evidemment, les crapules qui nous gouvernent s’en fichent (et c’est pas faute de leur avoir signalé).
« Evidemment, les crapules qui nous gouvernent s’en fichent (et c’est pas faute de leur avoir signalé). »
Merci de rappeler que les élus doivent aussi s’occuper de la propreté des vespasiennes des refuges de montagne; je pensais que c’était le problème des gestionnaires du refuge.
Juste un bémol : ce que vous appelez « sale besogne de dépeçage » est en fait un boulot indispensable et bénévole d’équarrissage. Sans les vautours, véritable cul-de-sac épidémiologique, plus d’eau potable dans les estives par exemple…
Voir pour plus d’explications le texte de JF Terrasse LPO http://www.sepansobearn.org/spip.php?article163
ou les trois articles de JP Choisy, spécialiste vautour à l’UICN http://www.sepansobearn.org/spip.php?article198
Merci pour ce commentaire. Vous avez tout à fait raison de rappeler l’importance du boulot réalisé par les vautours.
Je voudrai revenir sur cette « séquence ». Nous avons été très, très étonnés de voir des moutons venir tranquillement se positionner « nez-à-nez » avec les vautours contraignant ceux-ci à reculer (temporairement) de quelques mètres. Il n’y avait pas 10 cms d’écart entre un « museau » de mouton et un bec de vautours.
Autre constatations : Alors que les medias locaux laissent imaginer de temps à autre que les vautours puisse attaquer des animaux vivants, nous n’avons décelé aucune animosité de la part de ceux-ci envers les moutons. Ils n’attendaient que patiemment de pouvoir entreprendre leur travail de nettoyage.
Quant aux moutons, bel et bien vivants, ils ne craignaient rien des vautours.
Un plein d’enseignements lors de cette « séquence ».
Le parc national édite des petits livres très bien faits sur la faune des Pyrénées. Dans celui consacré au vautour on apprend par exemple que contrairement aux aigles et autres rapaces prédateurs, les vautours n’ont aucune force dans leurs serres, ce qui les rend incapables de maîtriser une éventuelle proie qui se débat. Je suppose que les moutons « savent » qu’ils ne craignent rien face aux vautours.
http://www.parc-pyrenees.com/boutique/faune-flore-geologie/51-les-vautours-le-carnet-de-la-huppe.html
Merci Bernard pour cet article, tu sais combien cela m’agace de lire parfois l’attaque des vautours sur le vivant ! Quant à emporte un animal dans les serres… comme cela a été dit, il n’en n’a pas, ce n’est pas un aigle. Certains journalistes se sont fait bousculer par des vétérinaires expliquant que les vautours n’attaquaient pas le vivant. Mais comme toute fausse rumeur, cela refait surface régulièrement…
Des images magnifiques… des scènes à faire rêver tous les cinéastes animalier et même les autres… et tout près de chez nous !
Lecteurs d’AltPy faites comme moi, transférez cet article à tous ceux qui aiment nos Pyrénées !
C’est toujours magique, vraiment !
Ces articles consacrés à la (haute) montagne que signe Bernard Boutin vont bientôt trouver un pseudo plus adéquat pour leur auteur : Bernard Bouquetin, des Pyrénées!