Été temps d’exode.
Juin, premier mois de l’été, début des vacances. C’est aussi celui des exodes. Les français partent vers le soleil, d’autres, travaillant en France, vont retrouver leur pays d’origine. Sur les routes ce sera l’exode. Temps de repos, de retrouvailles, d’oubli aussi des tracas quotidiens. Pourtant depuis l’antiquité l’exode n’a jamais été synonyme de fête. Et l’actualité nous en apporte, hélas le témoignage. Mais l’exode le plus dur est celui qu’on n’a ni voulu, ni souhaité. C’est celui que la violence impose, comme celui que vivent des femmes et des hommes de paix, chrétiens d’Orient ou d’ailleurs.
Certains, parmi nous, en ont vécu un dont les plaies ne cicatriseront jamais. Mais, hormis eux, qui s’en souvient ? Et pourtant en ce mois de juin 1962, une vague de harkis et d’européens déferla sur les côtes du sud de la France.
Mais que venaient-ils donc envahir le pays ces colons, ces fascistes, ces profiteurs, exploiteurs d’algériens. Ils n’avaient qu’à rester chez eux. C’est bien ce qu’ils auraient voulu mais entre la valise et le cercueil, ils ont préféré la vie que d’autres ont perdue dans les rues d’Oran le 5 juillet 1962 sans que l’armée française, encore présente sur le territoire nouvellement indépendant, ne les défende.
Et c’est ainsi que Gaston DEFFERRE, alors maire de Marseille, homme généreux puisque socialiste, leur suggéra d’aller « se réadapter ailleurs ». Oui, mais où et comment ? La plupart arrivaient avec deux valises, de jeunes enfants dans les bras, ne connaissant personne, complètement hébétés, n’ayant jamais traversé la Méditerranée ; ils n’y avaient jamais pensé et n’en avaient pas eu les moyens.
Ils venaient de perdre leur domicile, parfois leur maison, mais aussi leurs voisins, leurs proches, partis avant ou restés la-bas.
Ils n’étaient pas les bienvenus. Et pourtant, ils parlaient le français, obéissaient aux instructions qu’on leur donnait, étaient vêtus comme ceux qu’ils venaient » envahir « . On les baptisa « Pieds Noirs ».
Ils ne savaient ni où ils dormiraient, ni où ils prendraient un repas, ni ce qu’ils allaient devenir. Lors de leur débarquement, des enfants, des adultes aussi, pleuraient. Il y eut bien des âmes charitables, essentiellement chrétiennes, pour les accueillir, mais bien trop peu car le gouvernement n’avait pas prévu ce raz-de-marée.
En fait, ils venaient de France, ils se trouvaient en France, ils étaient français mais d’autres français n’en voulaient pas.
Les dockers marseillais, tous cégétistes, leur souhaitaient la bienvenue avec des pancartes » Pieds Noirs, rentrez chez vous » ou mieux » les Pieds Noirs à la mer « .
Le temps a passé et ces chassés de leur terre natale ont montré leur capacité à s’adapter à un autre climat, à d’autres voisins, voire à une nouvelle activité professionnelle.
Pour eux, il ne fut pas question de regroupement familial. Des fratries ont été séparées, des familles éclatées…et ils n’ont plus revu, sauf exception, la terre de leurs premiers pas.
Et voilà que nous connaissons de nouveaux exodes avec ces malheureux migrants fuyant leur pays soit dans l’espoir d’une vie matérielle meilleure, soit tout simplement pour ne pas y laisser leur vie. Encore » la valise ou le cercueil « . Même méthode, même objectif et surtout au nom d’un même » philosophie » qui a installé le monde entier dans la terreur. Mais cet exode existe aussi sur notre territoire, dans les zones de non droit que se sont appropriées des voyous que ni les forces de l’ordre, ni les tribunaux ne sont parvenus à éradiquer avec les moyens aussi traditionnels qu’inefficaces. Peut-être en viendra-t-on à bout de tous ces semeurs de mort, mais il faudra accepter de renoncer à l’angélisme qui est l’arme des ennemis de la liberté. Et si notre pays subit une guerre intérieure, notre armée ne peut-elle pas être mise à contribution pour mettre un terme à ces exodes.
A une époque où l’année est jalonnée de journées internationales diverses, de la gay pride à celle du yoga, serait- il incongru d’imaginer » la journée des exodes »? Histoire de nous rappeler qu’ils naissent toujours d’une terreur qu’il faut combattre sans relâche.
Pierre ESPOSITO
Ancien bâtonnier du barreau de PAU.