Le bassin du Luy de Béarn I : La D 945 vecteur de l’étalement urbain
La partie du bassin du Luy de Béarn située au Nord-Ouest de l’agglomération paloise et au Nord du bassin industriel de Lacq compte plus de 10.000 habitants. Cette zone est caractéristique du phénomène d’étalement urbain dont la D 945 (dite de Lescar à Sault de Navailles) a été un vecteur essentiel.
La dispersion de l’habitat et des activités accompagne l’accroissement de la mobilité. La vision d’une mobilité essentiellement interurbaine prévaut toujours alors qu’elle est essentiellement locale et qu’elle ne cesse d’évoluer.
La D 945 (dite de Lescar à Sault de Navailles) parcourt le plateau de la rive gauche du Luy de Béarn (également nommé « Pont-Long » ou « Ger »), vestige d’un ancien lit du Gave orienté vers Dax.
Elle est issue du programme routier de l’intendance d’Etigny (voir plan ci-après) défini au XVIIIe siècle.
Ce programme avait pour but de faciliter les échanges en accompagnement d’un plan de modernisation de l’économie pour que la Gascogne participe à l’essor économique qui caractérise cette période. La réalisation de la D 945 s’est achevée courant XIXe.
Dans les années 1960, la lande et les pins ont cédé la place à des champs de maïs. Le drainage et le chaulage ont permis la mise en culture des terres noires du plateau. L’activité le long de la D 945 se résume toujours à la présence de silos de collecte de maïs.
Vue du silo des Ets Lacadée à Boumourt
Compte tenu de la décroissance continue de la population locale au XIXe et durant la première moitié du XXe, on peut observer que l’aboutissement de ce programme d’aménagement routier accompagne davantage un accroissement de la productivité qu’un accroissement des facteurs de production. Cette relation entre infrastructures de transport et croissance économique est toujours d’actualité.
Jusqu’aux années 1970/1980, la D 945 était peu empruntée, contrairement à la D 933 (dite d’Orthez à Mont de Marsan) entre Orthez et Sault de Navailles par exemple.
Représentation actuelle des voies routières, extraite de Viamichelin.
(A noter la cohérence avec la situation des années 1970/80).
Au milieu des années 1960, lorsque j’étais lycéen puis étudiant, j’avais coutume de faire de l’auto-stop sur cette route pour rentrer depuis Orthez puis Pau. Sur la D933, la prise en charge était rapide. Par contre sur la D945, je devais attendre de longues demi- heures sur le bord de la route l’arrivée d’un véhicule, le plus souvent en m’avançant vers la maison familiale. Ainsi, pour les derniers kilomètres, je prenais systématiquement des chemins de traverse qui m’amenaient à traverser le Luy sur des passerelles en bois alors existantes.
A partir des années 1980, la D 945 a été un vecteur de l’étalement urbain sur tout ce territoire. Actuellement le trafic routier est équivalent à celui de l’axe historique Sault de Navailles- Orthez (D 933), ce qui n’apparaît pas sur les représentations type IGN, Googlemaps ou Michelin. Non seulement l’équivalence en terme de trafic n’est pas reprise mais en plus les voies secondaires ne sont pas différenciées.
Sur la D 945 le trafic (tracteurs non compris…) est d’~9.000 véhicules/jour à Lescar (porte de la rocade de Pau). Entre Mazerolles et Sault de Navailles, le trafic est d’~4.500 véhicules/jour. Le trafic poids-lourds y est même supérieur à celui de la D 933 car la D 945 dessert le bassin du Luy de Béarn mais aussi le bassin industriel de Lacq via Arthez de Béarn (D 31).
En revanche, le « règlement de voirie départementale » classe la D 945 et la D 933 comme routes de 2ième catégorie. La D 933 est devenue ainsi que la D31, un élément majeur du maillage routier local.
Carte assemblée à partir de : Règlement_de_Voirie_CG64__DEC2014BDef
Cet assemblage de cartes indique que les routes de 1ère et 2ème catégories dessinent un réseau dense avec une taille de mailles à l’échelle des trajets locaux (y compris Poids-Lourds).
En règle générale et contrairement à ce que l’on aurait tendance à penser, le trafic local, y compris des marchandises et des Poids-Lourds, est majoritaire et les longueurs de trajets sont relativement courtes. Le transit Longue Distance est bien inférieur au trafic local, sauf dans les zones de transit.
Ce réseau local hiérarchise finement les niveaux de déplacements alors que les représentations IGN, Googlemaps ou Michelin privilégient toujours les liaisons interurbaines. Une amélioration opiniâtre du réseau départemental de 1ère et 2ème catégorie aurait répondu à l’essentiel des déplacements (y compris interurbains) et aurait pu constituer une priorité. Mais la représentation type Viamichelin est encore ancrée dans les esprits du public et des décideurs. La priorité est toujours à l’aménagement de liaisons interurbaines sans rechercher à maîtriser l’effet des liaisons routières sur l’étalement urbain ainsi que sur l’urbanisation des bourgs locaux. Une « inversion du regard » serait utile.
A Sault de Navailles, le positionnement, il y a moins de 10 ans, de la déviation au Nord-Ouest du village est cohérent avec la priorité donnée à une liaison interurbaine Orthez- Mont de Marsan. Le classement départemental selon les catégories correspondant à la réalité du trafic ainsi qu’une vision d’une urbanisation non fonctionnelle du bourg, auraient justifié un positionnement côté Sud-Est.
A Lacadée, l’aménagement d’une limitation de vitesse à 50 km/h sur ~1,3 km de la traversée non urbanisée du village n’aurait certainement pas été autorisé pour une voie interurbaine de trafic et de configuration équivalents.
A Arthez de Béarn, la D 31 est considérée comme la déviation d’Orthez pour le trafic entre Lacq (et amont) et Mont-de Marsan. Prolonger la réalisation du barreau centre d’Orthez (en phase de démarrage) par une voie rapide vers la 2X2 voies existante, Saint Sever–Mont de Marsan, serait une priorité, même à Arthez de Béarn. Pourtant, l’aménagement de la D 31 dans la traversée d’Arthez de Béarn pourrait l’être davantage, notamment pour permettre un aménagement urbain de la place centrale et constituer une alternative au choix actuel d’un urbanisme strictement fonctionnel.
De plus, à l’horizon 2025, la mobilité aura évolué. Aux travaux de voirie devrait maintenant s’ajouter le déploiement des « Systèmes de Transport Intelligents » à bord des véhicules et le long des voies de circulation.
La voiture sera davantage considérée comme outil de mobilité « intelligente » (« smart mobility ») que comme outil de transport.
Les «applications » indiqueront en temps réel comment arbitrer les différentes situations de la mobilité. Avec la prééminence de la technologie, de l’urbanistique et du numérique, le temps de transport ne sera plus un temps perdu mais un temps actif.
Le débat local sur la mobilité parait basé sur des visions de la mobilité des années 1980 (le « toujours plus vite, toujours plus loin » du « tout automobile »). Il ne paraît pas prendre en compte suffisamment les évolutions qui sont en train de se mettre en place alors que les suivantes sont déjà identifiées.
Ces évolutions suivantes ne considéreront plus la mobilité comme un déplacement physique d’un lieu à un autre. Elles considèreront que tout est mobile, ce qui est certainement encore abstrait pour la génération du « toujours plus vite, toujours plus loin » ; c’est-à-dire la mienne.
– par Larouture
Cet article reprend, en partie, une publication du 12 Novembre 2012 : « Regard sur l’urbanisation en périphérie lointaine de Pau » dans Alternatives Paloises. Il sert d’introduction à une présentation ultérieure des centralités (à défaut de villes) qui encadrent le bassin Luy de Béarn desservi par la D 945 et qui restent forcément accrochées au modèle du « tout automobile » :
Mazerolles (1.030 habitants) qui se situe à la limite de l’influence de l’agglomération paloise.
Morlanne (595 habitants) qui ne dépasse pas le stade de centralité historique.
Arthez de Béarn (1.835 habitants) qui est à la recherche d’un équilibre entre le bassin du Gave (Lacq) et le bassin du Luy.
Sault-de Navailles (844 habitants) qui, au carrefour de plusieurs bassins d’emploi, aspire encore à un destin de centralité.
(à suivre…)
Quelques références :
– Gilbert Sourbadère ; Le terre et les hommes en Gascogne ; Collection « Gascogne Insolite » ; Publication Chambre d’Agriculture du Gers ; 2001
– Michel Didier et Rémy Prud’homme ; Infrastructures de transport, mobilité et croissance, La documentation française ; 2007
– http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/transports/r/route.html? Ou « SOeS enquête TRM »
– Larouture ; L’urbanisation de Lacadée et la D 945 dite de « Lescar à Sault de Navailles ». http://alternatives-pyrenees.com/; 15 mai 2015
– Fondation PSA Peugeot Citroën, France Nature Environnement, Keolis et Mobivia Groupe ; La juste place de la voiture dans la mobilité de demain ; Septembre 2014
– Masboungi Ariella (sous la direction de) ; Ville et voiture ; Editions parenthèses ; 2015
– Christophe Barge et Thierry Solère ; La ville de demain ; Cherche midi ; 2014
Félicitations. Je suis comme M. Vallet says. Il faut nous en dire plus sur cette évolution soi-disant « intelligente ». Pourquoi tant de limitations de vitesse sur la D945 alors que vers les Landes elles sont pratiquement inexistantes ?
Merci infiniment pour ce travail qui sort des lamentations habituelles. Une mise au point de l’évolution historique de cette région qui ne me laisse vraiment pas indifférent; la D945, je l’emprunte toute les semaines ou presque depuis mon arrivée à Pau en 1976; le secteur Amou, Pomarez,Castel Sarrazin…est le berceau « génétique » familial.
Un doute a du mal à s’évacuer, celui de cette « évolution »intelligente » du futur! J’aimerais en savoir plus; pour moi, une évolution intelligente irait « toujours moins vite et moins loin »! Si c’est le cas, je crois qu’il passera encore beaucoup d’eau sous le plot d’Amou!
Félicitation encore.
Article documenté à lire tranquillement, car un peu long quand on le parcourt d’un seul trait. Du bon travail. Bravo !