Grâce présidentielle et légitime défense.
Devant une mobilisation populaire d’une importance sans doute jamais atteinte, surtout dans un laps de temps relativement bref, le Président de la République a usé d’un droit que lui confère la constitution, en accordant à Madame Sauvage, après avoir consulté les services ministériels compétents, une remise partielle de sa condamnation pour lui permettre de recouvrer prématurément sa liberté.
Ce qui interpelle sans doute le profane est la condamnation de Madame Sauvage par deux cours d’assises. Comment des jurés (six en première instance, neuf en appel) n’ont-ils pas été sensibles à son calvaire, aux viols de ses filles par leur père, au suicide de son fils la veille du jour où elle a supprimé son mari ?
Ce fut aussi le cas quand, après un acquittement par la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques, le docteur Bonnemaison fut condamné en appel par une autre cour d’assises.
La raison en est que depuis une réforme récente, les décisions des cours d’assises doivent être motivées, qu’elles condamnent ou qu’elles acquittent.
Ainsi, alors qu’auparavant un acquittement pouvait être prononcé sans aucune justification, il est maintenant enfermé dans une règle de droit.
Outre au bénéfice du doute, l’accusé peut être acquitté s’il est déclaré innocent, atteint de troubles mentaux le rendant irresponsable ou s’il a agi en légitime défense.
Et c’est cette notion qui fait débat, car pour être cause d’irresponsabilité, la légitime défense s’entend d’un acte accompli pour la défense de soi-même ou d’autrui devant une atteinte injustifiée, sauf disproportion entre les moyens employés et la gravité de l’agression.
Tout ce qui a été dit ou écrit sur le cas de Madame Sauvage peut expliquer la mobilisation pour sa libération, mais en l’état actuel de notre droit, le fait d’avoir abattu son mari alors qu’il lui tournait le dos ne pouvait conduire à son acquittement.
Néanmoins, ce fait divers, où le droit peut être en conflit avec une opinion publique sans doute majoritaire, conduit à en appeler au législateur pour une conception plus large de la légitime défense. Ce devrait être le nouveau combat de ceux qui ont milité pour la grâce de Madame Sauvage.
Pierre ESPOSITO
Avocat honoraire
En réponse à Georges Vallet.
Vous savez il s’agit d’un problème bien plus compliqué qu’on ne peut l’imaginer. Souvent, l’entourage, les travailleur sociaux, la famille et même les médecins savent que ces violences conjugales existent, mais personne ne veut parler. Même plus, la police, la gendarmerie n’incitent pas à déposer plainte se contentant d’une main courante.
A ce propos je vous renvoie vers l’émission « C dans l’air » d’hier 1 février 2016 où Mme Bernard, que j’ai bien connue lorsqu’elle était substitut du procureur de Nanterre entre 1986 et 1989 était invitée. Elle a dit à ce sujet des violences conjugales des choses très pertinentes.
En droit, il n’est pas besoin qu’une plainte soit déposée pour que l’action publique se déclenche de même qu’un retrait de plainte n’éteint pas cette même action publique.
Souvent les raisons qui font que la victime ne dépose pas plainte sont nombreuses et la principale est le fait que l’homme (le presque toujours auteur) est celui qui, par son salaire, fait vivre la famille. Il y aussi la peur des représailles qui ne sont pas exceptionnelles. En effet pour des raisons de survie matérielle de la famille les peines prononcées sont généralement relativement légères en tout car en regard de ce qui est risqué selon les termes de la loi. Ce qui fait que le mari revient après l’incarcération au domicile conjugal. Et enfin une raison sentimentale difficile à comprendre mais réelle.
J’ai même rencontré des médecins, psychiatres, de surcroît, considérer que les violences au sein d’un couple entraient dans la normalité. Eh oui ! ils considéraient que c’était un mode de fonctionnement du couple, comme un autre. Alors…
Ayant appartenu au plan national à un organe de réflexion sur les « violences conjugales » en raison de ma profession, je pourrai développer davantage mais ce n’est pas vraiment le but du forum.
Merci beaucoup pour votre réponse, j’ai écouté C dans l’air moi aussi avec beaucoup d’intérêt et en particulier Mme Bernard qui participe souvent à cette émission dès qu’il est question d’un sujet concernant la justice. Je la trouve toujours très claire, posée et convaincante.
Je comprends donc très bien ses propos et les vôtres mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est vraiment désolant d’imaginer que certains considèrent que les violences conjugales puissent être considérées comme la normalité!!!
j’ai également regardé cette émission, qui était assez pleine et rendait assez compréhensibles les tenants aboutissants, et nombre aspects d’un côté de ceux qui marchent aux sentiments (400000 pétitionnaires) et ceux qui marchent au Droit. Pour une fois, cet article de notre avocat honoraire tendance FN ne me hérisse pas. Mais j’espère m’en remettre ! Tchuss !
Ne soyons pas naîf. M. Esposito utilise le cas de Mme Sauvage comme un prétexte. Ce qui donne son véritable sens à son article en est la conclusion, à savoir une plaidoirie pour une « conception plus large de de la légitime défense ».
M. Esposito tente en fait sournoisement d’utiliser le cas dramatique de Mme Sauvage pour justifier la doctrine du FN en la matière, à savoir, entre autre, permettre aux citoyens de s’armer librement, de se regrouper en milices de quartier et de rendre justice eux-mêmes, impunément.
Tout est bon pour développer un climat de peur et de haine.
Tout démocrate ne peut que s’opposer à ces idées dangereuses pour l’Etat de droit.
je sais bien que derrière la porte se cache le loup. Alors, un petit bonhomme qui ne passe pas sur les radios, pour le plaisir d’une légitime défonce :
https://www.youtube.com/watch?v=IbDOGc0ALTA
tiens, remettez-nous ça, patron :
https://www.youtube.com/watch?v=TDFJ2DNQFBQ
Merci pour le cadeau
La grâce présidentielle est une prérogative détestable qui entre en contradiction avec le principe de la séparation des pouvoirs. Le président n’est pas un monarque.
Il existe une troisième exigence pour que les conditions de la légitime défense soient réunies, c’est l’immédiateté de l’attaque. Sinon la vengeance pourrait être prise en considération.
D’autre part les avocates, selon ce que je sais, ont plaidé la légitime défense alors que les conditions du geste démontraient la vengeance. Tout le monde s’accorde à dire qu’elles auraient dû plaider la compassion.
Ce qui me semble vraiment incroyable, bien que des arguments explicatifs puissent être donnés, je le sais, c’est que pendant ce long calvaire et le suicide, la veille, du fils, ce que j’ignorais car on n’en parle pas, il n’y ait pas eu, soit dépôt de plainte de sa part, soit de la part de tiers, car bien des gens étaient au courant (elle ne consultait jamais un médecin pour elle et ses enfants, l’école ne savait rien non plus?). La honte d’un côté, la peur des conséquences de l’autre, peuvent-ils justifier une telle lâcheté?