Debout la nuit et en marche
Le premier mot d’ordre ne peut plaire à tout le monde : beaucoup d’entre nous ont besoin de sommeil. Quant au second, on peut se demander vers quoi la marche est supposée se diriger. Ce n’est pas précisé dans les déclarations d’Emmanuel Macron qui est plus disert sur ses proclamations de fidélité à la gauche et à François Hollande. Peut-être sent-il le besoin de convaincre sur ce point. Mais on peut supposer que ses initiatives laissent présager une voie fort libérale, plus soutenue par le monde de l’entreprise que par le monde du travail.
Cependant, chacun de ces mouvements reflète un sentiment diffus de rejet de la situation actuelle, ou au moins de critique profonde de l’organisation de la société. L’ennui est que ces deux critiques vont dans des sens différents et que leurs appuis ne représentent pour le moment qu’une part minime du corps électoral, même s’ils peuvent jouir de sympathies. Ils constituent donc plus des frémissements que des mouvements. Cependant, des expériences passées comme la révolte de mai 68 ou Podemos montrent que des courants ascendants peuvent faire monter l’emprise sur l’opinion.
Il faut tout de même ajouter que mai 68 a donné lieu à un vote record pour la droite aux élections du mois suivant. Cependant, la vague a laissé des traces : il est difficile d’imaginer aujourd’hui ce qu’était la société française avant 1968, engoncée qu’elle était dans une rigidité qui s’alliait bien avec les vieillards au pouvoir. De sorte que les appels au modernisme de M. Macron et les aspirations à une société plus juste, plus humaine des veilleurs de la nuit laisseront peut-être des traces palpables. Les uns et les autres rejettent le carriérisme des hommes politiques, le cumul des mandats dans le temps et dans les fonctions. Mais cela suffira-t-il à faire changer les choses ?
Séduire les lecteurs du Financial Times pour l’un, agiter les mains comme des marionnettes pour approuver une résolution ou mouliner ses avant-bras pour montrer son souhait de passer à autre chose est peut-être novateur et sympathique. Mais les forces à l’œuvre dans le monde, celles des multinationales notamment, ne bougeront pas avec de simples pratiques de ce genre.
Lorsque je considère ces deux mouvements, je ne ne peux m’empêcher de penser au livre « L’homme qui parle » de Mario Vargas Llosa. Une étude quasi ethnographique du peuple machiguenga de la forêt amazonienne, qui se met en marche pour arrêter le soleil dans sa chute, tandis que les tronçonneuses détruisent la forêt pour que les surfaces dédiées aux tourteaux de soja nous parviennent en quantités toujours plus grandes.
Paul Itaulog