Compromis : un mot méconnu en français

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imagesL’histoire de la France moderne a marqué profondément les corps sociaux dans le sens d’une opposition résolue refusant de considérer un point de vue contraire à ses propres convictions. Les guerres de religion, la révocation de l’Édit de Nantes, la Révolution ont été des moments décisifs établissant la préférence de la force sur la conciliation.

La situation politique relative à la loi travail suit une telle pente. On ne saurait considérer l’accord sur le défilé autour du bassin de l’Arsenal à Paris comme autre chose d’un avatar visant à limiter les débordements nuisibles aux deux parties, syndicats et gouvernement. Avatar résultant d’ailleurs d’une position de force.

Est-ce à dire que sur le sujet de la loi régissant le travail il n’y a pas de compromis possible ? Notre pays manquerait-il de conseillers, de membres de cabinets ministériels, de spécialistes des questions sociales ? L’inventif et brillant Emmanuel Macron peut-il ne se soucier en rien des retombées sur l’économie française et continuer à disserter sur les méfaits de l’I.S.F. sur la générosité des classes aisées ? Est-il impossible que les deux parties sortent la tête haute d’un conflit qui dure trop ? Car ce sont travailleurs et électeurs qui souffrent des grèves à répétition. Ainsi, lorsque la Seine a débordé sur les lignes de la SNCF, les syndicats de la RATP ont maintenu la grève qui a paralysé les voies permettant un détournement, au grand dam des voyageurs.

Je ne crois pas à cette impossibilité. Parmi d’autres, voici quelques pistes de sortie de crise. Pour le gouvernement céder en partie sur l’article 2 de la loi serait profitable : accepter que la majoration des heures supplémentaires reste du domaine des accords de branches et supérieur à 25% montrerait que le gouvernement reste fidèle aux orientations de la gauche qui privilégie une réduction de la durée du travail et une meilleure répartition de l’emploi. De quoi se rabibocher un peu avec les frondeurs, ce qui ne serait pas malvenu pour MM. Hollande et Valls. Le patronat pousserait les hauts cris, bien entendu. Mais on pourrait lui rétorquer que le million d’emplois qu’il avait promis en compensation des accords de compétitivité n’a guère été effectif. Et que la mesure pourrait être profitable aux entreprises si elle était assortie de dispositions visant à remplacer l’usage des heures supplémentaires par des emplois de type supplétif qui ne comporteraient pas les contraintes des contrats classiques. Non que les contrats « zéro-heures » britanniques ou les petits boulots germaniques soient des modèles absolus. Mais trouver des moyens de réduire la gangrène du chômage est une absolue nécessité (et dans la ligne de M. Hollande). Assortis de mesures en faveur de la qualification et de l’employabilité, ces « contrats de disponibilité » pourraient être profitables aux chômeurs, malgré la précarité qu’ils instaureraient. Et la flexibilité bénéficiant aux entreprises pourrait être orientée vers un surplus d’activité plus pérenne. L’expérience des pays voisins doit être mise à profit dans un état d’esprit critique mais constructif. On pourrait ainsi imaginer qu’en période de baisse des commandes les entreprises détachent une partie de leurs employés pour assurer la formation des candidats aux contrats de disponibilité, ce qui donnerait un peu de souplesse et orienterait vers l’emploi ceux qui en sont écartés.

La protection des travailleurs doit aussi être nourrie de mesures concernant le travail dans les pays où le coût de la main d’œuvre est bas (le coût du travail dans certains pays comme le Bangladesh représente 0,6% du prix d’un t-shirt, soit le centième de la part revenant au distributeur constate un rapport de l’OCDE). Afin de tenir compte des dépenses d’infrastructures, le coût du transport maritime devrait aussi être réévalué et supporté par les consommateurs plutôt que par les organes publics, et donc les contribuables. Cela permettrait de rééquilibrer un peu les échanges et de lutter contre les distorsions de concurrence. On le voit, le conflit actuel ne peut être considéré sous le seul angle de la rédaction d’articles de loi. Les quelques citations qui suivent visent à inciter au recul et à une réflexion plus large.

 Paul Itaulog

« Qui peut croire sérieusement qu’il suffirait pour sortir la France du marasme économique de supprimer les seuils sociaux, de faire travailler le dimanche, de supprimer le salaire minimum, d’interdire la contestation judiciaire des licenciements et autres recettes miraculeuses présentées au concours Lépine de la déconstruction du droit du travail ? »
Alain Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014)
Fayard, 2015.

« La tendance lourde est celle de la mise en concurrence des droits nationaux et de la « réforme des marchés du travail » dans le sens de leur réactivité et de leur adaptation aux attentes des investisseurs. On ne peut que saluer la performance politique qui a consisté à faire oublier que la crise de 2008 était due aux marchés financiers pour l’imputer aux marchés du travail et aux protections extravagantes dont jouiraient les salariés et les chômeurs dans nos pays. » Idem, p. 348

« Cette évolution reflète certes le nouvel état du rapport des forces politiques et économiques, rapport très défavorable aux travailleurs, en raison de la distorsion entre les libertés collectives (qui demeurent, là où elles sont reconnues, cantonnées aux frontières nationales) et les libertés de circulation internationale des capitaux et des marchandises. Un large consensus s’est établi parmi les partis de gouvernements pour accorder la primauté absolue aux libertés du capital sur celles du travail. La croyance dans les bienfaits de la compétition mondiale a acquis pour eux la valeur d’un dogme. » Ibidem p. 347
« L’Histoire n’assure jamais le triomphe pur et simple d’un contraire sur son contraire : elle dévoile, en se faisant, des issues inimaginables, des synthèses imprévisibles.» Roland Barthes, Mythologies, p. 246, Le Seuil, 1957.

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  • Comment faire accepter qu’avec toutes ces énormes richesses produites depuis des dizaines années, rentabilisées par la production de nouveaux produits développant de nouvelles richesses, la boule de neige produite nécessite, pour continuer à grossir, de diminuer les avancées sociales, c’est-à-dire le partage avec ceux qui y ont participé et qui y participent actuellement?

    • « Comment faire accepter qu’avec toutes ces énormes richesses produites — nécessite, pour continuer à grossir, de diminuer les avancées sociales, c’est-à-dire le partage avec ceux qui y ont participé et qui y participent actuellement? »

      La société a changé. L’activité est segmentée. Les segments sont indépendants et soumis à la concurrence. Le profit est très inégalement réparti entre ces segments. La mobilité est très forte. Il n’y a plus de partage.

      C’est comme ça maintenant et partout dans le monde. Même si cela n’est pas rassurant, il n’est pas sûr que la société qui se prépare ainsi soit plus difficile que l’actuelle ou l’ancienne (c’est-à-dire celle que revendique la CGT, le FN ou le FG).
      D’ailleurs je pense que le futur que vous préconisez s’imposera. Mais la ligne droite n’est pas le plus court chemin d’un point à un autre.

      En attendant, je pense que le futur immédiat verra une accentuation du libéralisme économique dans tous les pays (effet Brexit, populisme). Les ultras, qu’ils soient conservateurs, patriotes, libéraux ou libertaires finissent toujours par s’entendre. Trouver des boucs émissaires autres que l’Europe ne posera aucun problème.
      Vous allez finir par regretter M. Hollande même si on peut lui reprocher de ne pas avoir suffisamment réduit la dette publique.

      Un mot sur le 49/3 critiqué sur ce site (et ailleurs). Le supprimer c’est donner encore un peu plus la clé du pouvoir aux divisions et stratégies politiciennes (voir dernièrement Podemos en Espagne ou les Verts en France).

      • Je partage tout à fait votre analyse; je suis bien conscient que le futur immédiat sera marqué par l’accentuation des inégalités du libéralisme; j’espère, pour nos descendants, que votre prédiction pour le futur, comme vous dîtes, s’imposera.
        D’accord aussi sur les attaques politiques néfastes et nauséabondes vis-à-vis de notre Président. Il a choisi de descendre le torrent impétueux de l’actualité en donnant un coup à droite, un coup à gauche pour conduire le bateau. Je pense aussi, comme actuellement nos « ex amis » britanniques, que beaucoup de citoyens ignorants et irresponsables , regretteront un jour d’avoir voué aux gémonies un homme qui cherchait à ménager, dans la tourmente, le sort des Français.

  • Le compromis? Vous plaisantez je suppose.
    Comment envisager un/des compromis quand le fin du fin (en 2016!) est encore et toujours d’exiger des avancées sociales mais surtout de ne rien rediscuter sur les avantages acquis attribués à certains statuts ou à certaines catégories de la population…

  • Article qui passe complètement à coté de la réalité politique. La CGT ne souhaite pas de compromis, elle prépare ses élections syndicales en ayant choisi une ligne dure pour essayer de contrer les avancées de la CFDT. De plus elle fait front commun politique avec PC Front de Gauche et autres frondeurs pour essayer de faire chuter Hollande.
    Le gouvernement a largement amendé cette loi qui est maintenant totalement inoffensive.
    Quant aux citations elles n’apportent vraiment rien, encore ce gauchiste de Supiot (!) autant citer directement Martinez !

    • Comme Daniel Sango, je suis tenté de rapporter ces manifestation à une simple démonstration de force de la CGT. Il s’agit vraisemblablement d’une lutte pour obtenir le leadership face à la CFDT. Qui va l’emporter aux prochaines élections syndicales ?

      • Ne pensez vous pas que c’est faire beaucoup d’honneur à la CGT et à son influence que de réduire le mouvement social en cours à une simple manoeuvre de ce syndicat?

        La loi travail, qui prend le contrepied des engagements du candidat Hollande a cristallisé contre elle tous les mécontentements, bien au delà de la CGT. Ainsi, il existe aujourd’hui une majorité de Français pour dénoncer le recours au 49-3.

        Si coup de force il y a, j’en ferais plutôt porter la responsabilité à un gouvernement aux abois qui n’a jamais vraiment pris la mesure de la révolte sociale.

        PS: Merci à Paul Itaulog de partager avec nous son point de vue original et intéressant, malgré les imprécations habituelles, agressives et stériles de DS.

        • En fait, je préfère être d’accord avec Laurent Berger qu’avec Emile …et de loin !

          AFP, publié le mardi 28 juin 2016 à 09h29

          Loi travail: un recul du gouvernement serait une « profonde erreur », estime le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger

          Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a estimé mardi, à la veille de rencontres entre organisations syndicales et Manuel Valls, qu’un recul du gouvernement sur le projet de loi travail serait une « profonde erreur ».

          « Je ne crois pas » qu’il s’agisse d’un recul du gouvernement, a dit M. Berger sur France 2 à propos des rencontres prévues mercredi et jeudi à Matignon avec les organisation syndicales et patronales. « On verra demain, mais ce serait une profonde erreur », a-t-il ajouté, en soulignant que la CFDT « serait en travers de la route » si le gouvernement n’allait pas jusqu’au bout sur ce projet de loi contesté depuis quatre mois dans la rue.

          Tout en jugeant « normal » que les syndicats soient reçus, compte tenu des « inquiétudes fortes » qui se sont manifestées, le secrétaire général de la CFDT a affirmé qu’il « considérait que le temps de la discussion a eu lieu » même si « la concertation va jusqu’au moment où la loi est votée ».

          Interrogé sur une éventuelle modification de l’article 2, qui consacre la primauté des accords d’entreprise sur les accords de branche en matière de temps de travail, Laurent Berger a souligné qu' »évidemment », si on touchait à cet article, la CFDT ne soutiendrait plus le texte.

          « Il faut redire que la branche a un rôle important », a-t-il dit. Mais, « s’il y avait un recul du gouvernement sur l’article 2 », la CFDT « serait évidemment vent debout », a insisté son secrétaire général, pour qui il ne peut pas y avoir « de droit de regard a priori, ni même a posteriori de la branche » sur les accords d’entreprise.

    • Daniel, cet article ne traite pas des motivations de la CGT d’une part, du gouvernement d’autre part. Il traite du vivre ensemble dans notre pays.
      Quant à qualifier Alain Supiot que cet article m’a fait découvrir de « gauchiste », alors qu’il est un juriste très qualifié sur la législation du travail, il n’y a qu’à l’extrême droite que l’on peut prétendre cela.

  • Il faut lire: ce n’est pas pas moi qui écris ….! Sinon je vais me faire encore massacrer!!!!

  • Une réjouissante réponse méthodologique aux propos de M. Vallet. Merci.

    • Réponse à M.Vallet? Curieux puisque ce n’est pas moi qui écrit le texte!
      «Tout simplement parce que l’on voit bien qu’ils ne sont pas de vous.»