Rachid

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imagesIl y avait une fois un jeune homme vivant dans le plus beau des châteaux en Paloisie, plutôt mignon, sympa et nommé Rachid. De taille moyenne, les cheveux frisés, il avait le teint mat, l’esprit droit et était pétri de qualités. C’était l’homme le plus doux de la terre et, sans que l’on puisse dire pourquoi, lorsqu’on le regardait on lui donnait le bon Dieu sans confession. Certains avaient même envie de rire tellement sa bonhomie, son air rieur étaient communicatifs. Aussi fréquentait-il tous les milieux et ne connaissait point la solitude. Les événements de Calais le laissaient de marbre et les premiers bus qui en partirent marquèrent peu sa mémoire. 

Dans ses yeux, un peu de folie flottait, mais ils dégageaient une grande intelligence, une confiance certaine en l’avenir. Rachid pensait que le monde était bon, aussi il n’avait pas du tout l’air méfiant. Et, comme son maître, Voltaire, il disait souvent « il faut cultiver son jardin » à qui voulait bien l’entendre, c’était en quelque sorte sa profession de foi. Comme monsieur le baron cultivait ses roses, lui voulait cultiver le bonheur de vivre après avoir longtemps lu les livres de son maître et observé la nature humaine.
Il vivait dans un grand château appartenant au baron de La Rivière-des-Grands-Ducs et surplombant toute la Paloisie sur son roc. Avec ses quatorze fenêtres et ses six portes, c’était assurément le plus beau des châteaux de la région, le mieux décoré et meublé aussi. Il avait appartenu par le passé à un roi, dit-on, et l’empereur des Français lui-même avait couché dans une de ses chambres lorsqu’il était venu ici. Une page glorieuse de son histoire que n’importe quel habitant de Paloisie connaissait.
Rachid aimait tendrement en secret la fille de monsieur le baron de La Rivière-des-Grands-Ducs, il n’osait lui déclarer sa flamme car il était musulman et juste un domestique du château. Nadège était chrétienne, belle, intelligente et riche, bref la femme la plus parfaite et désirable de tout l’univers. Sa peau blanche délicatement veinée de bleu, ses joues rosées, leur duvet enfantin faisaient frémir Rachid à chaque fois qu’il les admirait. Elle était pour lui la rose qui attendait un patient jardinier qui s’occuperait d’elle chaque jour afin qu’elle embellisse jusqu’à devenir plus belle que toutes les roses au diapason de l’univers, la fleur des fleurs.
Timide, lui, n’osait rien lui dire, il n’osait même pas jeter un regard dans ses beaux yeux profonds comme un lac endormi, miroir de sa belle âme. Il la regardait simplement chaque jour comme la fille de monsieur et madame le baron et cela suffisait à son bonheur. Mais un jour Nadège vit par hasard une leçon d’amour fort bien documentée dans Internet ; cela l’émoustilla au plus haut point et lui donna des idées. Elle alla rapidement voir Rachid et prétexta innocemment qu’elle devait l’entretenir sur le champ d’une chose fort intéressante. Lui, naïf, se laissa séduire par le serpent, emmené dans la pièce à côté du salon, prendre par la main et… ce qui devait se passer se passa. Ils reproduisirent la leçon sur les conseils de la belle ingénue, le temps s’arrêta quelques instants voluptueusement sur la Paloisie.
Monsieur le baron passant par là vit la scène. Effrayé, il chassa aussitôt Rachid du paradis terrestre qui leva les yeux au ciel, maudit la création entière en s’enfuyant, courant le plus loin possible. Nadège pleura en silence sur le canapé, pensant à tout le bonheur promis, enfui maintenant. Elle leva aussi les yeux au ciel et vit par la fenêtre un vol de grues en V passant sur le plus beau des châteaux de toute la terre devenant maintenant sa prison dorée. Les montagnes au loin recouvertes d’un manteau blanc étaient pourtant magnifiques, d’un romantisme suranné. Elle sortit son mouchoir des plis de sa robe rouge, écrasa une larme, puis deux, trois, un flot ininterrompu à la fin. Elle pensait qu’un musulman et une petite chrétienne auraient pu faire bon ménage, se marier puis vivre ensemble heureux en Paloisie le reste de leurs jours. C’était sans compter sur ce maudit destin qui sépare toujours les amants qui s’aiment. « Adieu Rachid, que ton nom soit béni, tes jours dorés, tous aussi radieux qu’un champ de blé en été… » dit à haute voix Nadège dans un élan mystique, une prière à un dieu bon, salvateur et si proche.
Rachid marcha, courut à en perdre haleine pour fuir le plus beau des châteaux avec la plus belle des baronnettes à l’intérieur, un ciel bleu, un ciel noir sur sa tête, se rapprochant des montagnes. Grelottant de froid parfois, il se blottissait dans une cabane abandonnée ou une grange, maudissant le jour où elle voulut lui apprendre de savantes choses sur l’amour. Tournant les yeux vers le ciel, il priait, pleurait à chaudes larmes lui aussi pensant à sa belle Nadège endormie au pays des rêves. Calais, les bus, l’adieu à l’Angleterre chérie de ces immigrés, ces images tournaient en boucle dans sa tête… « Il faut cultiver son jardin »  dit-il encore un jour tout haut en pensant à un de ses vieux maîtres et refusant le malheur. « La vie est devant toi, mon petit Rachid, et le monde est grand, immense même, il te faudra le parcourir puis revenir en Paloisie voir la plus belle des baronnettes dans le plus beau des châteaux en Paloisie sous un ciel bleu à couper le souffle. Au loin les montagnes t’appelleront encore mais tu leur résisteras en leur disant juste que, cette fois-ci, tu veux te poser, épouser une fleur, avoir des enfants d’elle et cultiver un peu ton jardin secret. »
Nadège rêvait de Rachid toutes les nuits. Prophète de l’amour, il la prenait dans ses bras, l’emmenait dans une forêt au bord d’un lac puis l’embrassait tendrement. Il caressait ses longs cheveux soyeux couleur d’arbre en lui disant des mots tendres. C’était le bonheur, un rêve aérien de pureté, de douceur absolu. Elle était sûre qu’elle l’aimait maintenant et cette pensée faisait d’elle la femme la plus heureuse de la terre. Quelques instants de tendresse volés à la vie avaient simplement fait voler en éclat leur idylle naissante, ce n’était pas cela qui arrêterait leur histoire devant s’inscrire au firmament du Panthéon des amoureux. Et comme Béatrice ou Juliette, elle aimerait jusqu’au bout son amant, ferait tout pour lui. Ainsi en avait décidé la belle endormie dans son château en cousant ou tissant une tapisserie.
Est-ce le temps ou les pays qui séparent les amants qui s’aiment ? Nul ne le sait mais Rachid parcourut des centaines de lieues tandis que sa dulcinée écrivait des centaines de pages, l’eau coulait sous les ponts et les nuages filaient dans le ciel tels des chars blancs annonciateurs d’événements à venir. Rien ne pouvait les dissuader de penser l’un à l’autre et une sorte de transmission de pensée les unissait constamment dans le bonheur ou le chagrin. Heureux amants ! Loin des yeux, près du cœur… Nadège ressemblait à un petit bonbon appétissant avec des lèvres roses aux baisers acidulés, son teint pâle et ses yeux de biche attiraient immédiatement le regard tellement elle était jolie. Et Rachid ne pouvait oublier son visage, son regard, il en était même amoureux fou. Il imaginait bien pourtant que le très chrétien baron ne permettrait jamais ce mariage entre eux, d’ailleurs a-t-on déjà vu dans la nature un chêne avec un roseau ou un chien avec chat.
« Rose, c’est Rachid qui te parle, aime moi, pense à moi, je reviendrai, ne t’en fais pas mon amour… Moi ton petit arabe adoré, si loin et si près de toi à la fois, nous sommes comme les colonnes d’un temple, nous soutenons le ciel à nous deux…Ne m’oublie pas parce que moi je ne t’oublierai jamais, je parcourrai la terre entière mais à chaque instant, à chaque seconde, je penserai à toi, dirai ton nom, Nadège, comme une prière au ciel. Je vais aller me réfugier en Espagne, il ne me reste que quelques lieux pour passer la frontière et trouver la liberté. Les sbires de monsieur le baron partis certainement à ma poursuite ne me retrouveront pas dans ce grand pays. Adieu Nadège ! Adieu ma rose des jours enfuis ! » Comme à Calais, je vais prendre un bus, contraint et forcé….

Jean-François Le Goff

Crédit photo : plans.le64.fr

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