Sur le chemin de Saint Jacques

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L’actualité n’est guère souriante : nos voisins italiens ont choisi une alliance improbable et périlleuse où les extrêmes vont imposer leur dure loi. De l’autre côté des Pyrénées ce n’est guère mieux une coalition de circonstance remet en selle les indépendantistes catalans ; elle est conduite par celui qui se voulait le champion de l’unité espagnole. Bref les nuages s’amoncellent sur le ciel européen que déjà l’Angleterre a abandonné et dont les pays de l’est torpillent les valeurs. Mais d’autres diront mieux que moi ce climat anxiogène qui encourage l’éloge de la fuite…
Peut-être est-ce la raison qui conduit tant de marcheurs sur les Chemins de Saint Jacques. On les compte désormais par centaines de milliers de tous âges, milieux sociaux et pays ; de tous les continents aussi. Faisons le lit d’une idée reçue : le pèlerinage n’est pas un pèlerinage au sens religieux du mot ou seulement pour une petite minorité de ce flot ininterrompu. Et les marcheurs d’aujourd’hui ne ressemblent en rien à ceux qui les ont précédés, pressés de se rendre sur la tombe de l’apôtre pour expier leurs fautes. Ceux-là se déplaçaient dans un contexte beaucoup plus dur, vêtus de rien, se nourrissant d’aumônes, victimes des brigands et des pandémies en tout genre. Ils tombaient comme des mouches.
Non ! Aujourd’hui, cela n’a plus rien à voir et le « chemin » n’est plus de larmes. C’est une sorte d’aventure sans risque où l’on trouve une solution rapide aux problèmes concrets qui se posent. Ainsi, même s’il y a une course à « l’albergue », refuge nocturne, s’il n’y a pas assez de places et qu’aucune autre possibilité n’existe, le maire du village fera ouvrir la salle des fêtes… Il y a aussi une véritable entraide entre les marcheurs qu’elle soit morale ou même matérielle : « prête moi ta crème solaire je te passe mon sparadrap pour tes ampoules ». Ainsi la marche se fait dans la bonne humeur, la détente, l’effort aussi, la découverte des paysages sauvages parfois et splendides mais surtout la rencontre avec l’autre. C’est peut-être avant tout ce que l’on cherche sur le « camino » : parler –contre toute attente-, échanger, rencontrer…
C’est sans doute un besoin profond de l’être humain que ces rencontres inattendues. Un besoin frustré dans le monde moderne. Certes le téléphone portable a pris une place importante sur le chemin mais il n’est plus une obsession et le soir dans l’albergue ou l’hostal, affamé, en engouffrant le roboratif « menu del peregrino » les échanges sont souvent émouvants, personnels, authentiques, en tous les cas.
Je voudrais évoquer ici les belles rencontres faites en compagnie de mes amis palois : celle de Fred un « ostéopathe intérimaire » de 50 ans venu de Perpignan, sur le chemin depuis 50 jours pour lequel « cela s’imposait » et qui communique chaque dimanche avec sa famille par Facebook. Pour Alain, poissonnier l’essentiel c’est le retour et il se fera à pied. « Pourquoi le « chemin » ? … Il le fallait ». Il n’en dira pas plus mais changera de vie à l’arrivée. Elly vient du Massuchets et elle fait le chemin avec sa classe de biologie. Elle aime parler français, la langue de ma mère. Pas d’angoisses métaphysiques ou religieuses, elle marche comme une flèche malgré une tendinite. Si heureuse de découvrir la vie dans ce qu’elle a de plus vraie. Petite blonde fragile, Joan originaire de Caroline du Sud donne des cours d’Anglais à Bordeaux. Elle a 22 ans à peine et elle avance seule et déterminée dans la vie comme sur le « chemin » où elle est arrivée un peu par hasard. Elle ne s’y sent jamais seule.
Les quatre chums des « Trois Rivières » ont les pieds en compote et cela ne les empêche pas, en bon Québecois, de vider de gouleyantes pintes de bière en arrivant à l’étape. Ils font des étapes de trente kilomètres : « le billet d’avion ne dure qu’un mois, il faut qu’on arrive au bout ». Le fiston si heureux d’accompagner son père et ses amis n’est pas dernier à lever le coude. Pour lui c’est une épreuve initiatique qui le fera entrer définitivement dans le monde des adultes. Il faudrait aussi évoquer Andrew venu du Manitoba, nos amies Colombiennes ou cet Equatorien, qui, désormais à la retraite va rejoindre sa patrie après avoir passé le plus clair de sa vie en Allemagne. Décision prise sur le « chemin »… ?
Que seraient devenus les villages, les paysages, les champs traversés s’il n’y avait eu le « chemin », désormais patrimoine mondial de l’humanité ? Sans doute auraient-ils été abandonnés aux herbes folles ou, au contraire, aux défoliants, ravagés par le progrès, cités anonymes, routes bétonnées… L’âme de ces terres mystérieuses aurait laissé place à cette modernité trop louée. Là se trouve le miracle : l’essentiel de cette route a été gardé dans son jus. Les maisons aux balcons étroits, les plafonds des albregues aux longues poutres de châtaigniers, les troupeaux de vaches qui barrent les routes, les ponts moyenâgeux rebâtis, jusqu’aux amas de pierre évoquant le souvenir de tel ou tel tombé en ce lieu sauvage… tout ce décor anime la réflexion, pousse au recueillement, aide au retour sur soi-même. Il s’en dégage, même sous la pluie, une mélancolie douce et plus prosaïquement une économie consolidée un peu utopiste –baba comme on dit désormais- qui fonctionne et qui est bien sympathique.
Sur le Chemin de Saint Jacques on découvre que le monde réel n’est pas forcément celui qu’on croit… Les peuples y sont en marche, dans la paix, l’amitié et les individus, paisibles, y trouvent une certaine réconciliation avec eux-mêmes. N’est-ce pas une raison d’espérer ?

Pierre Vidal

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2 commentaires

  • Excellent vraiment, cela réconforte de constater que même sur A@P on est capable d’exprimer une vie culturelle et des ambitions tournées vers d’autres horizons que la politique et les finances.