Plaidoyer pour une république référendaire
Il y a maintenant près de cinquante ans que je suis électeur.
Il y a cinquante ans que j’exprime mes choix dans un système de démocratie représentative, c’est-à-dire qu’on me demande de choisir la personne ou le parti dont je me sens le plus proche ou, au moins, le moins éloigné. Quand je vote pour une personne ou un mouvement politique, je lui signe un blanc seing. Je vote pour l’ensemble de son programme, y compris pour les points auxquels je n’adhère pas. L’élu peut appliquer tout son programme, ou pas, puisque, comme le disait Charles Pasqua : « les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient ».
La démocratie représentative a été introduite dans notre pays à la fin du dix-huitième siècle et s’est imposée à partir de 1871, c’est-à-dire à une période où les moyens d’information étaient peu développés. Il était peu envisageable de demander à chaque citoyen son avis sur chacun des sujets. Depuis se sont développés d’abord les médias écrits, puis la radio, la télévision et enfin, internet et les réseaux sociaux. Chacun peut trouver de l’information sur tous les sujets, chaque groupe politique peut exprimer son point de vue sur les différents problèmes à résoudre.
Il me semble donc temps de nous approcher de la démocratie directe où, sur chaque sujet, ce qui est fait est ce qui est souhaité par la majorité des citoyens.
Cela est-il la fin de la démocratie représentative ? Certainement pas car il y aura toujours des situations d’urgence où une décision doit être prise sans prendre le temps de consulter l’ensemble des citoyens. Il faudra aussi prendre des décisions non urgentes, ces dernières pouvant cependant être remises en cause par l’ensemble des citoyens.
Dans les faits, il s’agit de tempérer la démocratie représentative par une possibilité de recours systématique au référendum quand il semble qu’il y ait une forte opposition à une mesure décidée par nos représentants (ou à une absence de décision alors qu’une décision semble attendue par un nombre significatif de citoyens).
Comment cela pourrait-il être mis en place ? Quand une décision est prise sur un sujet quelconque, si des citoyens ou des mouvements politiques sont en désaccord, ils pourraient lancer une pétition pour demander un referendum sur ce sujet. Si la pétition obtient un nombre de signatures suffisant, un referendum serait effectivement organisé sur le sujet et serait décisionnel.
Pour éviter d’avoir des referendums sur toutes les décisions d’un exécutif ou d’une assemblée législative quelconque, il me semble souhaitable que le nombre de pétitionnaires à atteindre soit élevé (peut être 25% du corps électoral, ou 40% des membres de l’assemblée législative concernée). Il me semble qu’il faut aussi permettre à un exécutif de demander lui-même un referendum pour confirmer une décision prise si une contestation se faisait sentir dans la rue.
Il faut aussi éviter qu’un referendum soit demandé uniquement pour retarder l’application d’une décision. Pour cela, quand une décision est prise, elle s’appliquerait, même si une demande de referendum est en cours. Cependant, pendant la période où le nombre de pétitionnaires requis est atteint et le moment où le résultat du referendum est proclamé, si des sanctions sont prévues pour ceux qui n’appliqueraient pas la décision prise, ces sanctions seraient reportées jusqu’au résultat du referendum et appliquées ou pas suivant le résultat de celui-ci.
Quels sont les inconvénients d’une telle mesure ? Le principal est qu’on va nous demander un avis sur des sujets qui ne nous concernent pas ou pour lesquels des gens ne se sentent pas compétents. Dans ces deux cas, il suffira de voter soit blanc soit en suivant les consignes que ne manqueront pas de donner le mouvement politique dont vous êtes le plus proche.
Est-ce la mort des mouvements politiques tels que nous les connaissons aujourd’hui ? Surement pas car c’est à eux qu’il incombera de construire des politiques cohérentes en fonction des objectifs qu’ils poursuivront, à eux d’expliquer aussi aux électeurs pourquoi telle ou telle mesure qui peut sembler impopulaire est nécessaire pour obtenir les objectifs affichés. Ils devront faire preuve de pédagogie, vertu qui semble souvent absente chez nos dirigeants actuels.
Enfin, dernier obstacle, il nous faudra apprendre, à nous électeurs, à répondre à la question posée et non à celui qui la pose. Souvent, dans le passé, les referendums se sont transformés en plébiscites, pour ou contre l’exécutif en place, plutôt qu’en réponse à une question sur un sujet précis. Il nous faudra admettre que le referendum ne met en cause ni l’exécutif en place, ni l’assemblée législative concernée, mais seulement une mesure ponctuelle.
Quels avantages peut-on en attendre ? D’abord un moindre rejet de la politique par bon nombre de nos concitoyens. Il semble que beaucoup d’entre eux ne retrouvent les promesses des candidats dans les actes des élus. Il arrive que cela soit dû au fait que les candidats proposent beaucoup et pas toujours la même chose, au moins dans le ressenti des électeurs. Avoir la possibilité de rectifier éventuellement le tir par le biais du referendum permettra de rapprocher les actions des attentes des électeurs.
Cette désillusion vis-à-vis des élus a aussi pour conséquence des manifestations, parfois violentes, de ceux qui s’estiment trompés. Le recours possible au referendum permettra de canaliser, au moins en partie, cette violence vers des actions plus positives visant à convaincre les électeurs du point de vue des opposants.
Ce plaidoyer est, à mes yeux, une première étape pour savoir si d’autres personnes partagent ce point de vue, ou, si elles ne le partagent pas, pour connaître les arguments qu’on peut y opposer. Je serai donc ravi qu’elle donne lieu à des discussions ultérieures.
Yves-Luc Boullis
Je ne comprends pas bien votre proposition.
En quoi est elle différente de ce qui se passe en Suisse ?
Je ne connais pas assez le système suisse pour savoir si cette proposition est différente de ce qui s’y passe, en particulier sur les modalités pour contester une décision d’un exécutif quelconque. Si c’est la même chose, tant mieux. Comme les Suisses ont mis ce système en place depuis des années, sans que cela entraîne des dérives inattendues, c’est qu’il n’y a pas d’inconvénients majeurs à sa mise en place. L’important, à mes yeux, n’est pas d’être original, mais de rendre aux citoyens la maîtrise de leur destin, y compris en faisant des bêtises, mais des bêtises majoritaires.