« Maudite soit la guerre »

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Les commémorations de la guerre de 14-18, « l’itinérance mémorielle » -quel curieux concept !- présidentielle autour de la « Grande Guerre » comme on l’a longtemps appelée, devraient nous faire réfléchir sur ce qu’elle a été réellement mais aussi sur les conséquences qu’elle a pu avoir sur les peuples européens et par conséquent sur le monde car à cette époque l’Europe y avait une place prépondérante. Elle ne l’a plus aujourd’hui, à l’évidence et il y a, en cela, une relation de cause à effet. Cela devrait être un premier thème de réflexion. L’Europe divisée, la montée des extrêmes et les cancers nationalises conduisent inéluctablement à de terribles catastrophes et ce sont les peuples ; les hommes et les femmes, indirectement les enfants qui paient la facture de l’irresponsabilité des manipulateurs et de l’incapacité des hommes politiques à les circonvenir.
Le massacre de dizaine de millions d’individus – en France : 1 357 800 de tués et de disparus, soit 10 % de la population active masculine et 18 % des appelés et 4 266 000 blessés-  outre ses terribles effets humains, a eu pour conséquence un affaiblissement définitif des puissances européennes. Ce fut un affrontement « perdant/perdant » et jamais l’Europe ne s’est relevée de cette « purge » horrible et des destructions massives de ses infrastructures. Elle s’était à peine relever qu’elle s’engageait dans un second conflit dont le prix à payer serait moralement pire.
Les historiens s’accordent à le reconnaître : la première guerre portait en son sein la seconde auquel on ne pouvait pas échapper. La coalition, -les « alliés »- affronta en effet une force maléfique, une idéologie basée sur le racisme, l’antisémitisme et sur la théorie fumeuse de « l’espace vital » qui avait pour objectif bien concret la mise en esclavage des peuples et le vol de leurs biens. Cette guerre-là était inscrite dans le traité de Versailles et on ne pouvait y échapper.
Le temps passe vite, de la violence de la guerre de 14 il nous reste des images éthérées, de vieux films décolorés qui donnent qu’une idée très vague de la boucherie où des hommes d’à peine vingt ans ont laissé la peau. Des morts oubliés, souvent anonymes car beaucoup d’entre eux ne sont mêmes pas inscrits sur les monuments aux morts des communes. La presse locale l’a signalé, sur les 10 000 morts au combat en Béarn – dont certains revenus d’Amérique –,  Georges Péron, retraité d’Asson et généalogiste, a établi la liste des 586 poilus dont le nom a été oublié sur les monuments aux morts. La mise à jour se fait au bon vouloir des maires. Il aura fallu attendre un siècle et trois ans de travail minutieux pour qu’autant d’oublis soient réparés ou en voie de l’être.
A ceux-là il faut ajouter les blessés, gazé, défigurés, mutilés revenus à la vie civiles sans aide ni soutien. Comme le dit Louis Aragon dans son admirable poème :
« Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent »
Aragon lui s’en tirera, mais le poète Guillaume Apollinaire n’en reviendra pas, ni Alain Fournier le père du « Grand Meaulnes », ni Louis Pergaud créateur de « La guerre des boutons » ni tant d’autres. Nous aurons vécu près de 75 ans sans guerre sur le territoire européen et sans aucun doute cela est dû à l’organisation que nous nous sommes donnés. La critique en est légitime, le rejet irresponsable à la lecture de ce passé, somme toute récent.
« Les sentiers de la gloire » le chef d’œuvre du grand cinéaste américain Stanley Kubrick, longtemps interdit en France, nous rappelle ce qu’il en coûtait de s’opposer à cette violence guerrière, de refuser la mort assurée en partant à l’assaut. Ce furent des fusillades de masse et des jeunes gens innocents, tirés au sort, fusillés sous une bâche, sans jugement, par leurs camarades. Leurs dépouilles n’eurent droit à aucun des honneurs réservés à leurs frères de combat. Rien qui ne put soulager leurs familles éprouvées qui connurent souvent en plus de la perte d’un être cher, l’opprobre et la vindicte. Pour avoir refusé la barbarie, ils sont devenus parias dans les mémoires et dans ce fameux « récit national » dont on nous rebat les oreilles.
Quoi de plus naturel que de vouloir vivre à 20 ans ? Quoi de plus injuste que d’être condamné à mort par des chefs planqués à l’arrière qui ne connaissaient rien de la vie précaire des hommes dans ces boyaux mortel appelés « tranchées », ni de ces attaques vaines et successives pour des gains de quelques mètres. Le temps est passé, le moment ne serait-il pas venu de diffuser à la télévision le film de Kubrick ? De quoi avons-nous peur ? Ne faut-il pas montrer la guerre dans tous ses aspects ? N’est-ce pas l’objectif de cette bruyante commémoration ou faut-il y voir une sorte d’opération politicienne de diversion ? Une manifestation publique, particulière, sera organisée le 11 novembre à la mémoire de ceux qu’on a appelé « les mutins », victimes d’une hiérarchie militaire cruelle, au Monument au Morts de Pau. Ils n’ont pas eu le droit aux monuments glorieux -dont les morts se moquent- et ils ont droit désormais, eux aussi, aux hommages et au respect.
Très peu sont les monuments aux morts « antimilitaristes » qui évoquent l’horreur, la barbarie et en définitive l’irresponsabilité militaire. Cinq ou six en France qui ne furent jamais inaugurés officiellement. Celui de Gentioux, en Creuse -Nouvelle Aquitaine-, en fait partie. Il est très émouvant par sa simplicité et par la sérénité qui s’en dégagent. Il se dresse sur la place silencieuse du village et l’enfant, en blouse d’écolier, bon fils de l’école laïque, héritier d’une république qui a proclamé comme principes liberté, égalité, fraternité, auxquels il croyait, l’enfant qui a perdu son père, son frère ; l’enfant représenté au pied de la plaque de marbre où est inscrite la liste des martyrs s’écrie : «  maudite soit la guerre ».
Celui-ci aussi ne mérite-t-il pas désormais une reconnaissance officielle ?

Pierre Vidal

Photo : monument aux morts de Gentioux

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3 commentaires

  • Sauf indication contraire, les « Maréchaux » et « Généraux » français (excepté 42 généraux officiellement déclarés « morts pour la France » ou « morts au champ d’honneur »), sont morts dans leur lit alors que les pertes militaires de la France lors de ce conflit sont d’environ 1 400 000 soldats… hors pertes civiles pour la France, d’environ 300 000 personnes…
    Source « Wikipédia » : « Pertes humaines de la Première Guerre mondiale »
    URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pertes_humaines_de_la_Première_Guerre_mondiale
    On estime qu’environ 70% des tués lors de cette maudite guerre de 14-18, l’ont été du fait des tirs de l’artillerie…
    Beaucoup de sites web sur cette guerre de 14-18, d’où j’extrais, à minima, 3 sites (= sélection non exhaustive…) :
    1) Site « Lemonde.fr » (« Décodeurs) » : « Comment évaluer le nombre de morts de la première guerre mondiale ? » (Le Monde | 10.11.2018 à 14h00 : par Anne-Aël Durand) : « DERRIÈRE LE CHIFFRE – La guerre 14-18 a constitué un massacre d’une ampleur sans précédent, de 9 à 10 millions de morts. »
    URL : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/11/10/comment-evaluer-le-nombre-de-morts-de-la-premiere-guerre-mondiale_5381812_4355770.html
    2) Site « franceinfo: » : « Le 22 août 1914, jour le plus sanglant de l’histoire de France » (Ariane Nicolas . France Télévisions . publié le 22/08/2014)
    URL : https://www.francetvinfo.fr/societe/guerre-de-14-18/le-22-aout-1914-jour-le-plus-sanglant-de-l-histoire-de-france_606567.html
    3) Site « Agoravox » : « Grande Guerre : le scandale des exhumations militaires » (par Fergus . mardi 14 janvier 2014)
    URL : http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/grande-guerre-le-scandale-des-146284
    « As usual » : bonne lecture…

  • Le monument aux morts de Strasbourg a une particularité unique : il représente une mère pleurant ses deux fils mourants : ils sont nus car de nombreux soldats alsaciens sont morts des deux côtés belligérants, français et allemands. Ainsi, sans uniforme, ne peut-on les distinguer.
    De même le monument porte-t-il la seule mention « à nos morts » et non « … pour la patrie » comme c’est souvent le cas pour exactement la même raison : à nos morts quels qu’ait été le camp pour lequel ils combattirent

  • Un siècle après ce carnage inutile la décence aurait dû être l’ attribution à minima de la légion d’ honneur ( collective) à tous les soldats nationaux, ennemis ou pas, mais également étrangers, venus mourir à 20 ans sur notre sol pour défendre la France.
    Cela en reconnaissance de leur sacrifice qui a permis le démarrage de la réflexion sur
    ce que devait être l’ Europe. Sans cela nous serions encore à nous battre pour le nationalisme et le populisme que certains aujourd’ hui veulent remettre à la mode.