En Béarn, des montagnes sans ourses, de la désespérance à l’espoir !

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trace d’ours/secteur Magnabaigt

Philippe CHARLIER, attaché à des Pyrénées sauvages et vivantes, pour que l’homme puisse continuer à VIVRE AVEC l’ours et la faune pyrénéenne dans des milieux naturels préservés, revient sur les faits marquants des 14 dernières années où ces vallées béarnaises n’accueillaient plus aucune ourse. Un texte qui date du 24 octobre 2018 mais qui n’a aucunement perdu de son actualité.

Dans le Haut-Béarn (Pyrénées-Atlantiques), l’opposition farouche d’éleveurs et d’élus locaux a bien failli avoir la peau de l’ours, faute d’une réelle volonté politique de l’État de pérenniser la présence historique de l’ours et d’engager enfin sa sauvegarde. Il s’en est vraiment fallu de peu pour que « lou pedescaous » (« le va-nu-pieds ») ne tire définitivement sa révérence en ces (ou ses) montagnes pour crever dans l’indifférence quasi-générale.

En vallées d’Aspe et d’Ossau, l’ours brun fait partie intégrante du patrimoine naturel et culturel,
là où la toponymie fait souvent référence à l’ours,
là où l’ours et le berger fromager en estive ont toujours cohabité,
là où les troupeaux d’ovins sont gardés et protégés,
là où des mesures d’accompagnement favorisant la cohabitation sont mises en œuvre,
là où le fromage fermier d’estive (à l’empreinte de l’ours) « Pé Descaous » est produit,
là où les habitats naturels sont favorables à la présence du plantigrade,
là où des mesures d’interdiction de la chasse en battue sur des zones vitales de l’ours sont désormais mises en place afin de garantir la tranquillité de cette espèce protégée,
là où les derniers ours mâles ne pouvaient se reproduire en l’absence de toute femelle.

Un rappel concis ne semble pas superflu sur les faits marquants des 14 dernières années où ces vallées béarnaises n’accueillaient plus aucune ourse et où les 2 derniers mâles ont erré durant ces longues années dans les Pyrénées occidentales désespérément en quête d’une femelle introuvable !

Le lundi 1er novembre 2004, l’ourse « Canelle » – baptisée ainsi par Jean-Jacques CAMARRA en référence à son pelage blond –, dernière femelle de souche pyrénéenne, accompagnée d’un ourson de l’année, est abattue par un chasseur lors d’une battue aux sangliers en haute vallée d’Aspe, à Urdos, au-dessus des gorges d’Enfer. Sa dépouille est évacuée par hélitreuillage (!) afin d’être autopsiée et quitte à jamais ces (ou ses) montagnes béarnaises. Son petit, « Cannellito », survit et s’installera par la suite dans les vallées bigourdanes situées plus à l’est.

Ce jour de Toussaint, la veille de la fête des défunts, un coup de fusil condamne le « noyau » relictuel de population d’ours brun dans les Pyrénées occidentales, uniquement des mâles, dont les ultimes porteurs du patrimoine génétique de la lignée immémoriale pyrénéenne, vouée à une extinction inéluctable sans renforcement – un ours d’origine slovène, « Néré » (« le noir » en aranais), né en 1997 dans les Pyrénées centrales, s’y est installé en 2001, qui est le père de « Cannellito ». Il reste 4 ours mâles – le vieil ours emblématique béarnais, baptisé « Papillon », qui avait longtemps fréquenté les vallées d’Aspe et d’Ossau, a été retrouvé mort (de vieillesse) le 25 juillet 2004 dans la vallée de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées), où il s’était installé depuis 2001 (considéré alors comme « ours à problème » par les éleveurs du pays Toy dont les troupeaux d’ovins ne sont ni gardés ni protégés, l’autopsie révélera la présence de plombs de chasse – anciens – dans son corps !).

La disparition tragique de la dernière ourse autochtone, qui symbolisait la survie de l’ours des Pyrénées, suscite une vague d’émotion jusqu’au plus haut sommet de l’État. Le ministre de l’Écologie Serge LEPELTIER déclare que « c’est une catastrophe écologique, un événement d’une extrême gravité en matière de protection de la nature » et le Président de la République Jacques CHIRAC déplore en Conseil des ministres « une grande perte pour la biodiversité en France et en Europe ».

Par ailleurs, en vallée d’Aspe, le 4 novembre 2004 à Etsaut, une manifestation spontanée réunit 150 habitants de la vallée, puis le 6 novembre 2004 à Accous, un rassemblement organisé par un Collectif Ourse mobilise entre 250 et 300 personnes, la plupart de cette vallée, témoignent de l’acceptation locale de l’ours et de l’attachement à l’ours. Et ce 6 novembre devant le Panthéon à Paris, lors de la manifestation à l’appel d’un collectif d’associations en faveur de la biodiversité, de l’ours, du loup et du lynx en France, l’ourse « Canelle » est enterrée symboliquement.

Le 28 novembre 2004 à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), à l’initiative de 3 associations : la SEPANSO Béarn, le FIEP – Groupe Ours Pyrénées et Pays de l’Ours-Adet, une « Marche pour l’Ours », « Non à l’extinction programmée de l’ours dans les Pyrénées ! », organisée avec le soutien des associations membres de la Coordination associative pyrénéenne pour l’Ours (CAP Ours), rassemble près de 2 000 personnes.

Le 13 janvier 2005, Serge LEPELTIER annonce « [la réintroduction de] cinq ours, et plutôt des femelles, à l’automne prochain », dont 2 en Béarn. Puis le 25 septembre 2005, aux « Automnales du Pays de l’Ours » à Arbas (Haute-Garonne), la ministre Nelly OLIN, qui lui a succédé, confirme « la réintroduction de cinq ours l’an prochain », dont 2 femelles dans le Béarn.

Tout d’abord, un premier acte manqué au printemps 2006, du fait de l’opposition de l’Institution Patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB), présidée par Jean LASSALLE, en charge de la mise en œuvre de « la charte de développement durable des vallées béarnaises [d’Ossau, d’Aspe et du Barétous] et de protection de l’ours » – signée le 31 janvier 1994 –, aucune ourse ne sera finalement lâchée en Béarn (quid du respect du « contrat d’honneur et de confiance » ?). Et ce, sans tenir compte des prises de position du maire d’Accous, Jean-Pierre CAZAUX, et du maire d’Etsaut, Marcel MINVIELLE, en faveur d’un lâcher d’ourse(s) sur le territoire de leur commune respective. Toutefois, dans le cadre du Plan de restauration et de conservation de l’Ours brun dans les Pyrénées françaises 2006-2009 (présenté par Nelly OLIN le 13 mars 2006), une – vieille – ourse slovène, « Françka », sera lâchée le 28 avril 2006 à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), à l’est du Béarn (en espérant qu’elle s’installe plus à l’ouest), avant d’être finalement tuée accidentellement à la suite d’une collision avec un véhicule en traversant la 2×2 voies entre Lourdes et Argelès-Gazost (Hautes-Pyrénées) le 9 août 2007 (considérée comme « ourse à problème » par les éleveurs locaux dont les troupeaux d’ovins ne sont ni gardés ni protégés, l’autopsie révélera la présence de plombs de chasse – récents – dans son corps !). Il reste 3 ours mâles – le vieil ours autochtone « Camille », qui fréquentait le revers espagnol des vallées béarnaises, s’est éteint dans l’indifférence générale.

Le 3 juin 2006 à Toulouse (Haute-Garonne), à l’appel de la Coordination associative pyrénéenne pour l’Ours (CAP Ours) et des maires d’Arbas, de Bagnères-de-Bigorre, de Burgalays et de (Bagnères-de-)Luchon, un « Rassemblement de soutien [pour l’ours] », « Les Pyrénées avec l’Ours ! », initialement prévu à Luchon (Haute-Garonne), mobilise près de 1 200 personnes, dont l’ex ministre Serge LEPELTIER.

Ensuite, un second acte (encore) manqué le 1er juin 2011, sur décision du Président de la République Nicolas SARKOZY, la ministre de l’Écologie Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET renonce à respecter l’engagement pris par la secrétaire d’État Chantal JOUANNO, le 26 juillet 2010 lors du Comité de massif des Pyrénées à Toulouse, de lâcher une – seule – ourse (en remplacement de l’ourse « Françka ») au printemps 2011, au prétexte « [des] difficultés rencontrées par les éleveurs du fait de la sécheresse persistante » (sic) – la sécheresse qui n’avait pourtant touché aucune vallée béarnaise ! Il reste 2 ours mâles – l’ours autochtone « Aspe-Ouest », probablement né en 1998, qui était atteint depuis 2006 d’une pelade sur son arrière-train (le « cul pelé »), disparaît en 2010.

En outre, un troisième (non) acte, lors d’un déplacement à Cauterets (Hautes-Pyrénées) le 19 juillet 2014, à l’occasion d’un lâcher de trois bouquetins ibériques, la ministre de l’Écologie Ségolène ROYAL refuse « [toute] réintroduction qui menace le pastoralisme » !

Le 1er juillet 2016 à Toulouse, dans le cadre du volet Ours brun de la Stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité (SPVB), le Comité de massif des Pyrénées approuve à 50 % des voix « un renforcement minimum du noyau occidental d’ours des Pyrénées » avec un lâcher d’une ou deux femelles en Béarn. Et dans une lettre du 15 septembre 2016 au préfet coordonnateur du massif des Pyrénées, Ségolène ROYAL envisage « l’introduction d’une ourse sur le noyau occidental » !?

Enfin, un quatrième acte réalisé à l’automne 2018, dans le cadre du Plan national d’actions Ours brun 2018-2028, finalisé sous l’impulsion du ministre d’État Nicolas HULOT et mis en œuvre par son successeur François de RUGY. Le 4 octobre 2018, une première ourse slovène, « Claverina » (« l’héritière » ou « celle qui détient les clés »), est lâchée en vallée d’Aspe, puis le 5 octobre 2018, une seconde ourse également slovène, « Sorita » (« la petite sœur »), est lâchée en vallée d’Ossau. Et ce, par hélitreuillage (!), une première par voie aérienne afin de contourner les barrages sur les routes en vallées d’Aspe et d’Ossau dressés par des opposants à l’ours, dont certains munis de fusils de chasse ! Soulignons que ces lâchers ont été préparés avec un grand professionnalisme par les équipes de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS).

Quelle émotion en regardant les images de la première ourse « Claverina » fouler le sol béarnais, un moment magique, un rêve qui devient réalité ! Et comment pouvait-on envisager ces montagnes béarnaises sans ours ?

Souhaitons la bienvenue à « Claverina » et « Sorita » ! Au vu de leur corpulence respective, ces 2 – jeunes – ourses potentiellement gravides paraissent en pleine forme et, qui plus est, les glands et les faînes sont relativement abondants cet automne. Toutes les conditions sont réunies pour que ces femelles (r)entrent dans leur tanière – appelée localement « tute » –, courant novembre, avec des réserves de graisse suffisantes laissant espérer une mise bas au cours de cet hiver, croisons les doigts ! A défaut, Mesdames, ce printemps, surtout n’éconduisez pas vos prétendants !

Grâce à la détermination de Nicolas HULOT et de François de RUGY, la sauvegarde de l’ours à l’ouest du massif pyrénéen est désormais engagée en vue de la restauration d’une population ursine viable sur l’ensemble de la chaîne pyrénéenne qui répond aux obligations juridiques et morales de notre pays en matière de préservation de la biodiversité.

A travers « l’initiative pour la conservation de l’ours en Béarn » proposée par le FIEP – Groupe Ours Pyrénées, il convient de saluer l’engagement en faveur de la cause de l’ours de Paule BERGÉS, maire d’Accous, d’Henri BELLEGARDE, maire de Bedous, de Jean-Claude COUSTET, maire de Borce, de Jean GASTOU, maire de Cette-Eygun, d’Élisabeth MÉDARD, maire d’Etsaut et présidente de la communauté de communes de la vallée d’Aspe, d’André BERDOU, conseiller départemental des Pyrénées-Atlantiques, de Jean-François BLANCO et d’Andde SAINTE-MARIE, conseillers régionaux de Nouvelle-Aquitaine, ainsi que des bergers transhumants favorables à la présence de l’ours, sans qui le retour de ces 2 ourses n’aurait pu se faire. N’oublions pas d’honorer la mémoire de Jean-Pierre CAZAUX et de Marcel MINVIELLE, ayons aussi une pensée pour Jean-Pierre et Baudouin.

Le printemps prochain, je serai de retour en vallée d’Aspe dans « le pas de l’ours » afin de saluer « lou Moussu » (« le Monsieur ») en ces (ou ses) hautes terres !

– par Philippe CHARLIER

Crédit photo : Bernard Boutin « trace d’ours du coté de Magnabaigt »

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Un commentaire

  • Bravo pour ce beau papier qui retrace chronologiquement et de belles manières la gestion maladroite (et malhonnête souvent) de ce dossier.
    L’ours aurait du être sauvé depuis bien longtemps, malheureusement une minorité d’opposants ont voulu la brebis, le fromage et le cul de la bergère, sans le moindre ours.
    J’ai du mal à comprendre pourquoi certains valléens ne veulent pas sauver leur patrimoine : l’ours, le langage sifflé (il existe en vallée des opposants au magnifique travail fait par des béarnais et des étudiants pour relancer le langage sifflé), même les vautours sont encore contestés.
    Aujourd’hui deux ourses sont là. Certainement pas grâce à Jean Lassalle (qui fut pourtant conseiller régional, député, et directeur du Parc national des Pyrénées).
    Merci aux personnes qui ont œuvrés, dans la lumière pour quelques uns et dans l’ombre pour beaucoup, qui ont œuvrés dans la difficultés assurément, pour obtenir le retour de femelles ourses en Béarn. Merci aux courageux élus qui veulent sauver l’ours dans les Pyrénées et en Béarn notamment.
    Espérons que ces deux ourses relâchés en novembre auront droit à de la quiétude, ainsi qu’une belle et nombreuse descendance.