N’oublier, jamais !

Photo de déportés derrière les barbelés prise en 1945 au moment de la libération du camp de concentration d’Auschwitz en Pologne où des millions de juifs furent exterminés par les nazis durant la deuxième guerre mondiale. // A picture of inmates behind barbed wire taken in 1945 when the concentration camp of Auschwitz was liberated in Poland where millions of Jewish deportees were exterminated by nazis during World War II.
« Ils n´arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d´oublier, étonnés qu´à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues ».
Jean Ferrat « Nuit et Brouillard »
Nous célébrons ce dimanche la « Journée de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité ». Comme le précise le site dédié à cette journée « La France a retenu la date du 27 janvier, anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, pour cette journée de la mémoire. […] Cette journée de la mémoire devra faire prendre conscience que le mal absolu existe et que le relativisme n’est pas compatible avec les valeurs de la République ».
Rappelons le bilan quantitatif de cet odieux massacre de masse, le génocide le plus effroyable que l’humanité n’ait jamais commis : La Shoah, c’est-à-dire une extermination systématique par l’Allemagne nazie d’entre cinq à six millions de Juifs, soit les deux tiers des Juifs d’Europe et environ 40 % des Juifs du monde. Une extermination qui se « distingue » par son caractère systématique et « industriel » à l’encontre d’une population désarmée et innocente, effectuée de sang-froid par des criminels déterminés, dans une indifférence quasi totale hormis quelques exceptions remarquables. Nous ne reviendrons pas sur les immenses souffrances, les tortures subies par ces innocents, souvent des gens âgés, mais aussi pour beaucoup des enfants, 1 million 500 000 d’entre eux disparaîtront dans ce massacre. C’est une tâche indélébile sur la conscience européenne et sur l’histoire de notre continent.
En a-t-on tiré toutes les conséquences morales ? Non ! La communauté juive qui accélère son « ayala » vers la « terre promise » en a une perception aigue ; c’est normal elle est directement concernée. Outre la montée de mouvements xénophobes, voire ouvertement antisémites dans l’ensemble de l’Europe et au cœur même de l’Allemagne, si on regarde honnêtement l’état de notre pays, la France, patrie des Droits de l’Homme, on peut comprendre cette angoisse nourrie des leçons du passé. Trois illustrations récentes, différentes certes, mais significatives, devraient nous faire réfléchir.
D’abord le récent traitement « de faveur » fait à Pétain par le président Macron à l’issue de « son itinérance mémorielle » moment crucial intimement lié à la crise que nous vivons aujourd’hui. Il s’agissait de célébrer le vainqueur de Verdun plutôt que le chef de Vichy. Mais peut-on couper en deux les individus ? Diviser en quelque sorte un personnage de cet acabit, dont, de toute manière, l’antisémitisme est avéré depuis le début de sa carrière ? Pétain chef suprême du gouvernement de Vichy a couvert toutes les mesures antisémites menées par Laval et consorts. Nous sommes avec la célébration d’un personnage de cet acabit dans une sorte de relativisme qui se situe à l’inverse du courageux discours de Jacques Chirac le 16 juillet 1995 sur les lieux de la Rafle du Vel d’Hiv : « Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire et l’idée que l’on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. »
Le couvercle ayant été levé certains se crurent autorisés à déverser leur haine et leurs fantasmes. On en trouve de nombreuses traces dans le mouvement des gilets jaunes. La quenelle du sinistre Dieudonné a été reprise en cœur par plusieurs d’entre eux et ils ont été dénoncés à juste titre par les médias. Dans un fil Twitter un journaliste de 20 Minutes, Thibaut Chevillard* témoigne de ce qu’il a vu dans la ligne 4 du métro parisien le soir de l’acte 6 des gilets jaunes. « À l’intérieur; trois gilets jaunes, un peu éméchés, hurlant : ‘Macron démission !’ Il s’agissait d’hommes d’une quarantaine d’années, plutôt bon chic bon genre, qui rentraient de la manifestation. […] Ils ont commencé à faire des quenelles, des quenelles « de 40 ». Une petite vieille, cheveux grisonnants, le dos voûté, s’est levée. Elle est allée vers eux et leur a demandé d’arrêter. Un autre s’est ensuite mis à hurler : ‘Dégage la vieille ! Dégage la vieille ! Dégage la vieille !’ Son copain a enchaîné avec un bon vieux : « On est chez nous ! On est chez nous ! La petite vieille est retournée s’asseoir sous leurs insultes. A l’arrêt suivant, elle est descendue, silencieuse, tête baissée. Eux avaient l’air très fier de leur coup. […] Personne ne s’est levé pour prendre la défense de cette petite vieille. J’ai eu honte de ce que je venais de voir. Honte de ne pas avoir bougé. » Cela ne qualifie pas le mouvement dans son ensemble, évidemment, mais c’est le signe d’un antisémitisme latent qui ne demande qu’à resurgir.
La stigmatisation de la politique Israélienne de la part d’une partie des élites de droite comme de gauche et la victimisation de leurs adversaires Palestiniens posent aussi question. Comment oublier que l’Etat d’Israël est né directement de la catastrophe de la Shoah. Qui sommes-nous pour donner des leçons à cet Etat dont certains contestent encore l’existence même ? Même si nous ne partageons pas la politique de Benjamin Néthanayu –élu démocratiquement faut-il le rappeler- comment oublier que ce petit pays, encerclé de toute part, est constitué des rescapés et de leurs descendants des camps de la mort ? Faut-il savoir se mettre dans la peau des autres pour comprendre leurs comportements ? Notre Président lorsqu’il va vendre des armes en Egypte mesure-t-il qu’il met potentiellement en danger la nation Israélienne ?
En cette journée triste où l’on commémore la découverte des charniers d’Auschwitz On tremble encore devant la persévérance de cette haine sourde et mystérieuse qui déclenche ces comportements ahurissants, violents et inhumains. N’oublier, jamais !
Pierre Michel Vidal
*Cité par L’Express du 23/12/18
Photo DR
Merci Mr Latour pour votre commentaire fort intéressant et surtout très pertinent !
C’est un très très bon article et je préfère ce Pierre Vidal à celui qui faisait il y a quelques semaines l’apologie du mouvement gilets jaunes présentés comme les inventeurs d’une nouvelle forme de démocratie.
En ce qui concerne Israêl, la shoah, dont il faut sans cesse rappeler le souvenir n’a pas ouvert, un sorte de droit inaliénable pour l’état d’Israël à échapper à toute critique….utiliser à ce sujet la théorie de l’excuse n’est pas le meilleur service que l’on peut rendre à ceux qui ont souffert de cette barbarie. C’est la seule nuance que j’établis avec ce texte, encore une fois, tout à fait remarquable.
Je n’ai jamais fait « l’apologie des gilets jaunes » j’ai essayé de les comprendre ce qui devient difficile!
Merci par ailleurs pour votre soutien sur un sujet pour moi fondamental: l’antisémitisme. Je ne suis pas non plus, comme vous, favorable à la « théorie de l’excuse ».
Je ne prends connaissance de votre article qu’aujourd’hui et je tiens à vous remercier de ce que vous avez écrit, de votre pertinence et de votre réflexion, que je partage en tous points. Eh oui, la vraie question est bien : quel lien entre antisémitisme et antisionisme mais sans oublier surtout de s’interroger sur le « pourquoi cela s’est-il passé ? » ….
Le même jour de cette commémoration, on lisait ceci sur une pancarte de manifestation de Gilet Jaune (je ne sais pas joindre de photo ici, pardonnez-moi) :
« NOS RUES NE SONT PAS DES CHAMBRES À GAZ »
« La stigmatisation de la politique Israélienne […] et la victimisation de leurs adversaires Palestiniens posent aussi question. »
Non. Il est ni plus ni moins légitime de critiquer les actes d’Israël que ceux de n’importe quel autre état. L’antisémitisme -comme n’importe quelle autre discrimination- est condamnable sans réserve, mais sortir le bouclier de l’antisémitisme pour détourner la critique d’Israël l’est tout autant : c’est de l’ordre du terrorisme intellectuel.
On ne peut pas se contenter d’un nécessaire « devoir de mémoire », il faut aussi comprendre pourquoi cela s’est passé et quelles sont les causes de la nouvelle montée de l’antisémitisme, ce cancer de nos démocraties occidentales. C’est évidemment plus commode de parler de « terrorisme intellectuel » (qui est terrorisé?) que de se poser la question : y-a-t’il un lien entre antisémitisme et antisionisme?
L’un n’empêche pas l’autre : on peut poser la question du lien, tout en dénonçant le terrorisme intellectuel qui consiste à disqualifier la critique d’Israël en lui opposant systématiquement une suspiscion d’antisémitisme, ou dans une version plus light une suspiscion de minimisation du drame de la shoah. Le CRIF s’en est fait une spécialité.
Quant à comprendre les causes de l’antisémitisme actuel, vous posez comme prémisse qu’elles seraient les mêmes que celui d’avant-guerre : cela n’a pourtant rien d’évident. Si je suis d’accord qu’il faut intégrer le vécu des juifs dans l’histoire récente pour comprendre l’état d’esprit des Israéliens, de la même manière il faut intégrer les conditions de la création d’Israël et sa politique par la suite pour comprendre le ressentiment provoqué dans le monde musulman. Une autre partie de l’antisémitisme est à corréler au populisme et au rejet des élites qui tend à se développer un peu partout en Europe, suivant le cliché qui veut que les juifs soient particulièrement introduits dans les lieux de pouvoir. En cela, votre propre discours qui consiste souvent à fustiger les élites et les opposer au peuple, pourrait bien être un jeu dangereux.