Trouver les mots

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« Nous vivons sous la dictature de Twitter et de Marlène Schiappa »

Laurent Ruquier in le JDD du 16 juin.

La polémique autour de la romancière/chroniqueuse de « On n’est pas couché », Christine Angot et de ses propos sur l’esclavage me donne l’occasion de reprendre la plume pour dénoncer (une nouvelle fois) la bien-pensance, version nouvelle mais plus dure de ce que nous appelions, dans un passé récent, le « politiquement correct ». Christine Angot en a fait les frais dans l’émission phare « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier pour des propos violemment attaqués sur les réseaux sociaux par ses « confrères », chroniqueurs qui l’ont précédé dans la même émission : Nolleau, Zemmour ou par des stars de la télé comme Audrey Pulvar. Tout cela sent le règlement de compte, la détestation interne liée au système médiatique, les égos froissés et, franchement, cela ne nous concernerait pas si le fond n’avait de l’intérêt.  

Voici les faits rapportés par le Huffingthon Post, ils se sont déroulés dans l’émission du 1er juin 2019, lors d’un dialogue avec Franz-Olivier Giesbert. Christine Angot affirme que les souffrances ne se valent pas et que l’on ne peut pas comparer la souffrance des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale à celle des esclaves noirs. Elle déclare alors :

« Le but avec les Juifs pendant la guerre, ça a bien été de les exterminer, de les tuer, et ça introduit une différence fondamentale, alors qu’on veut confondre avec par exemple l’esclavage et l’esclavage des Noirs envoyés aux États-Unis ou ailleurs, et où c’était exactement le contraire. C’est-à-dire l’idée c’était qu’ils soient en pleine forme [« Qu’ils soient en bonne santé, oui », insiste Franz-Olivier Giesbert], en bonne santé pour pouvoir les vendre et pour qu’ils soient commercialisables. Donc non, ce n’est pas vrai que les traumatismes sont les mêmes, que les souffrances infligées aux peuples sont les mêmes. »

Il semble bien que ce soit une précision qui s’impose et que nous soyons là dans une constatation de bon sens. D’ailleurs Franz-Olivier Giesbert, abonde dans ce sens : On le voit hochant la tête pour acquiescer à cette assertion de l’ex-chroniqueuse. Le propos n’est pas d’absoudre les esclavagistes ou de minimiser le monstrueux phénomène de l’esclavage qui a touché tous les continents, le problème est de bien percevoir que tout n’est pas égal et que la pensée moderne doit être en effet « complexe » en matière historique notamment. Ainsi, il ne faut pas confondre camp d’internement, camp de concentration et camp d’extermination, les conditions de vie n’étaient pas les mêmes, l’objet, la fonction, de chacun ces camps non plus. 

Sans doute faut-il voir dans la violence des réactions à l’égard de Christine Angot une manifestation supplémentaire de cet antisémitisme radical qui se manifeste de manière de plus en plus violente (cf. l’agression à l’égard de Finkielkraut) très différente de la tradition antisémite portée depuis la fin du XIXème siècle par l’extrême-droite. Le raisonnement en est simple : les juifs sont des oppresseurs, la politique d’Israël en est la manifestation la plus patente, les pays pauvres sont des victimes. Il faut donc défendre ces derniers, aveuglément, quitte à relativiser un passé pourtant récent, un phénomène unique dans l’histoire de l’humanité par ses motivations et son fonctionnement, la mort industrielle, la Shoah. Le comble étant de lui comparer le sort des animaux d’élevage comme nous l’avons lu ici et là. 

La philosophe Maryline Maeso répond ainsi à Christine Angot : « Génocide et esclavage ont beau être différents, dans les deux cas, il y a une déshumanisation inacceptable, et la souffrance qui en découle est incommensurable. Que l’autre soit traité comme de la vermine ou comme une marchandise, il n’est plus un être humain. Il est nié ». Bien sûr ! Qui dit le contraire ? Trouve-t-on trace de « négationisme » dans les mots de Christine Angot ? Un député veut la poursuivre dans ce cadre ?

Laurent Ruquier intervient dans le débat lors d’une interview récente donnée au Journal du Dimanche où il déclare : « Nous sommes en permanence la proie des lobbies, des associations, de corporatismes catégoriels, du communautarisme… Or, ce qui est grave, c’est que des journalistes eux-mêmes s’y mettent ! ». Il précise : « Qui vient aujourd’hui accuser Christine Angot de racisme ? Eric Naulleau. Lequel travaille toujours avec Eric Zemmour. On est vraiment chez les fous ! (…) Ni l’un ni l’autre ne se sont autocensurés à l’époque, quand Christine Angot et Charles Consigny ont souvent été obligés de mettre le pied sur le frein par peur du ramdam que risquait de provoquer le moindre écart de leur part. »

Il s’y connaît en matière de médias Laurent Ruquier. Faut-il douter de sa sincérité ? Cherche-t-il à faire le buzz avancer de lancer sa nouvelle émission ?  Ou au contraire pointe-t-il une dérive réelle, cette autocensure permanente sous la pression des résos sociaux et de ceux qui en abusent comme Marlène Schiappa ? La télévision disposait-elle « d’infiniment » plus de libertés du temps de Michel Polac. J’ajouterai accepterions-nous aujourd’hui la causticité d’humoristes acerbes comme Coluche ou Thierry Le Luron quand il chantait au président de la république impassible « L’emmerdant c’est la rose » ?

Christine Angot s’est excusée le 4 juin dans un communiqué de presse avec élégance : « je n’ai pas su trouver les mots. Je le regrette. Mon travail est de me faire comprendre. Je m’excuse d’y avoir échoué. Il me tenait à cœur d’éloigner la concurrence victimaire dont certains jouent ». 

« Trouver les mots » en effet ça n’est pas évident.

Pierre Michel Vidal

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9 commentaires

  • Audrey Pulvar ? star de la télé, celà me fait bien sourire. Il faut reconnaître que nos chroniqueurs voient des « stars » à tous les coins de rue.

  • Enfin quelqu’un de sérieux !

  • Mais de votre côté, que faites-vous d’autre qu’imposer votre propre bien-pensance politiquement correcte, en agitant systématiquement le chiffon rouge infâmant de l’antisémistime dès que quelqu’un ose aller contre vos dogmes ?

    • Pierre-Michel Vidal

      Oui je suis « anti antisémite » et cela n’a rien de politiquement correct, la preuve: le ton que vous employez. Ce n’est pas non plus un dogme, c’est simplement une leçon essentielle à retenir d’un passé récent.

      • > Oui je suis « anti antisémite »

        Fort bien, et ce n’est pas cela que je vous reproche, lisez-mieux (en enlevant vos lunettes déformantes).

        • Pierre-Michel Vidal

          Donc « fort bien » c’est déjà ça… pour le reste je suis en train de changer de lunettes.

  • Michel LACANETTE.

    La philosophe Maryline Maeso répond ainsi à Christine Angot : « Génocide et esclavage ont beau être différents, dans les deux cas, il y a une déshumanisation inacceptable, et la souffrance qui en découle est incommensurable. Que l’autre soit traité comme de la vermine ou comme une marchandise, il n’est plus un être humain. Il est nié ».

    Toute la réponse à ce problème est dans le propos de Maryline Maeso, car aujourd’hui’ hui on a plus besoin
    d’ envoyer des gens dans des camps de concentration ou d’ internement pour les déshumaniser, avec le temps cela est devenu bien plus subtil. Par exemple actuellement, une capitaine de navire est traînée en justice par le gouvernement italien pour avoir porté secours à des migrants naufragés, alors que le droit maritime permet cela.
    Au travers d’ une seule personne on traite le sort de milliers de personnes.
    Mais regardons plus prêt de nous ce qui se passe avec les immigrés des pays de l’ Est à Paris, ou ailleurs comme dans les ports du nord de la France avec les migrants qui souhaitent passer en Angleterre, ou bien regardons à la frontière italienne ce que subissent les personnes qui portent secours aux migrants en hiver.
    On rend hommage aux personnes qui ont fui la barbarie nazie, c’ est tant mieux, mais si les pays qui voyaient arriver à l’ époque ces étrangers avaient réagi comme nous réagissons actuellement le sort de la France en aurait été sûrement changé. Il est de notre devoir de ne pas l’ oublier.

  • Le propre même des donneurs de leçon est de conférer à certains propos une signification qu’ils n’ont pas. Ensuite, ils affichent leur intolérance.
    « Fontenelle, qui devait mourir à cent ans, assurait qu’il avait atteint cet âge avancé parce qu’il n’avait jamais fait de morale ni donné de leçons.
    Rien n’est plus haïssable, en effet, que les donneurs de leçons et les moralistes professionnels. S’il m’est arrivé, par faiblesse, par distraction, de me ranger dans l’une ou l’autre de ces catégories peu reluisantes, je l’ai toujours regretté. Il faut être soi-même au-dessus de tout soupçon pour se permettre de faire la morale. Ou, comme le dit la sagesse populaire, il ne faut pas avoir de pièces à son cul pour monter au mât de cocagne. »

    Jean d’ORMESSON Dieu, les affaires et nous (Robert Laffont)