« Viral » de Serge Javaloyes

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« La bactérie menait sa guerre : elle attaquait, progressait, reculait et contre-attaquait. Elle ne connaissait pas le repos. Elle avait su s’adapter aux armes sophistiquées que l’homme avait développées contre elle. »

« Viral », 57ème jour.

« Viral » c’est un titre remarquable… Les virus sont partout : dans nos corps, dans les outils que nous utilisons quotidiennement et dans nos têtes. Les virus vont-ils gagner la partie et nous abattre ? La « viralité » aura-t-elle raison de la race humaine ? Les vieilles BD nous montraient le super héros sauvant le monde de l’invasion de ces monstres extra-terrestres menaçants, laids et sans cœurs, idiots aussi puisqu’ils ne gagnaient jamais… Les virus, eux, sont malins et pervers, Ils gagnent toujours ou presque. La preuve : la première version de cette « recension », écrite à la fraîche, à 6 heures du matin, a disparu de mon ordinateur. Malgré mes efforts et celle d’un technicien compétent elle a été aspirée dans une sorte de trou noir. Disparue ! La guerre contre le virus est sans fin. Recommençons donc…

Dans le roman du palois SergeJavaloyes, inlassable militant de la cause occitane, qui a opté ici pour la langue française avec des ambitions nouvelles -parler au plus grand nombre-, tout est fragile, viral, car on sent en permanence que la fin est proche. Le virus va triompher dans ces couleurs blafardes de l’hiver qui prévalent dans le décor du récit. L’hôpital où se déroule l’action, on le devine plongé dans une sorte de pénombre inquiétante qui éclaire ces couloirs où rode la mort. N’ayons pas peur des mots, il faut nommer ces choses abjectes : ces soins pénibles et l’échéance obsédante, la victoire du virus : la mort. Le héros y est promis. Cet ultime séjour n’est qu’une rémission, dans les mains expertes des infirmières sensibles à son désarroi. Il a toujours su attirer la sympathie des femmes. Les attendrir. Les a-t-il aimées pourtant, comprises véritablement ?

Les journées sont longues dans cette prison douillette, somme-toute, en attendant le moment ultime auquel il se sait promis (mais ne le sommes-nous pas tous ?). Fatalement les regrets assaillent le héros affaibli, c’est le virus du passé, obsédant. Celui-ci s’en prend à la mémoire, à l’âme. Ainsi Daniel le héros –prénom biblique, symbole du courage puisqu’il tint tête aux lions- a le temps de poser sur le trébuchet ce qu’il a fait de bien ou de mal. De quel côté penche la balance : vers ce qu’il doit regretter ou ce dont il peut être fier ? Il lui faut donc consigner sur un cahier caché sous son matelas de malade ses souvenirs de jeunesse, cette aventure qui a mal tourné et qui l’obsède, virale.

Voilà qu’apparaît au bout de quelques pages -le récit est divisé en jours-, le procédé « du roman dans le roman » semblable à celui du « cinéma dans le cinéma » qui a fait le délice de nos débuts de cinéphile et qui a suscité tant de débats au temps des ciné-clubs. Robbe-Grillet en fut le pape et nous devrions réhabiliter « L’homme qui ment » avec Maurice Trintignant. Il faut donc, dans « Viral », suivre deux récits en même temps. Le premier est en quelque sorte celui de la souffrance physique, le second celui de la douleur morale. Tout cela est plutôt sombre, c’est vrai. On ne rigole pas chez Javaloyes et seules les femmes qu’on y croise apportent une note de douceur, un flot de  désir, un souffle d’humanité. L’humanité par les femmes…

Les hommes, jeunes, vigoureux, naïfs, romantiques, ceux qui sont consignés dans le fameux cahier, se livrent à des jeux guerriers exaltants, du moins les voient-ils comme ça. Est-ce le tropisme de la virilité ? Nous sommes après 1968. Les personnages qui peuplent le cahier sont ces soldats perdus de l’ETA qui luttent pour une cause perdue d’avance. Ce ne sont pas des jeux car on y risque sa vie, sa liberté, son intégrité physique et l’innocence de la jeunesse. On pense ici au romancier basque Fernando Arramburru, qui pose un regard lucide, lui aussi, sur cette période terrible, qui n’est toujours pas soldée.

« C’est un roman sur la lâcheté » nous dit l’auteur. Ne dévoilons pas l’intrigue ne disons rien de l’issue, c’est la règle. Il est certain que ce n’est pas facile de se montrer à la hauteur dans le moment essentiel, à cet instant T (comme on dit) que chacun traverse fatalement. En ce sens, cette aventure personnelle -certainement autobiographique, pour une bonne part- est universelle en fait. Car si les faits, les actes que nous posons s’envolent au souffle du passé le virus de l’amertume demeure. Il mute et le sentiment de faute devient alors obsédant, jusque vienne fin. C’est un processus Viral.

Pierre Michel Vidal

« Viral » par Serge Javaloyes. Editions In 8.  

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