Jour de marché
« Sur la petite place, au lever de l’aurore,
Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore, »
Albert Samain.
Madame Michu et Monsieur Singer avaient l’habitude de faire leur marché place du Foirail, à deux pas de chez eux. C’était un marché Bio et ils appréciaient les jeunes couples aux allures de gauchistes qui vendaient leurs poireaux maigrichons ou les anciens, les maraîchers, avec leur accent rugueux. Mais, comme ces arbres de la place qui avaient fini par être coupés, un jour le marché disparut du Foirail. Et pour eux deux, ce fut un vrai traumatisme.
Monsieur Singer s’interrogeait : était-cela le progrès… ? Ceux qui décidaient de ces grandes réalisations, planifiées de leurs bureaux austères, pensaient-ils aux conséquences sur le moral des habitants ? Voulaient-ils les chasser du centre-ville ? Mais pour aller où…?
Mais, bon, à quoi sert de s’inquiéter: il faut faire face et réagir, pensa-t-il. ll décida donc son amie Madame Michu de prendre le bus avec lui, le vendredi suivant : direction Jurançon et son marché, place du Junqué, dont on lui avait dit du bien.
« Phébus » le Loulou de Monsieur Singer qui avait mis sa veste autrichienne pour l’occasion, sauta sur les genoux de son maître mais « Ravaillac », le Huskie de Sibérie, s’assit sur un siège à côté de sa maîtresse qui avait choisi une robe à fleurs pour la sortie. De toute façon, « Ravaillac », fier sur son siège, ne gênait personne : le bus était vide. Le trajet fut long, plus de quarante minutes. Le parcours était perturbé par d’innombrables travaux. Étaient-ils bien nécessaires, tous ces chamboulements ? se demandaient-ils tous les deux…
Une fois arrivé Place du Benquet, ils se montrèrent enchantés par le marché ensoleillé, sous les arbres, serein et distrayant en même temps. On y prenait son temps. On pouvait dialoguer avec les vendeurs. Certains avaient de l’humour, de la gouaille. Et beaucoup branchaient Monsieur Singer pour sa veste tyrolienne, souvenir d’un passé auquel il tenait. Personne n’était ironique ou encore moins méchant.
Madame Michu acheta du lapin, des salades venues en direct du producteur, elle opta même pour un couscous qu’elle choisit pour ses petits-enfants qui devaient venir déjeuner. Monsieur Singer prit une demi-douzaine d’ huîtres. Il alla chez le tripier et demanda un beau rognon de veau encore rose. il prit du jambon chez un producteur de porcs noirs de Bigorre et un gros morceau de fromage de brebis de la vallée d’Ossau.
-Qu’allez-vous faire de tout ça ?, demanda Madame Michu.
Monsieur Singer se tut mais il se savait dépensier… Madame Michu s’approcha ensuite d’un petit groupe qui discutait en cercle. On lui tendit un tract :
-Méfiez-vous ! C’est la CGT !
… Glissa Monsieur Singer à l’oreille de son amie et il se tint à distance.
Mais Madame Michu était curieuse. Elle aimait la controverse, le débat. Elle adorait C’dans l’air à la télé… Il s’agissait d’un collectif des Citoyens et Usagers de La Poste qui appelait à un rassemblement vendredi 5 juillet. Un monsieur s’exprimait avec conviction :
-Il faut exiger la réouverture du bureau de l’avenue du Château d’Este. Obtenir l’extension et la modernisation du bureau de l’avenue de la République. Demander le maintien des bureaux de poste menacés à Pau et dans l’agglomération Paloise.
Madame Michu opinait du bonnet. Visiblement les arguments portaient. Elle se sentait perdue dans ce monde soi-disant moderne qu’on lui proposait. Tous ces changements lui tournaient la tête. Elle se voyait visée personnellement. Lui faudrait-il terminer sa vie en maison de retraite ? Pourrait-elle continuer à vivre indépendante ? Et pour combien de temps ? Et « Ravaillac »? « Ravaillac » qui ne supportait pas la chaleur qui commençait à monter, bavait abondamment et tirait sur sa laisse…
Au retour « Ravaillac », assis sur la banquette, royal désormais, avait retrouvé son calme. Monsieur Singer gardait le chariot à roulettes bien chargé qu’ils se partageaient. Madame Michu mélancolique se confia à son ami :
-Vous vous rendez-compte Monsieur Singer! Désormais, ils suppriment les bureaux de postes. C’est bien commode pourtant. Pour les paquets. Les lettres recommandées. Moi j’aime bien les employés. Ils m’aident à remplir les nouveaux formulaires… C’est de l’Hébreux pour moi ces nouveaux formulaires…
Monsieur Singer se pensait beaucoup plus branché et voyait Madame Michu comme une personne aux jugements archaïques. Il prenait des cours d’informatique. Il utilisait Watts’ap et aimait à rappeler que ses petits-enfants habitaient New York. Mais lui aussi était inquiet, secrètement. Il pensait que les femmes, certes plus pragmatiques, s’angoissaient pour peu de chose. Il voulut rassurer son amie.
-Ne vous inquiétez pas chère madame, il ne faut pas croire tout ce qu’on raconte. Ce n’est pas demain la veille que l’on supprimera les bureaux de poste. Vous vous rendez compte! Ce serait la révolution…
Ils descendirent du bus. Monsieur Singer, galant, porta les achats de Madame Michu jusqu’à son appartement. Il soufflait dans sa moustache comme un phoque : il fallait monter trois étages, sans ascenseur, et il n’y avait pas la « clim » chez la « chère madame » mais elle n’aurait pas changé d’appartement ni de quartier pour tout l’or du monde.
Pierre Michel Vidal
Surtout que le marché bio de Pau est une association unique en France qui réunit producteurs, transformateurs, revendeurs et consommateurs.
Ce sont les bénévoles qui ont permis toutes les démarches administratives et les relations avec le politique.
Bravo!
Mme Michu aurait dû se rendre à Billere où le marché bio a été reçu de façon festive. J’espère que mme Michu ne fait pas partie des dames âgées qui ont pillé le buffet offert par les exposants et le bureau de l’association du marché bio avant qu’ on ait fini de l’installer ainsi que quelques GJ.
Mais, finalement tout s’est bien passé et en musique ! On a même permis à cette dame si maigre et si timide de manger en fin de manifestation. ..
Mme Michu aurait dû venir à Billere le samedi suivant : musique et buffet offert par la mairie attendaient Mme Michu. Il y avait le soleil et un bus toutes les 30 mn. La mairie réfléchit à des livraisons par vélo électriques qui seraient des petits jobs d’étudiants…
Venez vite, mme Michu, tous les autres consommateurs sont revenus.
C’est une bonne idée! Je vais lui dire mais elle n’écoute que monsieur Singer. Et encore…
Les Jurançonnais seront « offensés » ce n’est pas la place du Benquet, mais la place du Junqué !
Mais oui! du Junqué. Pourquoi du Benquet d’ailleurs? Monsieur Singer yoyotte un peu. C’est l’âge. Enfin, mes excuses cela ne vaut pas offense: les jurançonnais sont indulgents.