Moustiques
« Guides aveugles qui filtrez le moustique et avalez le chameau ! « Matthieu, XXIII, 24…
Sauvons les moustiques ! C’est le cri d’alarme lancé par Aymeric Caron, animateur de télévision et de radio ; un métier qui s’apparenterait à celui de bateleur de foire aux siècles précédents. On objectera : il en faut et j’acquiesce. Il faut des bateleurs ; leur présence est nécessaire à éclairer une réalité pas toujours facile à vivre ! Mais il faut les prendre pour ce qu’ils sont : un bateleur reste un bateleur et ce n’est pas un prescripteur de morale encore moins un philosophe. Il faut, selon Aymeric Caron, considérer le femelle du moustique qui vient vous piquer comme «une mère qui risque sa vie pour ses enfants en devenir.» Donc ne pas l’écraser et lui laisser sucer votre sang ou celui de votre enfant.
Ce plaidoyer pour les moustiques est-il une sorte de dérapage ? Un mot de trop ? Une erreur ? Une manière de faire le buzz ? Non c’est l’écho fidèle, d’un courant de pensée, fondé par l’américain Peter Singer : l’antispécisme. Jusqu’à peu de temps, il était connu surtout aux Etats-Unis où il bénéficie de soutiens financiers importants mais, comme beaucoup de modes venus d’outre-Atlantique -continent détesté pourtant !-, il a été repris voir caricaturé par de nouveaux disciples en France, chez les citadins pour la plupart. On sait depuis Saint Paul que les nouveaux convertis sont les plus virulents des propagandistes…
Que postule cette nouvelle philosophie ? Religion ? Secte ? Utopie… voilà le mot le mieux choisi. Peter Singer précise dans son livre « La Libération animale » : « Je soutiens qu’il ne peut y avoir aucune raison — hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur — de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces. »
En toute logique donc, et on comprend Aymeric Caron qui se revendique de l’antispécisime, il faut respecter les moustiques même s’ils répandent des maladies mortelles comme la dengue, le chikungunya, le zika… Il en est de même pour l’asticot, la limace où l’escargot. Ne marchez pas dessus ! Il faut aussi lutter contre la domestication des animaux et condamner les propriétaires de chiens, de chats et de chevaux, toutes sortes d’animaux de compagnie, que l’on peut considérer du point de vue antispéciste comme une sorte d’esclaves modernes.
Il y a naturellement de nombreuses objections à faire à cette nouvelle « utopie ». Pourquoi ne pas l’étendre aux végétaux qui eux aussi ont une sensibilité, les arbres, dans une fôret, par exemple développent entre eux une sorte de solidarité par l’intermédiaire des racines. Les tomates poussent plus vite dans une serre où on diffuse en boucle du Mozart.
C’est une objection parmi d’autres ; on pourrait évoquer aussi la chaîne alimentaire : allons-nous convaincre le lion de ne plus manger la gazelle et le moustique de ne plus piquer son « prochain » ? Sommes-nous condamnés à consommer des aliments aux composants chimiques ? Les fantasmes de la Science Fiction sont-ils pour demain ?
Une partie des antispécistes se déclarent ouvertement anti-humanistes considérant que ce cette idéologie, fondée sur la pensée des Lumières (Voltaire, Descartes, Rousseau) a apporté de terribles catastrophes et qu’il faut passer à autre chose. Quand on considère le bilan du XXème siècle, les deux guerres mondiales, la bombe atomique, la colonisation et celui du début du XXIème avec la destruction massive de l’environnement et le réchauffement climatique –contre lequel rien de sérieux n’est entrepris- on serait tenté de leur donner raison. Mais le règne des animaux –l’homme en devenant un parmi d’autres- serait-il une nouvelle idylle ? Un paradis terrestre où régneraient la paix et l’harmonie ?
Il s’agit donc bien d’une utopie, portée par des gens sympathiques et convaincus. Il faut d’ailleurs les traiter comme tels. L’être humain a besoin d’utopie. Les grandes utopies, le communisme notamment, qui ont mobilisé tant d’énergies, se sont effondrées. Désormais la place est libre. La cause des animaux s’inscrit dans ce vide. Pourtant, il reste de par le monde bien des injustices à proscrire : des navires qui tentent désespérément d’atteindre nos côtes et que l’on repousse sans cesse, des guerres où nos engins de mort sont utilisés contre les civils, des pans entiers de forêts tropicales qui disparaissent quotidiennement ou des jeunes gens, comme Steve, qui disparaissent dans la Loire sans qu’on en sache ni la raison ni qu’on en connaisse les auteurs ? La défense du moustique est-elle une réelle priorité au regard de ces drames ?
Pierre Michel Vidal