Il y a 80 ans, Garcia lorca…
Les cimes d’arbres sans lumière
Grandissaient au bord du chemin
Et tout un horizon de chiens
Aboyait loin de la rivière.
Federico Garcia Lorca (El romancero gitano)
Il y a quatre-vingts ans, le 19 août 1936, mourait le grand poète Espagnol Federico Garcia Lorca. Après le coup d’état anti-républicain du général Franco, Federico ne put s’empêcher de rejoindre sa terre andalouse et, quittant Madrid, se rendit à Grenade, sa ville natale. La police franquiste lança une veritable poursuite et le poète fut pris chez un de ses amis où il se cachait et le fusilla dans un ravin, comme un chien. Comme des milliers d’autres victimes, on n’a toujours pas retrouvé avec certitude sa dépouille mortelle.
Dans le même temps les franquistes enfermaient l’autre grande voix de la poésie andalouse Miguel Hernandez. Ces deux merveilleux artistes n’ont pas encore reçu l’hommage qu’ils méritaient ; preuve que les plaies liées à cette guerre civile déchirante, prélude aux atrocités les pires que l’humanité ait pu vivre, n’ont toujours pas été refermées.
Federico était l’ami de Luis Buñuel, Salvador Dalí, Rafael Alberti, José Bergamín, Guillermo de Torre et du grand matador Sánchez Mejías, parmi ceux qui deviendront des artistes influents en Espagne. Il coécrit le scénario du « Chien Andalou » de Buñuel, il écrit aussi des mélodies chantées par les plus grands artistes. Puis des pièces de théâtre comme « Noces de sang » qui lui donnent une réputation mondiale, notamment aux Etats Unis. Avec ses amis et avec le grand musicien Manuel de Falla, il participe à la génération de 1927.
La génération de 27 avait pour objectif de réhabiliter (déjà!) les pratiques artistiques traditionnelles et populaires espagnoles principalement deux d’entre elles : le flamenco et la tauromachie méprisées par les élites espagnoles. Ainsi à la mort de Sanchez Mejias, lui même auteur dramatique et poète, le 15 août 1934, dans les arènes de Manazanares, il écrit l’inoubliable LLanto por Ignacio Sánchez Mejías qui se termine ainsi :
Tardara mucho tiempo en nacer, si es que nace,
Un andaluz tan claro, tan rico de aventura.
Yo canto su elegancia con palabras que gimen,
Y recuerdo une brisa triste por los olivos.
(Il faudra longtemps avant que ne naisse, s’il naît jamais
Un Andalou si clair, si riche d’aventures.
Je chante son élégance avec des paroles qui gémissent
Et je me souviens d’une brise triste dans les oliviers)
Violemment antifaciste, peu avant la guerre civile, Federico Garcia Lorca crée La Barraca « un théâtre du peuple, ambulant et gratuit» qui connut, en Espagne un succès extraordinaire. Avec Antonio Machado, Luis Buñuel, Rafaël Alberti, Pablo Picasso (tous défenseurs actifs de la corrida et du flamenco), il s’engage contre le franquisme et, comme Miguel Hernandez, (le poète berger mort dans les geôles de Franco), certains comme Picasso prendront le chemin d’un exil définitif, d’autres comme Machado mourront de désespoir dès leurs arrivée en France, Garcia Lorca le paiera de sa vie.
Que pèse la voix des poètes au temps de facebook et twitter ? Triste anniversaire que celle de la disparition de ce grand poète progressiste au moment où les valeurs qu’il défendait sont taxées de franquistes et réactionnaires. Comme le dit le proverbe chinois « l’ignorance est la nuit de l’esprit ».
Pierre Michel Marie Vidal
Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd’hui surgit devant le crime
Et cette bouche absente et Lorca qui s’et tu
Emplissant tout à coup l’univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue
Louis Aragon – Un jour, un jour