Éloge de la viande

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Faire l’éloge de la viande ça n’est pas politiquement correct : c’est pire que de trouver Philippe Martinez sympathique, les blagues de Bigard subtiles, de douter de la réalité du réchauffement climatique, défendre la chasse à courre ou considérer la corrida comme un art (etc.)…

On vous le répète tous les jours sur tous les tons : il est bien triste que les familles soient séparées pour la trêve dite des confiseurs. On l’appelle ainsi car les fêtes de Noël sont désormais séculières et essentiellement prétextes à des agapes roboratives où la viande tant contestée par ailleurs, redevient le joyau d’un art de vivre constitutif (dit-on!) de la culture de notre pays. La viande, vilipendée le reste de l’année, avec comme conséquences concrètes les abattoirs qui ferment les uns après les autres : Pau, Mont-de-Marsan, Hagetmau, Auch ; les vitrines des bouchers attaquées et en bout de course les éleveurs qui plient boutique dans la détresse.

Car il est de bon ton dans la jeunesse de se dire végan. Après tout, les générations précédentes affectaient d’aborder de longues crinières. A ce propos rappelons « Le discours des cheveux » (1973) du marxiste (atypique) Pier Paolo Pasolini : «Le moment est plutôt venu de dire aux jeunes que leur façon de se coiffer est horrible, parce que servile et vulgaire. Plus, le moment est venu pour eux de s’en apercevoir et de se libérer de la préoccupation coupable de se conformer à l’ordre dégradant de la horde ». Rien n’est simple et c’est le privilège de l’âge (dont on se passerait volontiers) que de le savoir…

Donc, chez Mamie quel sera le menu, après le rituel des cadeaux ? Des huîtres pour commencer ; ces mollusques que l’on gobe cru au grand dam de nos amis anglo-saxons qui prennent la précaution de les cuisiner en les pochant, par exemple, dans du champagne. C’est à ce genre de détails que l’on voit les nations civilisées, (prétendent-ils)…

Et puis il y aura du foie gras. C’est devenu un produit démocratique, ouvert à toutes les bourses. Mamie « fait ses foies » elle-même. Elle achète la bête entière sur le « carreau » en Chalosse. Elle a son producteur et elle sait reconnaître la peau exagérément tendue du volatile engraissé de force mais « avec amour » durant plusieurs semaines.

On lui colle une maladie de foie en quelque sorte au canard. Sa consommation sera sévèrement prohibée à New York une ville policée (elle l’est déjà en Californie). Comme nous le dit le journal « La Croix » : Les contrevenants s’exposeront à une amende comprise entre 500 et 2 000 dollars, susceptibles d’être renouvelée toutes les 24 heures (…) « C’est une journée historique pour les droits des animaux à New York », a commenté, après le vote, Matthew Dominguez, conseiller politique de l’association « Les électeurs pour les droits des animaux », qui a joué un rôle majeur dans ce dossier.

Passons au plat de résistance, Mamie a un voisin chasseur. Souvent, elle prépare pour ce repas de Noël une daube de chevreuil ou un cuissot de sanglier rôti. Il paraît que les chasseurs de l’ACCA en tuent tellement qu’ils ne savent plus quoi faire de la viande. L’année dernière Mamie avait cuisiné une daube d’un des toros tués pour la fête qu’elle avait réservé. Un peu fort à mon goût… Parfois elle nous propose une volaille, un chapon ou une pintade chaponnée, plus rarement… Mais attention ! chaponnée à la main… pas un de ces chaponnages chimiques qui gâtent le goût du gallinacé.

– Voulez-vous que je vous explique comment on chaponne à la main ? demande Mamie.

-Non merci… répondent les convives mâles, dans un élan d’anthropomorphisme conservateur.

Il y a ensuite le fromage, brebis ou chèvre, la bûche et l’Armagnac, un vieux Ténaréze de derrière les fagots. Puis viennent les compliments :

Mamie, ton chapon quel régal !

Ta daube de chevreuil succulente !

– Le sanglier ?  Plus tendre que je ne l’aurai cru…

Les petits ont droit à un documentaire animalier que Mamie achète pour l’occasion. Le lion se régale d’une gazelle, plantant ses crocs énormes dans le cou gracile de l’élégant quadrupède. Puis un affreux crocodile, énorme, immergé dans des eaux fétides, attend que les gnous grégaires traversent le marais pour arracher le plus faible d’entre eux au troupeau compact et le gober d’un seul coup.

Voilà la chaîne alimentaire, mes petits… ça n’est pas joli/joli… mais c’est ainsi. 

Mamie fait la leçon de sciences naturelles avec une pointe de compassion fataliste aux enfants fascinés par l’écran, vautrés sur le tapis au milieu des papiers enveloppant bonbons et chocolats, les paquets cadeaux ouverts désormais et les jouets éparpillés.

On se ressert de la daube du côté des grands : « c’est la fête de la viande après tout ». Pour y participer, le jeune cousin Kevin, étudiant, privé de TGV à cause de « ces c… de grévistes », a  emprunté trois blablacars différents. Il a mis une demi-journée pour faire 200 kilomètres…

Écœuré par nos travaux de mastication forcenés, penché sur son téléphone du début à la fin de ces heures interminables, Kevin, seul en bout de table, sans dire deux mots, s’adonne au Solitaire Klondike, au Spider Solitaire ou au Freecell Windows XP. Dans cette lutte contre son téléphone, prolongement de son âme, l’adolescent est imbattable…

Quant à nous, ces joies familiales célébrées dans une ambiance de ripailles insouciantes nous donne l’envie de faire cet éloge de la viande dont le fumet flatte encore nos narines à l’heure des embrassades.

Pierre Michel Vidal

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6 commentaires

  • Ce texte, provocateur c’est vrai, suinte aussi l’émotion sincère et fait monter la salive pavlovienne à la bouche.
    Rien de bien critiquable dans ce plaisir partagé car il reste forcément ponctuel, les jours de fête par exemple.
    Plutôt que du toro bravo ou de la daube de chevreuil ou de sanglier, je préfère le gigot d’agneau de pré-salé avec des mogettes vendéennes ou des flageolets; affaire de goût.
    Naturellement c’est pour accompagner les grandes causes comme ce sera le cas si le texte de la retraite à points est retiré!, les anniversaires ou réunions entre amis, mais pas tous les jours, ce serait lassant. C’est conforme aux conseils donnés pour rester en bonne santé.
    Physiologiquement, se faire plaisir de temps en temps, c’est bon pour le moral, la digestion et l’assimilation sont facilitées par la convivialité et la qualité de la viande proposée. Entre-temps, en semaine, le plaisir sera revivifié et d’autant plus grand qu’une sobriété carnée sera respectée. La bonne santé est dans l’équilibre.
    Personnellement, je pratique cette sobriété carnée périodique à 100%, non pas par principe, non pas par respect des exigences physiologiques, non pas pour défendre la cause animale…mais tout simplement parce que la viande à ma portée, aux supermarchés et chez la plupart des bouchers, est chère, très chère même, car elle n’a aucun goût, est dure ou rendue artificiellement molle ou incluse dans des préparations industrielles à rehausseurs chimiques de goût; passée à la poêle la tranche de veau perd la moitié de son volume et son plein d’eau, c’est immangeable. Une bonne omelette aux girolles, un excellent fromage( pas celui du frigo des supermarchés) d’un fromager compétent, cela se trouve à Pau, la remplace et satisfait pleinement mes papilles et ma physiologie. Une à deux fois par semaine un poisson bas de chaîne alimentaire sauvage.

    • Pierre-Michel Vidal

      Je suis mille fois d’accord M. Vallet mais acheter un bon fromage chez un bon fromager cela a un coût et cela n’est pas à la portée de toutes les bourses. Il faut aussi avoir le temps. Tant que la « question sociale » ne sera pas réglée celle d’une alimentation saine et respectueuse de l’environnement demeurera (sauf exception) l’apanage de quelques retraités nantis. Pourtant, croyez-moi tout le monde a envie de manger mieux et plus équilibré.

      • «acheter un bon fromage chez un bon fromager cela a un coût»

        Je pense, pour le porte-monnaie, que c’est le coût global qui compte c’est-à-dire la répartition des dépenses. Si je n’achète pas de viande la semaine, si je ne mange pas trois tranches de rôti mais deux, le dimanche, je peux me permettre, sans dépenses supplémentaires, moins peut-être, d’acheter du fromage de fromager. J’ai exclu aussi toute charcuterie accessible près de chez moi, le boudin entre autres, cette pâte noire sans goût qui dégouline; je la remplace, de temps en temps, par des produits, rapportés par mon fils, de producteurs basques ou des environs de Lescun, c’est autre chose!.
        Comme mon estomac est « volumétriquement » modeste, il se contente de peu mais du bon; détrompez-vous, cela ne revient absolument pas plus cher; ce n’est pas, loin de là, l’apanage des retraités nantis mais d’un choix de vie suivant les moyens.

        «Il faut aussi avoir le temps.»
        Quand on voit le temps (et l’argent) que passent les clients du marché pour garer( avec tous les achats dans le sac, le transport en commun!!); ceux des supermarchés pour trouver les rayons, choisir entre tous les produits présentés, se décider, passer en caisse et transporter chez eux…je pense que certains trouvent du temps.

        «Tant que la «question sociale» ne sera pas réglée celle d’une alimentation saine et respectueuse de l’environnement demeurera (sauf exception) l’apanage de quelques retraités nantis.»

        Je ne vois pas le problème de la même manière. Que la question sociale soit primordiale pour beaucoup, j’en conviens pleinement; la bourse s’envole, les dépendants des resto du cœur aussi; mais, en dehors de cette inhumaine pauvreté qui devrait être éliminée dans la 7ème puissance économique mondiale, avec les mêmes revenus, modestes surtout, il faut faire des choix.
        Un retraité dispose d’un peu plus de temps, c’est vrai; j’ai fait l’expérience de regarder, discrètement, les dépôts des caddies pleins, des clients aux caisses; je ne tiens pas compte des quantités liées au fait que ces clients viennent peut-être qu’une fois par semaine, mais des autres produits achetés dont la plupart sont des gadgets, à très courte durée de vie et à l’utilité très contestable! L’addiction à la consommation est destructrice.
        Certains privilégient le dernier smartphone ou le dernier ordi, la place au cinéma ou au stade, le vêtement à la mode, connecté ou pas, le coiffeur chaque semaine ou moins….
        et se trouvent dépourvus quand il faut payer le loyer, le transport…; pour certains les impôts sur le revenu…
        Ils n’ont plus que la malbouffe bon marché, l’obésité, le diabète et les dépenses de santé.
        Par contre, ils peuvent aussi d’inverser l’ordre des facteurs!

      • Il faudrait regarder les choses avec moins d’idéologie…
        Regardons ce que nous dit l’INSEE :
        « Depuis 1960, les ménages consacrent à l’alimentation une part de plus en plus réduite de leur dépense de consommation : 20 % en 2014 contre 35 % en 1960. En cinquante ans, la consommation alimentaire par habitant a malgré tout augmenté régulièrement en volume, mais moins rapidement que l’ensemble de la consommation. La composition du panier alimentaire s’est par ailleurs modifiée. La viande, les fruits et légumes, les pains et céréales et les boissons alcoolisées progressent moins vite que les autres produits alimentaires. Ils cèdent notamment du terrain aux produits transformés et aux plats préparés. La hausse du pouvoir d’achat des ménages, l’évolution contrastée des prix des différents produits et la baisse du temps consacré à la cuisine contribuent à la modification des pratiques alimentaires. Enfin, la consommation d’alcool au domicile devient plus occasionnelle ; elle intègre en outre de plus en plus d’alcools forts et de vins de qualité supérieure.  »

        A chacun son choix… fromage ou un pack de Coca Cola ?

  • L’insouciance de la ripaille ne devrait-elle pas se suffire à elle-même dans un tel article ?

    La fermeture des abattoirs locaux n’a rien à voir avec le, soi-disant discrédit de la viande. Il y a un moment que le bétail n’est plus vendu sur les marchés locaux. Depuis combien d’années le foirail de Pau n’a-t-il pas vu de cochons ou la place du foirail d’Orthez de vaches, veaux ou moutons et la Moutète, où l’Elan Béarnais évoluait, de volailles?

    Les ventes d’animaux se font sur de grands marchés régionaux. La concentration a touché la filière bovine comme l’ensemble des produits de base de l’agriculture. Et c’est vers l’aval de la filière que se concentrent les gains de productivité (cf. grande distribution par exemple).
    La fermeture de l’abattoir de Billère a certainement été un grand dommage pour la filière bovine locale.

    Je note aussi que ces artisans, comme également les charcuteries, boulangeries et les pâtisseries ne transforment plus tous leurs produits. Il suffit d’observer le balai de fournisseurs qui sillonnent la campagne.

    Le prix de la viande est aussi un frein à la consommation et je pense que la clientèle des boucheries artisanales comme des charcuteries d’ailleurs est spécifique (classes moyennes et aisées, retraités par exemple).

    Vous parlez de chaponnage. Je me demande si les amateurs de charcuteries savent que le porc est castré…

    Quant au foie gras, c’était un produit de luxe. Il ne l’est plus. Pour moi, là est le problème de cette filière.
    Et après la lecture de cet article, j’ai l’impression d’avoir mangé un foie gras qui ne serait pas dénervé et dont la poche de fiel n’aurait pas été ôtée.

    • Pierre-Michel Vidal

      Cher monsieur Larrouture vous êtes devenu mon censeur préféré. Je vous réponds donc avec tout mon respect:
      Évoquer la viande, c’est devenu, dans certains milieux ou classes d’âge, un tabou. Je ne suis pas un adepte du politiquement correct et je ne vois pas pourquoi on n’en parlerait pas. Comme d’autres sujets d’ailleurs.
      On peut avec raison, comme vous le faîtes, m’opposer des arguments économiques : la restructuration de la filière qui n’est pas récente ou les prix exagérés à la boucherie, le rôle néfaste de la grande distribution. Ce n’est pas mon sujet: je souhaitais aborder la joie de se réunir autour d’une « bonne viande », tradition festive qui, pour moi, à ses mérites. Elle imprime la vie de nombreux de nos concitoyens. Les plus modestes d’abord, dans la mesure de leurs moyens. Faut-il abandonner ces agapes face à la montée du véganisme, une philosophie encouragée par une forte pression médiatique? Un monde sans viande serait-il meilleur? Faut-il changer toujours au nom d’une prétendue modernité ?
      Il est facile de quitter le fiel du foie gras: Une légère incision. Mais qui sait la faire encore? Que de traditions perdues… pour quel profit ?
      « Tout est amer à qui a du fiel dans la bouche » (proverbe russe). ce n’est pas votre cas bien sur…