Crépuscule et Aube de l’Agriculture

Le
mal-être des agriculteurs s’est exprimé dans des manifestations
au cours des derniers mois.
Deux articles, l’un d’A@P (1),
l’autre du Monde (2), expriment à partir d’éléments
similaires, des perceptions différentes.
Pour l’un, un monde
s’effondre. Pour l’autre, une mutation est en cours.
Mais, la
situation actuelle ne correspond-elle pas à la fin d’un cycle de
période pluriséculaire (Partie A) et à l’ouverture du suivant
(Partie B).
Partie A. Le crépuscule d’une agriculture
Le cycle qui se ferme s’est ouvert, au moins, au moyen-âge.
1.
L’agriculture sous l’ancien régime.
Au
Moyen-Age la paysannerie est asservie. Les serfs deviennent ensuite
des exploitants. Les famines sont courantes. Des terres seigneuriales
ou communales sont parcellisées et vendus. Ces ventes se
poursuivent au XVIIe
ainsi qu’au XVIIIe
siècle. Au XVIIIe,
l’intérêt des jachères diminue avec l’introduction de cultures
fourragères ainsi qu’avec l’apparition des clôtures pour
protéger les cultures dont celle, toute récente, du maïs.
Toutefois les disettes sont encore fréquentes (hiver 1709) et la misère est quotidienne. Pour les contenir, l’intendance d’Etigny (généralité d’Auch et de Pau de 1751 à 1767) privilégie, entre autre, la productivité. Elle n’empêche pas la crise alimentaire qui ouvre une porte à la Révolution ou encore l’achat de blé de la Mitidja par les armées napoléoniennes.
La course aux gains de productivité va peser sur l’amont de la filière agricole et éliminer au fur et à mesure les actifs qui remontent mécaniquement à cette position (Brassiers, manouvriers ou journaliers, estivandiers, domestiques, maôtres-valets et servantes, métiviers ou solatiers, métayers jusqu’à, in fine, l’exploitant lui-même ; soit, au moins, un aïeul pour une majorité de français).
2. L’agriculture au XIXe siècle.
Aux périodes tourmentées de la révolution et du Ier empire succède une période de prospérité, entraînée notamment par la première révolution industrielle. Ses effets s’essoufflent périodiquement et une période de crise larvée, assez similaire à celle qui nous frappe actuellement, s’installe dans le deuxième XIXe.
A mi-XIXe, la population des villages commence à décroître. L’agglomération paloise, les grandes villes comme Bordeaux et leurs faubourgs, mais aussi les Amériques constituent une destination pour une partie des habitants ; comme actuellement on part en croisière sans doute…
Cette décroissance démographique se prolonge jusqu’aux années 1960 de manière continue.
Le
confort rentre timidement dans les fermes (creusement de puits ou
arrivée des fourneaux dans les cuisines par exemple). Les années de
mauvaises récoltes se traduisent encore par des privations
alimentaires (du pain blanc pour quelques familles aisées et
l’« escaùtou » pour une majorité).
Le
développement des techniques agronomiques passe au second plan. Le
blé canadien est (déjà…) plus compétitif… Les investissements
des cultivateurs se dirigent surtout vers le foncier (le culte du
foncier et la sacralité des limites cadastrales sont encore bien
vivaces).
3.
L’agriculture du XXe
siècle à nos jours.
Le
cultivateur devient un paysan (IIIe
République oblige). La modernisation de l’agriculture est notable
après la première guerre mondiale (utilisation d’engrais par
exemple). Elle s’accélère très fortement dès la fin de la
deuxième guerre mondiale. Le monde agricole quitte alors le mode
autarcique pour intégrer complètement la vie économique et sociale
du pays.
Les
« mèstes », les métayers, les ouvriers agricoles vont
finalement disparaître. Les terres libérées sont reprises en
fermage par des paysans propriétaires qui héritent de la protection
du statut du fermage voté en 1946 (Loi dite Tanguy- Prigent). La
Société rurale s’uniformise.
Le paysan devient un exploitant
en 1960 (technique oblige). Il se retrouve ainsi en première ligne
face à l’avancée de la productivité. La bataille pour
l’acquisition de foncier continue.
Le confort s’installe dans les maisons. La cohabitation générationnelle finit par disparaître. Les solidarités organiques détrônent les solidarités mécaniques. La consommation remplace la frugalité.
L’érosion démographique agricole se poursuit. Le nombre d’actifs familiaux tend à se réduire. L’actif cumule souvent un autre emploi ou une retraite et les enfants ne reprennent pas forcément les exploitations familiales.
4.
Le constat.
L’impasse où
se trouve l’agriculture quantitative, parfois qualifiée de
fordiste ou minière, est déjà perçue des 1967 par le sociologue
Henri Mendras. Il discerne l’effondrement de la civilisation
paysanne et son remplacement par une autre, technicienne. Nous en
sommes là maintenant. L’exploitant devenu entrepreneur en 2000,
(libéralisme oblige) est en train de disparaître (cf. Note).
Et
dans de nombreux villages où le phénomène de périurbanisation
s’est installé, les non agriculteurs, cantonnés dans des zones
constructibles, deviennent majoritaires.
Et en même temps, la
propriété foncière continue à se concentrer et la diversité
sociale de rétrécir ; comme un « retour vers le futur »
qui poudroie (Partie B).
Larouture
PS: Questionnaire dont le but est davantage d’interpeller que de répondre… :
–
Dans un village de 1000 ha, situé sur nos coteaux béarnais à
environ 30 mn de Pau ou d’Orthez et comptant 300 habitants, à
combien estimeriez-vous le nombre de fermes ? :
40, 20, 10,
5 ou 2.
Ma réponse pour mon village : 10 fermes dont
5 doubles actifs (2 retraités, 2 salariés extérieurs et 1 artisan)
et 5 mono actifs :
Deux actifs se sont associés et
transforment avec succès le lait « Bio » de l’étable
mise en commun.
Un actif produit avec professionnalisme
l’alimentation de ses vaches laitières.
Un quatrième
également très professionnel mais qui n’a pas de succession,
prépare sa retraite après une reconversion de la production de lait
vers la viande.
Un cinquième avec sa famille, est plutôt resté
sur le modèle autarcique et s’en débrouille correctement.
–
En quelle année la dernière ferme du village fermera-t-elle ses
portes ? :
2030, 2045, 2060, 2075, 2090. Mon estimation
pour mon village : 2045.
A noter que dans mon village, le
nombre d’agriculteurs (N) décroît de manière linéaire depuis
plus d’un demi- siècle. Le pourcentage croît donc de manière
hyperbolique (~100/N). A partir d’un seuil, ce qui était
opportunité devient angoisse pour une majorité d’agriculteurs.
– Question subsidiaire: Combien de mois de travail dans l’année nécessite la maïsiculture ? Ma réponse est 3 mois.
Note :
C’était un voisin. Il
exploitait une ferme, héritée de ses parents. Il l’avait agrandie
mais pas autant qu’il aurait souhaité. Il avait un troupeau de
vaches laitières et une salle de traite qu’il pensait suffisamment
aux normes pour arriver à la retraite. La coopérative n’a pas
été du même avis. Du jour au lendemain il s’est trouvé sans le
revenu du lait et a dû se séparer de son troupeau. Il a
sombré.
Il était passionné de mécanique et avait créé une
auto entreprise. Pour le rencontrer il fallait arriver dans son
étable, soit avant 7h le matin, soit après 21h.
Ses amis et
des parents l’ont entouré lorsqu’il avait une autorisation de
sortie de l’hôpital et se retrouvait seul dans la maison
familiale. Mais une fin d’après-midi de décembre, il n’a pas
voulu retourner à l’hôpital. Il laisse trois adolescents.
Partie B. L’aube d’une nouvelle agriculture (réflexions embryonnaires).
L’agriculture locale évolue effectivement du quantitatif vers le qualitatif (3), peut-être trop lentement mais aussi dans l’incompréhension et l’angoisse.
L’essor
de l’agriculture Bio, des marchés Bio, des circuits courts qui
investissent l’aval (transformation à la ferme et vente directe
par exemple) ou des repas fermiers témoignent de cette évolution
vers une agriculture qualitative, en phase avec la demande Sociétale.
On peut ajouter le développement de cultures à forte valeur
ajoutée, de cultures de protéagineux directement utilisés pour
l’élevage ou encore de l’apiculture. Sans oublier le renouveau
de l’agropastoralisme, voire de la viticulture ou de
l’agroforesterie. A noter que les chevaux investissent de nouveau
les prés délaissés par les troupeaux bovins et occupés par des
boules de fourrage.
De
tels projets d’installations sont maintenant acceptés par la
« Commission Départementale d’Orientation de l’Agriculture
de la DDTM ». L’accroissement de la surface des exploitations
existantes ne serait plus considéré comme un critère essentiel.
Les syndicats agricoles qui participent à ces commissions, sont
acquis à ces mutations.
En plus elles bénéficient de facilités
financières, surtout pour les zones défavorisées. Les pouvoirs
publics sont très présents, quoiqu’on en dise…
Toutefois,
si le nombre d’installations augmente, il ne compense toujours
pas la baisse continue du nombre d’agriculteurs et n’apaise pas
davantage le désarroi d’une partie du monde agricole.
En
fait les produits agricoles comme le maïs, le lait ou les produits
d’élevages en « hors sol » comme le porc ou la
volaille, sont des produits de grande consommation (produits de
base). Même le foie gras qui était un produit de luxe est devenu
un produit de base.
Sur de tels produits, seule la productivité
permet de dégager des bénéfices car elle est essentiellement
captée par aval. Les coopératives qui pourtant ont été créées
par les agriculteurs, fonctionnent sur ce modèle.
La conversion vers une agriculture « raisonnée » des pratiques agricoles est en cours. Toutefois ces pratiques comme celles du « Bio » qui se rejoignent, subiront à terme la nécessité de gains de productivité.
Le
libéralisme actuellement décrié, n’a rien inventé. Aussi la
présentation d’un monde agricole qui se partagerait entre des
braves gens qui subiraient et des pervers lointains qui régiraient
ou laisseraient faire est plutôt manichéenne.
A noter aussi
que pratiquement depuis la Révolution, alors que le nombre d’actifs
de l’agriculture diminue, la propriété se concentre et la
diversité sociale continue de rétrécir. Ce point qui vaut
également pour la forêt, n’est pratiquement jamais souligné.
Pourtant n’est-il pas essentiel pour la ruralité?
Aussi,
peut-on imaginer que la propriété sera équivalente à un capital
sûr, parfois découplé de son exploitation. Elle sera assurée par
des prestataires et supervisée par des gestionnaires ou des
régisseurs. Une sorte de retour des anciens métiers ruraux de
l’ancien régime…
La segmentation des tâches et la
généralisation de la sous-traitance (labours, semailles, moissons
par exemple) conduiront vraisemblablement à une multiplication des
spécialités. Elles accroîtront le nombre de travailleurs
indépendants, l’auto-entreprenariat ainsi que le salariat
agricole.
Limiter la dépendance de l’amont de la filière agricole, préserver (cultiver) les sols qui sont un bien commun, réinvestir l’aval des filières et s’ouvrir, avec de nouveaux acteurs, à d’autres opportunités (tourisme, culture, loisirs comme les parcs animaliers, les cabanes dans les arbres ou les sites d’accrobranche par exemple) semblent des voies empruntées par l’agriculture et la ruralité.
La recherche d’une mixité (diversité) sociale, la recréation de chemins et d’espaces communaux ainsi que de lisières (cf. pâtures, orées, et autres écotones, zones sans pesticides, lits majeurs) entre les différents zonages actuels devraient également émerger comme nouvelles priorités de la ruralité.
Larouture
Crédit photo: Angélus de Millet ; https://staticserver2.com/edu/static/fr/800/angelus.jpg
Bibliographie:
(1) :
https://alternatives-pyrenees.com/2019/10/25/citoyens-versus-ruraux/
(2) :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/07/agriculture-une-crise-existentielle_6018336_3232.html
(3) :
https://alternatives-pyrenees.com/2019/10/29/exploitation-industrielle-et-agriculture-paysanne-la-veritable-opposition/
Cet article fait également référence à un vécu familial et à des publications diverses dont :
– Christian
Desplats ; La vie en Béarn au XVIIIe ; Ed. Cairn ; 2009
– Gilbert
Sourbadère ; Les terres et les hommes de Gascogne ; Publication
Chambre d’Agriculture du Gers ; 2001
– Yves Jean, Michel
Périgord Géographie rurale Armand Colin ; 2009
– Jean
Tirole ; Economie du bien commun ; Puf ; 2016
–
Michel Lussault ; De la lutte des classes à la lutte des
places ; Grasset ; 2009
– Philippe Mallaroni, directeur
du Cnam Millau, économiste rural :
http://culture.cnam.fr/medias-cnam/la-ruralite-des-origines-a-nos-jours-945030.kjsp?RH=med_cnam
–
Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (AUDAP) :
http://www.audap.org/?Publications_et_Ressources-Etudes-Etudes_en_detail&etudes=in_situ_4_la_lisiere_urbaine_de_l_espace_frontiere_a_l_espace_de_nature_partage