La ville anglaise à l’heure du Brexit
Avant d’être « ville humaine » et peut-être demain « capitale du climat » comme le souhaite Jean François Blanco le candidat écologiste, Pau fut longtemps « ville anglaise ». Depuis la fin du XVIIIème siècle en fait, et les traces de cette proximité ont donné beaucoup à la ville : la plus belle partie de son patrimoine architectural, le premier golf du continent (Billère), le stade de la Croix du Prince (en ruine désormais), l’église Anglicane, le discret Cercle Anglais, le Pau Hunt, etc. Il faut ajouter un émouvant carré, au cimetière de Pau, monumental et mélancolique. Tout cela a donné à cette belle ville un caractère anglophile inimitable.
Nos amis historiques ont donc quitté l’Europe, cette belle promesse, où le lait devait couler à flot qui, de leur point de vue, a tourné court. En juin 2016, ils ont décidé démocratiquement et largement (52% pour contre 48% pour le statu-quo) ce départ. Les Anglais sont têtus et leur courage ne méritait pas les caricatures et les tombereaux de mépris qui ont été déversés sur l’île depuis que cette grande démocratie a décidé de quitter l’Union. Londres n’a-t-elle pas su tenir, stoïquement, lorsque les V2 nazis s’abattaient sur ses banlieues ? Ne nous ont-ils pas sauvés ainsi de la tyrannie dont la plupart de nos concitoyens s’accommodait de leur côté ? Et les cimetières de Normandie qui leur sont consacrés ne sont-ils pas emplis de dizaines de milliers de jeunes vies sacrifiés pour la liberté ? Tout cela n’est pas si lointain, il ne faut pas l’oublier…
Bien sûr le Brexit ne fait pas les affaires des Européens. Ils l’ont chanté une fois encore jeudi, prenant leurs désirs pour des réalités : « ce n’est qu’un au revoir », images débiles, complaisamment diffusées. Ces larmes de crocodiles n’émeuvent que les naïfs. Ils succèdent à une vraie guerre de tranchée menée par Michel Barnier, commandité par la commission européenne. Nous paierons la note de ces mauvaises manières un jour ou l’autre.
Les Anglais ont donc fait ce que les Grecs n’ont pas osé faire : ils ont coupé les ponts. Ils ont fait preuve de détermination et de patience. Ce ne fut pas le cas des Français pour le traité de Lisbonne, rappelons-le, lors du référendum qui eut lieu le 29 mai 2005. À la question « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe? », ils votaient « non » à 54,68 % des suffrages exprimés. Il ne fut tenu aucun compte de ce résultat. Cela en dit long sur la revendication du RIP, ce fameux Référendum d’Intervention Populaire dont l’histoire nous montre les limites.
Même si le Brexit ne nous arrange pas, les Anglais restent nos amis, respectons leurs décisions et cessons de spéculer sur leur retour au bercail ou de leur promettre un enfer sur terre (cf. France Culture, vendredi matin). Nous vivons côte à côte ne vivons pas face à face demain. Le destin des peuples ne prend pas forcément le même chemin et si on veut éviter, à juste titre, la montée des extrêmes, des populistes (comme on les appelle pudiquement aujourd’hui), il faut respecter leurs décisions. C’est ce que Boris Johnson a su faire avec habileté, soutenu par une large majorité des Britanniques. Le lobby régionaliste qui sévit à Bruxelles va sans doute essayer de jouer désormais l’Ecosse contre l’Angleterre, comme il soutient, en douce, Barcelone contre Madrid, car il y a au sein de la structure -on devrait dire de la technostructure-, des partisans de « l’Europe des régions » qui combattent farouchement « l’Europe des Nations ».
L’avenir est incertain -il l’est par nature- mais le Royaume Uni a des perspectives dans ce départ. Il correspond au tropisme qui le tire vers les Etats-Unis avec lesquels ses liens vont se resserrer. Il saura raviver les contacts qu’il a gardés au sein du Commonwealth : il s’est séparé de l’Empire avec plus de souplesse que la France de son ensemble colonial, traînant ses casseroles de la « France-Afrique ». En Inde, en Australie, en Nouvelle Zélande, au Canada par exemple le Royaume a gardé une forte influence politique et commerciale qui confortera son nouveau destin. Il y a là des perspectives économiques et politiques qui pourraient être explorées avec succès.
Non ! La construction européenne n’est pas un long fleuve tranquille. Le départ de nos amis anglais le montre. Il faut une réorientation profonde de sa politique dominée par l’inflexible doxa néolibérale. La prise en compte des réalités sociales, des désirs populaires et le respect des réalités nationales sont les conditions de sa renaissance. Le Brexit devrait être une prise de conscience salutaire. En attendant, rien, pas même le Brexit, ne pourra détruire les liens séculaires qui relient Pau à la Grande Bretagne et qui en ont fait pour toujours « une ville anglaise ».
Pierre-Michel Vidal
Le lait a coulé à flot avec l’Europe et la PAC. Il a même tellement coulé qu’il a fallu stocker des montagnes de beurre et de poudre de lait…
Il me semble paradoxal de présenter le départ de la GB de l’UE au motif des méfaits du libéralisme.
La GB a été une instigatrice principale du libéralisme, y compris au sein de la commission Européenne.
Son départ de l’UE s’effectue sous l’égide d’un chef qui n’a rien renié du libéralisme et qui reproche certainement à l’Europe de s’être ouverte au libéralisme de façon trop timorée.
La GB repart vers le grand large. Elle fait vraisemblablement le constat que le XXIe siècle (avec une nouvelle croissance) se construit sur les côtes du Pacifique (Asie, Amérique, Océanie) ainsi que de l’Océan Indien (Inde et à terme Afrique) en dépit des Trump et compagnie alors que l’Europe est encore portée par des technologies du premier XXe.
M. Johnson n’aurait-il pas pu adapter pour la GB, l’appel du 18 Juin du Gal de Gaulle : « — Elle a un vaste bloc colonial… Elle peut — utiliser sans limite l’immense industrie des Etats-Unis…. » ?…
Le retour des nations n’y changera rien, si ce n’est d’accroître les intérêts nationaux avec forcément à court terme, l’anéantissement de la construction européenne et beaucoup de larmes de crocodiles versées.
Nation et humanisme n’ont jamais fait bon ménage. Mince consolation, l’idéal européen survivra encore une fois.
Les poussées régionalistes n’ont pas besoin de la Commission Européenne pour exister.
Les provinces riches comme la Catalogne, l’Italie du Nord (Ligue) ou encore les Flandres veulent d’abord leur « money back ».
La commission soutient plutôt la constitution d’ensembles capables d’agglomérer des compétences afin d’exister et de tirer profit, avec leur périphérie, de la mondialisation.
Ainsi en France, la réforme territoriale a consisté essentiellement en la constitution de grandes régions autour de métropoles (dites villes secondes comme Lyon, Bordeaux, Toulouse, par exemple) qui n’ont pas, comme Paris (ville-monde), un pouvoir de commandement dans l’économie globale.
Pour l’instant, on relève surtout les coûts de cette réforme.
Se réjouir de l’exercice démocratique ayant conduit au brexit et dans le même temps le refuser à l’Ecosse par rapport à au Royaume-Uni, c’est quand même du sacré contorsionnisme…
Quant aux « liens séculaires qui relient Pau à la Grande Bretagne » il n’en reste en réalité plus grand-chose à part l’Histoire : Ryanair et Easyjet relient Londres à Biarritz, pas à Pau.
Par ailleurs ne mélangeons (ne mélangez) pas tout : dans le cadre constitutionnel du Royaume-Uni, l’Ecosse est considérée comme une nation à part entière (et même titre que l’Irlande du Nord, le Pays de Galles, et l’Angleterre), pas comme une région.
C’est ce que disent aussi les Catalans, les Basques, les Corses, les Bretons, les Flamands, les Wallons, les Italiens du Nord, etc. On est pas sorti de l’auberge…
Il ne s’agit pas de ce que les uns ou les autres prétendent, mais des faits. L’Ecosse est officiellement une nation au sein du Royaume-Uni. Le Royaume-Uni est une union de 4 nations, et surtout ces nations ont conservé ce statut au sein de cette union.
Par contre aucune des régions que vous citez n’a un statut de nation.
Les Ecossais ont déjà voté sur leur indépendance sans que ça crée un psychodrame. Ils l’avaient rejetée, mais c’est peu dire que le brexit change la donne.
Bien idyllique tout ça. Je pense que si nos amis Anglais nous ont quittés c’ est parce qu’ ils n’ ont pas réussi à faire
l’ Europe à leur désir. Se sentant seul contre tous, ils ont préféré jeter l’ éponge, mais en faisant comprendre à
l’ envie que c’ était pas de leur faute qu’ ils partaient, mais de la faute des Européens. Pour moi, tout simplement des mauvais joueurs qui ne supportent pas les règles communes. Maintenant effectivement l’ Europe est à améliorer, souhaitons que ses dirigeants ouvriront les yeux et prendrons conscience qu’ il faut faire une Europe pour répondre aux besoins de ses habitants et non aux cartels de tous poils.
Sans être mauvais joueur, je pense que l’ Angleterre a bien coûté plus cher aux Européens que ce qu’ elle a apporté financièrement . Alors bon vent à eux sans arrières pensées.