La confusion des sentiments
Comme Jean François Khan, souvent perspicace, désormais : « Je refuse de rebondir sur un drame national pour régler des comptes politiques ou idéologiques. Ou pour réduire une crise à une analyse politicienne ». Chaque chose en son temps, l’heure des règlements de compte n’est pas venue. L’ horloge est calée désormais sur celle de l’unité nationale dans la lutte contre le virus.
Il y a de bonnes nouvelles quand même et je les entends : les oiseaux sont là, c’est le printemps certes, mais ils semblent plus nombreux, plus joyeux qu’avant. Se réjouissent-ils des malheurs des humains ? Gardons-nous de l’anthropomorphisme, cette aberration mentale de « l’ancien monde »… Dans le bois les écureuils sautent de branches en branches, ils viennent jusqu’au mur, sans doute ne craignent-ils plus le galop des chiens innombrables habituellement, en liberté mal surveillée, et les hurlements de leurs maîtres qui veulent se faire obéir. Après avoir tant servis seront-ils jetés à la rue ? Abandonnés ? Ces fidèles compagnons !
Des irréductibles ne peuvent s’empêcher le braver les consignes : amoureux ils se baladent sur le sentier main dans la main, cyclistes ils pédalent en groupe et d’autres joggent de concert… Pour ceux-là, la santé mentale prime sur la guerre au virus…
Une personne aimée qui ne me parlait plus, ce qui me causait regrets et peines, m’appelait hier pour prendre de mes nouvelles. Ce fut un moment de bonheur. Mais, plus tard j’apprenais qu’un proche, très proche, avait été amené à l’hôpital en urgence. Comment l’aider ? Soutenir sa famille ? Ses enfants petits ? Je suis désemparé brusquement par mon impuissance ; muet toute la matinée. Dans un espace de temps très court, le pire succède au meilleur. Comme l’écrit Stéphan Zwieg : « La confusion des sentiments »… Cette situation sans doute n’a rien d’exceptionnelle. Mais ce sentiment de ne pouvoir rien faire, pas même de se rendre au chevet de l’être aimé, ni prendre en charge ses gosses esseulés, c’est la plus dure des angoisses. Il reste Whatsapp ou Skype pour communiquer, ces ersatz ont du bon.
Chaque soir, à 20 heures, à ma fenêtre, j’applaudis les soignants qui risquent leurs vies. On découvre brusquement leur héroïsme, leur compétence, leur dévouement. Je pense aussi aux caissières de mon Leclerc. Elles ont toujours un mot gentil, une attention particulière à mon égard. Sont-elles équipées de ces foutus masques ? A celles qui risquent leur vie pour un smig, ma reconnaissance.
Dans le lotissement, je suis le seul à applaudir…
Le confinement ? C’est l’occasion de faire le point. De lire, écouter, regarder. J’ai fouillé ma bibliothèque pour retrouver « La Peste » d’Albert Camus. Va-t-on réhabiliter le prophète de l’humanisme ? « Némésis » de Philip Roth, je viens de le terminer, une analyse clinique des dégâts d’un porteur sain et bien intentionné. Je vais télécharger sur ma tablette « Le hussard sur le toit » de Jean Giono. Le Choléra en Provence en 1832. Jean Giono : « Le choléra est un révélateur, un réacteur chimique qui met à nu les tempéraments les plus vils ou les plus nobles. »
Il y a la musique : Bach est un réconfort serein, Mozart a tout dit dans la première scène du Don Juan : on y passe de la jouissance à la haine et à la mort… Mais aussi l’intégrale de Jean Ferrat : j’ai sur les lèvres le refrain de « Ma France ».
Enfin les films : rien ne sera comme avant nous dit-on mais le passage de l’ancien monde au nouveau est plein de mystères, de pièges, de dangers, Tartowski l’a si bien évoqué dans le « Stalker », le passeur. « De Gaulle » vient de sortir : 1940 ressemble beaucoup à 2020 mais où est le Général ? Et, comme il faut bien rire un peu, la « Party» de Blake Edwars avec l’impayable Peter Sellers ; le comique de situation : une hygiène mentale.
Pierre-Michel Vidal
Image: Antoine-Jean Gros – Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa (détail) DR
Composition baroque toute en nuances mais qui ne vont pas trop dans les extrêmes.
Côté littérature où l’on trouve toujours ce que l’on cherche, je viens également de terminer un livre de Stephan Zweig. « Erasme » publié en 1935, « le reflet des préoccupations de l’auteur dans une Europe en proie aux totalitarismes et bientôt à la guerre ». Un bon antidote à illibéralisme d’avant le confinement.
Je suis en train de lire « Joseph Fouché » du même auteur qui voit dans ce personnage « la première incarnation d’un type politique moderne : l’homme de l’ombre, manipulateur, actionnant en coulisses les mécanismes du pouvoir ». Il a certainement des disciples.
« Fouché » de Zweig c’est bien mais laissez moi vous recommander « Marie Antoinette » du même auteur, c’est encore mieux. Très amicalement.