Voyage en Terre de Baffin
Pour échapper au confinement actuel, évadons nous vers une terre lointaine : la Terre de Baffin. Je l’ai visitée en Août 1995 avec l’ organisation : « Terres d’Aventures ». J’étais avec deux amis palois et deux autres compatriotes, très petite équipe. La Terre de Baffin est la plus grande île au Nord du Canada et fait face au Groenland.
Arrivée
Nous sommes accueillis dans un petit port de la baie de Frobisher par un canadien français qui a une très belle maison et une grand collection d’objets INUITS. Je suis tombé en arrêt devant une statuette représentant un chasseur que notre hôte a bien voulu me vendre. Nous avons dormi chez lui et le lendemain il nous a présenté notre guide inuit, pas très grand, balèze, bien bronzé et parlant anglais (ou peut-être français ? ). Il est propriétaire d’un bateau de pêche sur lequel nous allons passer toutes les journées de la semaine.
Promenades en bateau
Nous naviguons sur une mer plate comme un lac. Comme nous sommes au mois d’Août, il n’ y a plus aucune banquise mais beaucoup d’ icebergs petits et moyens. Le capitaine accepte souvent de me laisser la barre et je tourne autour des icebergs en me rappelant constamment le principe de la partie immergée plus grande que la parie visible (bonne métaphore de toute réalité ! ). Cette partie immergée, en partie, plate supportait souvent des ours blancs et participait à la beauté du paysage polaire. Le but du jeu était de rechercher les phoques, les morses et surtout les ours blancs. Nous avons vu peu de phoques et pas du tout de morses mais beaucoup d’ours blancs, nageant ou bien se prélassant sur les icebergs. Un matin un phoque a passé son museau au dessus de l’eau calme, le capitaine a pris son fusil et l’a tué d’ un coup, il l’ a ramassé et toute la journée j’ai vu ce malheureux phoque attaché à l’avant du bateau. Moi qui, dans mon enfance a été nourri par les albums du Père Castor, dont « Scaf le phoque », j’étais un peu vexé, d’autant plus que, le soir, il l’a donné à manger à ses chiens. Le soir, le bateau accostait sur une plage sauvage, nous plantions les tentes, nous devisions, nous dînions, avec chandail et anorak nous n’avons jamais eu froid.
Zoom
Un beau matin, je me trouvais accoudé au bastingage, qui était à 80 cm au dessus de l’eau. Une ourse accompagnée de ses deux oursons est venue nager vers moi, j’avais mon piolet à la main. Nous avons plongé les yeux l’un vers l’autre, à presque 30 cm de distance, je n’ai ressenti aucune différence de statut entre elle et moi mais seulement un dialogue muet :
Elle : « Si tu touches mes petits, espèce de salopard, tu auras affaire à moi ! »
Moi : « Si tu t’approches encore je te fous un bon coup de piolet sur le crane ! «
Il n’y avait très momentanément que deux mammifères se défiant mutuellement. On peux pousser plus loin : dans ce regard il y avait aussi l’éternelle attirance des mâles pour les jeunes femelles.
Culture inuit
A la fin du séjour nous avons « zoné » dans le village, presque une petite ville. Les maisons ont tout le confort moderne. Nous avons pu l’apprécier quand le capitaine nous a invité à dîner chez lui. Il nous a fait une démonstration de la chasse inuit traditionnelle. Il se roule à terre, entre en transe, et imite le cri de l’animal qu’il chasse au harpon. Sa femme utilise pour sa cuisine un « houlou », couteau-hachoir en demi-cercle. Le lendemain, dans la rue j’en ai acheté un à un jeune garçon(qui a du le volé à sa mère).
Je suis allé rendre visite à l’école, j’ai parlé avec des profs canadiens et inuits. Ils m’ont dit qu’ils enseignent l’alphabet latin mais aussi le « syllabaire inuit ». Ce qui nécessite une petite explication. Avant l’arrivée des européens, les inuits n’avaient pas de langue écrite. Un missionnaire leur a inventé, ex-nihilo, un code unique au monde. Il a créé 16 signes qui codent les 16 consonnes de cette langue. Puis il a signifié 4 voyelles par les 4 positions possibles : haut bas droite gauche ( il pris soin que aucun signe n’aie deux axes de symétrie), ainsi un simple triangle (isocèle) peux signifier : hi /hu / ha selon son orientation. Ce missionnaire aurait pu faire de l’informatique ! En tous les cas cette écriture fait maintenant partie intégrante de la culture inuit et leurs journaux sont imprimés ainsi.
La plupart des vêtements sont modernes, mais en faisant la queue pour l’avion de départ j’ai vu des jeunes femmes portant les parkas traditionnels en peau de phoque avec leurs marmoussés dans le dos.
Dans ces hautes latitudes, le soleil, même au zénith, n’est jamais très haut et comme sur l’eau, l’air est un peu brumeux, cela donne une lumière un peu étrange, froide, diffuse et donnant peu d’ombre aux choses, une lumière à la TURNER.
PAU, le 27 Mars 2020
Jean-François de Lagausie